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Questions au gouvernement

Lutte contre l’évasion fiscale

Monsieur le Premier ministre, l’Europe s’est attaquée la semaine dernière à « un mal qui répand la terreur » ; « puisqu’il faut bien l’appeler par son nom », cette « peste », c’est l’évasion fiscale.
L’Europe en fureur a publié la liste noire des paradis fiscaux. Après des semaines, des mois, des années d’attente, après les Panama papers, Luxleaks et autres Paradise papers, on allait enfin voir ce qu’on allait voir ! Les pays européens, voyant sans indulgence l’état de leur conscience, ont jeté à la vindicte populaire les plus grands truands de la fiscalité internationale, de la Tunisie à la Mongolie, de Grenade à Bahreïn, ces pelés, ces galeux d’où venait tout leur mal.
Selon toute justice, nulle trace dans cette liste noire des Bahamas ou de Singapour. Nulle trace des îles Vierges britanniques, des Bermudes ou de Hong-Kong, parce que, « au dire de chacun, [ce sont] de petits saints. » L’Europe hébergeant l’Irlande, les Pays-Bas ou le Luxembourg,
« on n ’osa trop approfondir Du Tigre ni de l’Ours, ni d’autres puissances, Les moins pardonnables offenses. »
Le président Sarkozy déclarait en 2009 : « nous avons mis fin au scandale des paradis fiscaux. » Huit ans plus tard, l’impunité reste la règle. Parce que l’évasion fiscale, c’est comme le dopage, monsieur le Premier ministre : les tricheurs ont toujours un coup d’avance sur le régulateur ! Parce qu’en Europe, monsieur le Premier ministre, les tricheurs sont aussi les censeurs. C’est ainsi que « les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir. »
Monsieur le Premier ministre, que reste-t-il de la crédibilité de l’Europe en matière de lutte contre l’évasion fiscale ? Ne pensez-vous pas qu’il est temps que la France prenne enfin des mesures à la hauteur des enjeux ? Elle s’honorerait d’être à l’initiative, comme elle l’a fait pour le climat. Elle s’honorerait d’être à la tête de ce combat. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et NG ainsi que sur quelques bancs du groupe MODEM et du groupe UAI.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Chassaigne, votre question m’invite à une double humilité.
La première est une humilité de style, car je crains de ne pas être à la hauteur de l’exigence littéraire dont vous avez fait preuve dans la formulation de votre question. (Applaudissements sur les bancs des groupes REM, MODEM et UAI.)
La seconde est une humilité de fond, car la question que vous évoquez, importante, délicate, montre, par le choix même des mots que vous avez utilisés, combien la lutte contre l’évasion fiscale ou contre la fraude fiscale, appelons-la par son nom, est une exigence ancienne et parfois difficile à atteindre.
Je voudrais, monsieur le président, vous confirmer qu’à mes yeux, comme aux yeux de l’ensemble de la représentation nationale, il n’est pas possible de comprendre, ni d’accepter l’idée même de cette fraude fiscale. Les Français consentent à l’impôt, selon la belle formule juridique en vigueur, s’ils ont la conviction que personne ne s’en exonère. Plus ils auront cette conviction, plus ils consentiront. C’est important, car derrière ce consentement à l’impôt, dont je n’affirmerais pas qu’il est toujours fait avec joie, il y a l’idée du pacte républicain. Par conséquent, contrevenir à ce consentement, le fragiliser, l’affaiblir, c’est d’une certaine façon contrevenir au pacte républicain et l’affaiblir.
La réponse à la question que vous posez passe par une action déterminée sur au moins trois plans.
Tout d’abord, nous devons agir sur le plan international car, par définition, l’évasion fiscale nous impose de travailler avec d’autres États à des mécanismes d’identification, d’information et, le cas échéant, de correction.
M. André Chassaigne. Il faut une COP fiscale !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Nous fêtons cette année les vingt ans de la convention OCDE, qui est un élément important dans le dispositif de coopération internationale pour lutter contre la fraude fiscale. À partir de l’année prochaine, un échange automatique de données plus puissant, donc plus efficace interviendra. Nous travaillons par ailleurs à durcir la liste des paradis fiscaux, à multiplier les conventions fiscales, telle que celle qui a été récemment signée avec la Suisse, et à alourdir les sanctions internationales sur la fraude.
Le deuxième champ que nous devons investir, parce qu’il est important, est celui des moyens les plus modernes de lutte contre la fraude. Cela signifie tout d’abord utiliser les instruments dont ceux qui fraudent n’hésitent pas à se servir : les datas, le numérique, l’informatique, bien entendu. Nous devons renforcer notre expertise sur les données et sur la détection des comportements frauduleux grâce à l’utilisation spécifique des données. Nous devons muscler notre renseignement fiscal pardonnez-moi de l’appeler ainsi, mais c’est bien de cette logique que je veux faire état – en nous appuyant sur les douanes, sur les services fiscaux, sur Tracfin et, évidemment, sur les services de police.
Il y a enfin une dimension nationale de la lutte contre la fraude ; il ne faut pas l’oublier. Elle explique la fermeture du bureau STDR – service de traitement des déclarations rectificatives – au 31 décembre, qui a été annoncée par le ministre de l’action et des comptes publics. Elle explique le renforcement des sanctions dans le projet de loi de finances et le projet de loi de finances rectificative en discussion et elle nous impose de réfléchir – un amendement a été présenté en ce sens – à des mesures telles que la déchéance de droits civiques pour ceux qui se rendent coupables de cette atteinte et de cette fragilisation du pacte républicain.
Monsieur le président, le ministre de l’action et des comptes publics aurait pu vous le dire lui-même, il travaille à un plan complet de lutte contre la fraude qui sera présenté au début de l’année prochaine. Monsieur le président, je veux vous assurer que personne au sein de ce Gouvernement ni au sein de cette majorité ne se satisfait de la situation actuelle et que notre objectif est de durcir les mesures nationales et internationales qui nous permettront d’aboutir à des solutions, peut-être pas toujours aussi satisfaisantes que celles que vous appelez de vos vœux, mais néanmoins bien plus que ce qui est aujourd’hui la norme. (Applaudissements sur les bancs du groupe REM et sur quelques bancs du groupe MODEM.)

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