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Questions au gouvernement

Déchéance de nationalité

Monsieur le Premier ministre, constitutionnaliser la déchéance de nationalité pour les binationaux coupables d’atteinte grave à la vie de la nation est tristement symbolique. Et ce symbole rompt avec l’un des éléments fondateurs de notre République : le principe d’égalité. Comme la République, la communauté nationale est une et indivisible : il n’y a pas deux catégories de Français.
M. Marc Dolez. Très bien !
M. André Chassaigne. Alors que la menace terroriste reste très forte en France et partout dans le monde – nous le voyons encore aujourd’hui en Turquie –, nous devons, sans faillir, faire preuve de détermination et d’efficacité face à la barbarie.
Or la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité est, par essence, inefficace et inutile pour combattre les terroristes. Elle est non seulement inutile, d’ailleurs, mais aussi hors sujet : hors sujet car la lutte contre le terrorisme ne relève pas de la question des binationaux ni du droit de la nationalité.
Répondre au défi terroriste suppose une réflexion sur l’organisation et les moyens de nos services de justice, de police, de gendarmerie et de renseignement. La lutte contre le terrorisme nécessite aussi des solutions aux maux qui nourrissent ce dernier, et nous oblige à en comprendre tous les ressorts. Nous devons comprendre pour nous défendre et nous protéger sur le long terme.
En définitive, la réécriture de notre texte fondateur signerait la victoire idéologique des terroristes djihadistes et de l’extrême-droite, qui ne croient pas en notre capacité à vivre ensemble. Solennellement, monsieur le Premier ministre, nous vous demandons le retrait de cette mesure inefficace qui mettrait à mal l’unité de notre République, à l’heure où nous avons, plus que jamais, besoin de nous rassembler autour de ses valeurs fondamentales. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. On l’a rappelé, la France a été frappée par les terroristes en 2015, et la menace reste particulièrement présente. Notre pays a été frappé au cœur, mais ce sont aussi les valeurs universelles, celles de la République, qui ont été attaquées : la liberté d’expression, la liberté de croire ou de ne pas croire, l’égalité, un art de vivre.
Ces crimes ne sont pas des crimes ordinaires. Le terrorisme fauche les vies et ébranle les consciences ; il cherche à faire naître la peur, la haine, et finalement la guerre. Son projet ne s’arrête pas à l’assassinat : il cherche à défaire une société, à détruire les solidarités, à briser le contrat social.
Nous devons réagir et, comme chaque gouvernement face à des actes de guerre, nous le faisons à travers les moyens donnés à la police, à la gendarmerie et aux services de renseignement. Je pense également, bien sûr, à la mobilisation de nos armées et aux moyens supplémentaires qui leur sont aussi donnés ; à la mobilisation du peuple français, depuis plusieurs mois, sous des formes chaque fois différentes mais toujours avec le même courage ; au nouveau patriotisme, enfin, qui doit s’installer : les Français ont brandi, et avec quelle force, les couleurs nationales et ont chanté notre hymne, La Marseillaise.
Les auteurs de ces actes doivent être poursuivis et sanctionnés. L’honneur d’une démocratie, c’est de désigner le djihadisme et l’islamisme radical comme des idéologies mortifères, et c’est d’affirmer, avec la plus grande force, qu’elle combat le terrorisme sur tous les fronts.
Trois jours après les attentats, le Président de la République s’est exprimé devant le Congrès : sa tâche était de tout faire pour que l’unité nationale s’impose à un moment où tout pouvait vaciller. C’est la raison pour laquelle il s’est engagé sur la constitutionnalisation, d’abord, de l’état d’urgence, avant de proposer d’étendre la déchéance de nationalité à tous ceux qui, nés ou devenus Français, se sont rendus coupables d’un crime terroriste, sans pour autant créer des apatrides.
Cette possibilité existe déjà dans de nombreux pays ; en France, elle est inscrite dans le code civil. Oui, monsieur Chassaigne, la République prévoit, depuis des dizaines d’années, une possibilité de déchéance de nationalité. Personne ne remet cette mesure en cause : Bernard Cazeneuve et moi-même, dans nos fonctions de ministre de l’intérieur, y avons d’ailleurs eu recours.
L’extension de cette mesure ne porte pas atteinte aux valeurs républicaines, bien au contraire : elle a une valeur symbolique, hautement symbolique même, bien entendu ; mais elle a aussi des effets concrets. De toute façon, monsieur Chassaigne, quelle autre sanction un terroriste qui veut donner et se donner la mort pourrait-il craindre ? La prison ? Là n’est donc pas le sujet. Le sujet, pour la nation, est d’affirmer, à travers ce nouveau patriotisme, ce que nous sommes, nous, Français, autour de nos valeurs, celles d’un patriotisme généreux, qui n’exclut personne.
Aucun binational ne doit se sentir concerné par la mesure dont nous parlons, de même qu’aucun naturalisé – et j’en suis un, monsieur Chassaigne – n’a eu à se sentir concerné par les déchéances de nationalité que nous avons engagées.
Être Français, c’est au-delà du droit du sol ou du droit du sang, et c’est au-delà de la naturalisation : c’est appartenir à une communauté de valeurs, la liberté, l’égalité, la fraternité, la laïcité, le respect de la loi.
Alors oui, face au nouveau monde dans lequel nous sommes entrés, face à l’instabilité que nous observons partout, nous devons affirmer ce qu’est la nation, ce qu’est le patriotisme, ce qu’est être Français, partout dans le monde, où l’on nous admire pour notre courage. Ce courage, c’est d’aller jusqu’au bout ; c’est de respecter la parole engagée par le Président de la République devant le Congrès ; car engager sa parole devant le Congrès, devant la nation tout entière, c’est être à la hauteur de ses responsabilités. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

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