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Questions au gouvernement

Retraites : « Hors de l’hémicycle, vous n’avez pas de majorité ! »

Monsieur le Premier ministre, la plus haute juridiction administrative de notre pays a rendu vendredi un avis d’une sévérité inédite sur vos projets de loi instituant un système universel de retraite, donnant raison au peuple français qui, dans sa majorité, exige le retrait de votre réforme.

Le Conseil d’État a souligné que le Gouvernement n’avait pas respecté les dispositions de la loi organique de 2009 et vous a demandé d’y remédier avant le dépôt de ces textes sur le bureau de notre assemblée. Parce que vous avez décidé de passer en force, vous ne l’avez pas fait. Vous avez ainsi traité avec mépris l’obligation formulée à l’article 39 de notre Constitution : quand le Gouvernement dépose un projet de loi, il est obligé – j’insiste sur ce mot – de respecter les dispositions de la loi organique. (« Bravo » et applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et FI.)

Le Conseil d’État a également souligné les risques juridiques associés à votre projet et ses incohérences. Malgré cela, la Conférence des présidents a décidé d’inscrire ce texte désormais illégal à l’ordre du jour de l’Assemblée, afin de nous obliger à en discuter dans des délais intenables.

Pourtant, la moitié des groupes de notre assemblée s’y était opposée. Certes, monsieur le Premier ministre, vous n’êtes pas seul responsable. Vous avez demandé, vos députés se sont exécutés, nous imposant cette situation. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et FI.)

Pourtant, monsieur le Premier ministre, ceux qui sont majoritaires dans cette assemblée sont, sur le dossier des retraites, minoritaires dans le pays. (Mêmes mouvements.)

Hors de cet hémicycle, vous n’avez pas de majorité : 61 % des Français demandent le retrait de ce texte. Il n’est pas trop tard pour ranger au placard votre réforme qui n’est ni faite ni à faire et qui déconstruit une des composantes majeures de notre contrat social. Respectez la loi, respectez les Français ; retirez enfin cette réforme ! (Mêmes mouvements.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Chassaigne, vous m’interrogez sur la procédure d’examen parlementaire prévue pour les projets de loi instituant un système universel de retraite et vous me demandez comment nous allons prendre en compte l’avis rendu par les formations consultatives du Conseil d’État, qui ont pour fonction de conseiller le Gouvernement. Par ailleurs, vous faites part de votre souhait, dont vous dites qu’une majorité de Français le partage, que le texte ne soit pas examiné et qu’il soit retiré.

Je commencerais par ce dernier point. L’argument selon lequel cet hémicycle devrait suivre l’opinion formulée par une majorité de Français dans les sondages me semble bien curieux.

M. André Chassaigne. C’est qu’il faut organiser un référendum !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je me permets de faire observer que les députés de vos bancs n’ont eu de cesse de s’opposer à la suppression des régimes spéciaux. Vous assumez cette position. Elle est respectable, notamment parce que vous l’avez formulée. Pourtant, je ne crois pas qu’elle recueille le soutien de la majorité des Français,…

M. André Chassaigne. Vous n’en savez rien ! Si c’était le cas, pourquoi ne pas organiser un référendum ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre. …lorsqu’ils sont interrogés par sondage. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, et sur plusieurs bancs du groupe MODEM.)

Il ne faudrait pas, monsieur le président Chassaigne, que, lorsque les sondages semblent – j’insiste sur ce verbe, car je les lis toujours avec beaucoup de prudence, ayant été instruit par l’expérience – vous donner raison, vous leur accordiez votre attention, alors que, quand ce n’est pas le cas, vous en fassiez fi au nom de vos positions.

Monsieur le président Chassaigne, nous nous sommes engagés à mener cette réforme, qui est bonne. Elle sera, je ne suis pas le seul à l’annoncer, massivement redistributive (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur plusieurs bancs du groupe MODEM), y compris pour ceux dont les revenus sont dans les derniers déciles, les Français les plus modestes.

L’étude d’impact qui a été fournie à l’ensemble des parlementaires et de ceux qui s’intéressent à la procédure parlementaire apporte un nombre considérable d’informations.

M. André Chassaigne. C’est le contraire !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Nous n’allons pas évaluer la qualité d’une telle étude en fonction de son poids. Cela étant, le millier de pages du document apporte un nombre considérable d’informations. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LR, SOC, FI et GDR.)

Mesdames et messieurs de l’opposition, il eût été intéressant de comparer le nombre d’informations apportées par cette étude d’impact, et sa densité, avec celles qui ont été rédigées à l’occasion des dernières réformes de retraites.

Nous verrons en tout cas, monsieur le président Chassaigne, que l’ensemble des données a été fourni. C’est tant mieux, car nous n’avons pas peur du débat.

M. Jean-Paul Dufrègne. Pourtant, vous empêchez qu’il ait lieu !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Il est parfaitement légitime, non seulement parce qu’il s’agit d’un débat parlementaire, mais aussi parce qu’il permettra d’élaborer un texte de refondation de notre pacte social.

Le Conseil d’État a rendu son avis, qui sera évidemment pris en compte par le Gouvernement.

M. André Chassaigne. Il fallait faire cela avant le dépôt des textes !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. C’est à cela que de tels avis servent : ils informent le Gouvernement quand des risques d’inconstitutionnalité pèsent sur tel ou tel sujet. Vous noterez d’ailleurs que le Conseil d’État n’indique pas de tels risques sur ces projets de loi, sauf sur un point : si l’engagement de revaloriser les salaires des enseignants était inscrit dans la loi, cela reviendrait, pour le législateur, à imposer au Gouvernement de déposer une loi de programmation. C’est, selon le Conseil d’État, la seule disposition qui risquerait d’être jugé inconstitutionnelle. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LR, SOC, FI et GDR.)

M. André Chassaigne. Ce n’est pas exact !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Nous en tiendrons compte. En tout cas, monsieur le président Chassaigne, n’en doutez pas : le Gouvernement et la majorité sont déterminés à présenter à l’Assemblée nationale et au Sénat les projets de loi instaurant un système universel de retraite, et prévoient, en parallèle, la revalorisation nécessaire et dans la durée du salaire des enseignants.

Nous entrerons très prochainement dans l’examen du texte, de façon précise, au-delà des postures, au sein de la commission spéciale chargée d’examiner ces projets de loi, puis dans l’hémicycle. J’en suis heureux. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur plusieurs bancs du groupe MODEM.)

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