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Questions au gouvernement

Situation en Syrie

Monsieur le Premier ministre, à Tulle, samedi dernier, le Chef de l’État a déclaré ne pas savoir s’il allait recevoir Vladimir Poutine à Paris le 19 octobre prochain. Hier, le président russe a mis fin aux tergiversations diplomatiques françaises en reportant son déplacement. Une occasion importante, historique, pour la France de faire entendre sa voix pour la paix auprès de la Russie a été gâchée.
Pourtant, il y a urgence à mettre fin à la terrible tragédie vécue par la population syrienne. Au cours du week-end, à l’ONU, la Russie a refusé le projet de résolution de la France qui exigeait la cessation des bombardements sur la partie orientale d’Alep, mais elle s’est dite prête à soutenir l’initiative de l’envoyé spécial de l’ONU, M. Staffan de Mistura. Ce diplomate proposait que le régime syrien et son allié russe suspendent leurs bombardements après le départ des djihadistes d’Alep Est. Pourquoi la France a-t-elle refusé cette proposition de faire cesser les massacres et d’éloigner la menace djihadiste ?
La France doit agir pour la paix en ayant conscience que la Russie est un acteur clé du conflit.
Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Très bien !
M. André Chassaigne. Mais ce conflit ne se résume pas à la Russie. Nous pensons que Paris devrait notamment remettre en cause son alliance avec l’Arabie Saoudite, mère du djihadisme, exiger l’arrêt de l’invasion militaire de la Syrie par la Turquie, membre de l’OTAN, et proposer sans conditions préalables l’organisation d’une Conférence de paix qui puisse rendre la Syrie au peuple et aux démocrates syriens.
La Russie n’a pas fermé la porte à un dialogue direct avec la France. Notre diplomatie saisira-t-elle cette opportunité pour porter ce projet de paix, condition de la survie du peuple syrien qui se trouve depuis trop longtemps pris entre le marteau et l’enclume ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)
M. Pierre Lellouche. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président Chassaigne, vous l’avez dit et chacun a cela à l’esprit, Alep est aujourd’hui une ville bombardée, martyrisée, dont les 250 000 habitants sont assiégés et affamés, les principales victimes appartenant à la population civile – des femmes, des hommes, des enfants.
Des crimes de guerre y sont commis et ce qui se passe est une tragédie. Cette tragédie a un responsable. Bien sûr, il ne faut jamais être caricatural et la situation en Syrie et en Irak, comme au Proche et au Moyen-Orient, est d’une très grande complexité, mais cette tragédie a un responsable : c’est le régime d’Assad, appuyé et soutenu à bout de bras par la Russie et l’Iran. Et sans le soutien massif de la Russie…
M. Pierre Lellouche. On aurait des djihadistes à Damas !
M. Manuel Valls, Premier ministre. …ce régime et Assad seraient dans l’incapacité de livrer cette bataille d’Alep.
Face à cette tragédie, qui interpelle la conscience mondiale, nous n’avons pas le droit à l’impuissance. Nous ne pouvons pas assister au massacre de civils, au pilonnage délibéré des hôpitaux – et vous avez en tête, monsieur le président Chassaigne, le témoignage de tous les humanitaires sur l’incapacité qui est la leur de venir en aide à ces civils. Nous ne pouvons rester impuissants et nous contenter de déplorer cette situation.
Pour la France, puisque vous m’interrogez sur notre position, l’urgence, c’est la trêve, c’est un cessez-le-feu qui permette enfin à l’aide humanitaire de parvenir aux quartiers assiégés. Et l’urgence des urgences, c’est l’évacuation des blessés et l’acheminement des indispensables secours médicaux. Et c’est au nom de cette urgence que nous avons soumis une résolution au vote du Conseil de sécurité des Nations Unies.
Le ministre des affaires étrangères Jean-Marc Ayrault, il l’a rappelé hier, s’est rendu à Moscou la semaine dernière (« Ah ! » sur les bancs du groupe Les Républicains) puis à Washington (Mêmes mouvements) pour créer les conditions d’une adoption. La Russie a décidé, dans les conditions que vous connaissez, d’opposer son veto à cette résolution qui n’a donc pu être adoptée, mais les initiatives russes n’étaient soutenues que par quelques pays.
