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Budget de l’État

Débat sur le prélèvement européen

Le débat sur le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne est toujours un moment un peu particulier, puisque c’est généralement le seul de l’année où nous avons dix minutes pour discuter de la politique menée par l’Union, qui a pourtant tant de conséquences sur nos vies quotidiennes.

Et cette année est encore plus importante que les autres, pour plusieurs raisons.

Premièrement, l’Union européenne et le Royaume-Uni se séparent définitivement.

Deuxièmement, un nouveau cadre financier pluriannuel débutera l’an prochain et courra jusqu’en 2027.
Troisièmement, la préparation du cycle budgétaire pour les années 2021 à 2027 s’est faite en pleine explosion du covid-19 en Europe, avec ses répercussions sociales et économiques.

Le cadre pluriannuel a donc été bouleversé – avant même son application – par un plan de relance, et il n’est d’ailleurs toujours pas précisément fixé puisque se joue actuellement à Bruxelles un drame entre le Parlement européen, qui demande l’augmentation d’une quinzaine de budgets, et le Conseil, qui refuse absolument cette demande.

Nous débattons donc aujourd’hui des 26,8 milliards d’euros que l’Union Européenne prélève à la France pour fonctionner, alors même que nous ne savons pas comment ces sommes seront dépensées.

Pas moins de 5,4 milliards supplémentaires demandés à la France par rapport à l’année dernière, soit 25 % de plus, alors que nous ne connaissons pas le résultat des négociations ! Ce n’est pas sérieux.

Nous ignorons d’autant plus la ventilation de notre cotisation à l’Union européenne, qu’un Brexit sans accord pourrait bouleverser la donne en France, économiquement et socialement. Des secteurs seraient en grande souffrance, il faudrait les soutenir. Alors que le Premier ministre britannique ne cesse d’agiter le spectre d’un no deal, une sortie sans accord, des millions de personnes sont dans l’attente d’une réponse franche et définitive. Le secteur du transport routier et maritime avec l’Angleterre risque d’être très lourdement pénalisé. Celui de la pêche est évidemment l’un des premiers concernés par ces négociations qui n’en finissent pas et dont l’issue est totalement inconnue. Le transport transmanche est, lui aussi, fortement diminué du fait de la double crise sanitaire et frontalière avec le Royaume-Uni.

Le Brexit, c’est aussi le sort des Irlandais du Nord et du Sud, qui est encore et toujours au centre des attentions.

Au-delà du Brexit, l’incertitude porte sur le plan de relance de l’Union européenne et le budget pour les années 2021 à 2027. L’erreur – qui semble être admise à Bruxelles – est de lier les deux : les pays dits frugaux – les radins, comme l’a dit Jean-Louis Bourlanges – ont tenté de créer un jeu à somme nulle, autrement dit, plus le plan de relance sera ambitieux, plus le budget 2021-2027 sera limité.

On est donc en train – comme toujours dans l’Union européenne – de faire passer l’argent avant les gens, pour le plaisir de pays qui se servent allègrement dans le budget de l’Union européenne, en exigeant des ristournes sur leur participation – 7,6 milliards d’euros par an. Pour eux, nous sommes à nouveau en train de sacrifier des secteurs économiques, des services publics, des emplois et, évidemment, notre planète.

Les rabais accordés aux pays frugaux vont donc augmenter de 7,6 milliards d’euros par an. Dans le détail, ce sont 3,7 milliards de rabais pour l’Allemagne, 1,9 milliard pour les Pays-Bas, 1,1 milliard pour la Suède, 565 millions pour l’Autriche et 377 millions pour le Danemark. Répartis entre chaque membre de l’Union européenne, ces rabais vont tout de même coûter aux Français près de 700 millions d’euros par an. Si l’on voulait illustrer les choses, on pourrait dire que, chaque jour, la France donnera 1 million d’euros à l’Allemagne. Chaque jour.

Avec toutes les négociations en cours, on se demande pourquoi le gouvernement français n’a pas encore mis sur la table l’avancée de la taxe sur les transactions financières – TTF – européennes !

Cela fait des années qu’on nous promet une taxe à cette échelle et, comme nous l’avons encore vu vendredi dernier lors d’une séance de nuit portant sur ce sujet, la négociation de cette taxe sur les transactions financières européennes sert de prétexte pour ne jamais faire évoluer la taxe sur les transactions financières au niveau national. Bruno Le Maire, qui, depuis trois ans, monte sans cesse au créneau pour nous annoncer qu’on est à deux doigts d’un accord sur la TTF européenne et qu’il est donc urgent de ne rien faire au niveau national, aurait-il oublié d’en parler à Bruxelles ?