M. Pierre Lellouche. Le compassionnel ne fait pas une politique !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le député, quelle que soit la majorité, dans l’histoire de la Ve République, et plus modestement lorsque j’étais député, j’ai toujours soutenu la France parce que, avant tout, je suis un patriote. À ce titre, je n’ai jamais remis en cause, au Parlement, la position de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)
M. Pierre Lellouche. Vous avez tort !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Si nous voulons être forts, nous ne devons pas nous affaiblir entre nous.
M. Pierre Lellouche. Depuis quatre ans, vous avez tort !
M. le président. Monsieur Lellouche, retrouvez votre calme !
M. Manuel Valls, Premier ministre. La Russie a choisi une attitude d’obstruction. De notre point de vue, cette attitude est injustifiable.
Je vais vous dire précisément ce que je crois. La Russie est un grand pays, par son histoire, sa culture. C’est un pays en grande partie européen, un pays qui a une relation historique avec la France, un pays qui a payé un lourd tribut au cours du deuxième conflit mondial. C’est pour cela que la Russie et la France siègent ensemble au Conseil de sécurité des Nations-Unies et qu’elles sont l’une et l’autre membres permanents de ce conseil.
Nous pouvons avoir des objectifs communs, y compris pour lutter contre le terrorisme, en Syrie, en Irak et partout dans le monde car les Russes peuvent être et ont été, comme nous, victimes du terrorisme.
Mais parce que la Russie est un grand pays, parce qu’elle a une responsabilité que lui a donné l’Histoire, parce que nous avons cette relation avec elle, nous l’appelons à assumer ses responsabilités pour faire cesser ces massacres.
M. Pierre Lellouche. Pas comme cela !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous continuerons à discuter avec les Russes et avec leurs dirigeants, pas en vain mais pour avancer, pour sauver Alep, pour soutenir un accord de cessez-le-feu, pour trouver une solution de paix.
Le Président de la République, il faut être sérieux sur un tel sujet, était prêt à recevoir le Président Poutine le 19 octobre…
M. Pierre Lellouche. Ah ? C’était donc prévu ?
M. Manuel Valls, Premier ministre. …pas pour l’accompagner dans une visite culturelle ou à caractère religieux mais pour discuter de ce plan en vue d’imposer un cessez-le-feu à Alep. Pouvait-on imaginer une visite du président russe à Paris pour inaugurer une exposition consacrée à l’art russe ou bien encore l’église orthodoxe sans que soit organisée une discussion directe, comme elle a déjà eu lieu au G20, à Moscou, à Paris, entre le Président de la République et le Président Poutine ? Ce n’était pas possible. Le choix a donc été fait de tirer les leçons du fait que cette discussion n’était, hélas, pas possible.
M. Pierre Lellouche. Vous vous êtes ridiculisés, c’est tout ! Comme vous le faites en permanence !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous avons pris acte de ce renoncement, mais le dialogue se poursuit.
Les mêmes qui aujourd’hui cherchent ici à m’interrompre oublient quel a été le rôle du Président de la République et de la Chancelière Merkel pour trouver ensemble une solution en Ukraine, car c’est par le dialogue que l’on réussit. Et je suis étonné de constater que celui qui cherche à m’interrompre, après avoir été hier le plus pro-américain, est aujourd’hui le plus pro-russe. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. Pierre Lellouche. Je ne vois que l’intérêt de la France !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Où est la logique ? Où est la cohérence ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.) De Bush à Poutine, c’est là un curieux itinéraire, monsieur Lellouche !
Mais j’en reviens à ma réponse au président Chassaigne qui a posé une question sérieuse : nous n’abandonnerons pas nos efforts et nous poursuivrons sans relâche notre mobilisation pour Alep et la Syrie.
Face aux crimes de guerre commis à Alep contre les civils et les infrastructures de santé, l’impunité ne peut être tolérée. Nous en appelons à la Russie pour qu’elle assume ses responsabilités de grand pays.
M. Pierre Lellouche. Mais pour cela il faut lui parler !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous, en tant que grand pays, membre permanent du Conseil de sécurité, parce la France est une voix écoutée et respectée, nous assumerons nos responsabilités. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

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