Le principe est que la taxe serait indolore pour les entreprises mais très rentable et efficace pour les budgets nationaux. Mais, si l’on est capable de négocier sur des rabais qui se montent à 7,6 milliards par an, personne ne semble en mesure d’instaurer une taxe qui servirait à lutter contre la faim dans le monde, à améliorer la santé mondiale ou encore à préserver notre planète et à réparer les dégâts qu’on y a causés. C’est parfaitement regrettable.

Telles sont donc les inégalités qui existent à l’échelle de l’Union européenne, et c’est bien ce qui dégoûte les peuples de cette Union où tout n’est que négociations et promesses non réalisées. Dans une période de crise aussi intense que celle que nous connaissons, la géométrie variable n’est pas acceptable.

Comment applaudir un plan de relance, lorsqu’on sait qu’on a sacrifié tant de choses pour y parvenir ? Malgré les belles promesses qu’il contient, le rapporteur général du projet de loi de finances pour 2021 et le Gouvernement n’ont pas arrêté de refuser nos amendements, qui visaient à aider l’économie, sous prétexte que Bruxelles refuserait.

Alors que nous sommes en train de subir l’une des plus graves crises de notre histoire, et que l’Europe nous fait croire que son plan de relance résoudra tous les problèmes du monde, on se rend compte que la France n’a pas l’autonomie suffisante, indispensable pour créer les conditions d’une sauvegarde de son économie. À moins que Bruxelles ne soit la bonne excuse dont se sert la majorité pour laisser agir ce libéralisme économique qui ravage les peuples et détruit notre planète…

J’en veux pour preuve la tentative de la France de remettre à niveau la politique agricole commune qui, initialement, dans la nouvelle version du budget pour les années 2021 à 2027, était amputée. Si le drame semble moins grave que prévu, il n’en reste pas moins que la France a dû se battre pour éviter que, du jour au lendemain, Bruxelles ne tourne le dos à l’agriculture. Pourquoi ? Parce qu’à force de signer des accords de libre-échange détruisant les droits de douane et favorisant les exportations et importations de quotas de produits agricoles, les autorités de Bruxelles en sont venues à considérer que les agriculteurs en Europe n’étaient plus qu’un vague folklore !

Et l’Union européenne est allée jusqu’à supprimer les fameux POSEI, ces 280 millions d’euros qui financent l’agriculture et l’agroalimentaire dans les zones ultrapériphériques, dont nos départements et territoires d’outre-mer.

Là encore, le libéralisme économique a choisi son nouveau cap : créer une division internationale du travail en spécialisant les économies nationales grâce au faible coût du transport international. Pour les pays du MERCOSUR, c’est le soja et les bœufs ; pour l’Australie, le lait de vache et les moutons ; pour le Vietnam, les produits manufacturés d’entrée de gamme ; pour l’Europe, les machines-outils allemandes.
Outre qu’ils favorisent l’avènement d’un monde que nous rejetons de toutes nos forces, ces accords de libre-échange ont pour conséquence de supprimer les droits de douane que récupère l’Union européenne. Pourtant, comme les députés communistes le répètent tous les ans, les droits de douane sont les seules ressources propres de l’Union européenne : lorsqu’un euro de droits de douane est supprimé, Bruxelles se tourne vers les États membres et leur demande de le compenser pour maintenir à niveau le budget engagé.

Lorsqu’on voit la diminution énorme de la part des ressources propres dans le budget de l’Union européenne, il y a de quoi s’inquiéter. En trente ans, la part des droits de douane l’alimentant est passée de 28 à 16 %, et ce sont évidemment les États membres – nos impôts – qui ont compensé. Si la part des États membres a augmenté, ce n’est pas pour le meilleur, car si l’on libéralise les mouvements de marchandises, les humains, eux, ne subissent pas le même sort.

Avec l’agence FRONTEX – l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes –, l’Union européenne entrave tous les moyens des humains qui tentent de fuir la misère et les guerres – que nous avons contribué à créer – pour entrer sur le territoire européen.

Ainsi, le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne reste, comme les années précédentes, une cotisation injuste vis-à-vis des pays qui obtiennent un rabais. Et à quoi sert-il ? Il aide l’Union à établir des règles qui limitent certaines de nos actions au niveau national, à valider des accords de libre-échange et à être un poids mort dans la diplomatie mondiale. Alors que nous pourrions en faire une force plurielle, porteuse de valeurs démocratiques, elle se mue en une forteresse infranchissable pour éviter que les humains qui fuient la misère et les guerres ne se rendent chez nous.

Voilà ce qu’on nous propose. Les députés communistes ne peuvent évidemment pas valider ce projet ; nous proposons tout autre chose. Nous faisons passer les gens avant l’argent, et nous espérons qu’une Union européenne des peuples et des nations verra enfin le jour, dirigée par et pour eux, et non par et pour la finance. (M. Jean-Luc Mélenchon applaudit.)

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)

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