Interventions

Budget de l’État

Nvelle lect. PLF pour 2019

La période que nous traversons est historique. Nous pouvons être fiers de notre pays, fiers qu’il reprenne de la sorte goût à la politique et à la chose publique. Nos débats dans cet hémicycle, surtout sur les sujets financiers, prennent bien souvent une tournure technique, technicienne – les nouveaux venus dans cette assemblée, dont je fais partie, l’auront très rapidement constaté.
Mais derrière ces atours techniques, complexes et a priori neutres, ce sont des choix politiques qu’on trouve !
Nous pouvons nous réjouir de voir notre pays reprendre en main la chose fiscale : quel modèle fiscal voulons-nous ? Comment financer l’action publique ? Comment garantir le bon fonctionnement des services publics sur tout le territoire ? Et, surtout, comment remettre la justice au cœur de notre système fiscal ?
Nous assistons bel et bien au retour fracassant du peuple dans nos débats budgétaires. Cela est salutaire, mes chers collègues. Les questions posées par le mouvement des gilets jaunes portent, au fond, sur les fondamentaux de toute société démocratique. L’impôt nous permet de nous organiser en tant que communauté de destin. Si la question de l’impôt et du consentement à l’acquitter est de nouveau posée dans notre pays, c’est bien que nos concitoyens ont atteint un point de non-retour, exprimant un sentiment d’injustice inégalé.
L’injustice, des inégalités qui s’accentuent encore, le sentiment d’un deux poids deux mesures et celui d’un État qui prend à ceux qui ont peu pour donner à ceux qui ont tout, voilà ce qui ressort des paroles prononcées sur les ronds-points et dans les cortèges des manifestants, et voilà ce qui explique le large soutien de la population à ce mouvement inédit. Pourtant, certains, ici, jusqu’au plus haut sommet de l’État, tentent de surfer sur la vague d’un prétendu ras-le-bol fiscal, matraquant l’opinion publique de leurs sempiternelles ficelles néolibérales, vieilles comme le vieux monde, et instrumentalisant le mouvement social afin de saper toujours davantage le rôle de la puissance publique.
Les formules chocs, on les connaît : la France est le pays champion du monde de la dépense publique ; la France est le pays champion d’Europe des prélèvements obligatoires ; la France est le pays qui frise les 100 % de dette publique, lesquels menacent l’avenir des générations futures.
Notre pays, mes chers collègues, a fait le choix d’un modèle social protecteur, accordant un soutien à celles et ceux qui rencontrent des difficultés, subissent des accidents de la vie ou quittent le monde du travail. Pour ma part, à aucun moment je n’ai entendu, ces derniers jours, des voix appelant au détricotage de ce modèle, bien au contraire. Nos concitoyens sont conscients que le modèle alternatif, celui du tout privé, du chacun pour soi, celui de la charité, celui des fonds de pension, celui des assureurs privés, leur coûtera. Ou il sera plus cher, ou il offrira moins de garanties, ou les deux à la fois !
Le cri de la colère que nous entendons, c’est celui de l’égalité, de l’égalité fiscale et de l’égalité territoriale. La hausse de la fiscalité sur les carburants a été la goutte d’eau qui a fait déborder un vase déjà très largement rempli. Il est difficile, pour nos concitoyens, de comprendre et d’accepter d’être prélevés à la pompe quand, dans le même temps, ils constatent, ils déplorent devrais-je dire, des inégalités qui flambent et des services publics locaux toujours plus rabougris. La fracture territoriale est malheureusement une réalité. L’Allier, mon département, comme de nombreux territoires en dehors des métropoles, en est aussi une victime !
Que l’on en soit ici tous conscients : à chaque fermeture de trésorerie, à chaque ligne de train supprimée, à chaque maternité fermée, à chaque bureau de poste qui disparaît, à chaque école amputée d’une classe, à chaque entreprise délocalisée, c’est le sentiment d’abandon qui prospère. Et quand on s’en prend autoritairement à celles et ceux qui n’ont pas d’autre choix que d’utiliser leur véhicule pour leur vie quotidienne, pour aller au travail, pour s’occuper de leurs enfants et, tout simplement, pour vivre, on met le doigt dans un dangereux engrenage qui nous mène là où nous sommes actuellement.
Le niveau des dépenses contraintes, dépenses incompressibles, dépenses obligatoires, a flambé en l’espace de quelques décennies. Elles représentaient 12 % du revenu disponible dans les années 1950 ; elles s’élèvent désormais à près de 30 %. Bien entendu, moins on est riche, plus le fardeau de ces dépenses de logement, d’électricité, de gaz, d’assurance ou d’essence, est lourd à porter. Ajouter une fiscalité punitive à ce panorama témoignait d’un manque de discernement évident et d’une déconnexion certaine des réalités quotidiennes vécues par nos concitoyens. Il aura fallu une mobilisation historique pour que l’exécutif et sa majorité daignent commencer à s’intéresser au sujet.
Toutefois, les questions de fond posées par cette mobilisation ne sont pas réglées par cette seule annulation des hausses de taxes des carburants. Mettre la poussière sous le tapis ou faire comme si rien ne s’était passé serait irresponsable. S’il y a bien un indicateur que nous devons avoir en tête au moment d’aborder la nouvelle lecture de ce projet de loi de finances pour 2019, c’est le suivant : en dix ans, au nom de la crise financière, au nom de la sacro-sainte compétitivité de l’économie française et au nom de l’Europe, l’accumulation des réformes fiscales s’est traduite par un transfert massif du poids de l’impôt sur les entreprises vers les ménages.
En clair, entre 2008 et aujourd’hui, les entreprises contribuent moins au financement de l’action publique : ce sont les ménages qui ont réglé la note. Nous n’avons eu de cesse de dénoncer cette dérive injuste, au plan social, et inefficace, au plan économique, compte tenu de la situation de l’emploi dans notre pays et de celle du pouvoir d’achat. Les chiffres publiés par la revue Alternatives économiques sont stupéfiants. Entre 2008 et 2017, en volume, les impôts des entreprises ont augmenté de 6,4 %, soit bien moins que le PIB. Pour les ménages, ce volume a progressé de 22 %, c’est-à-dire trois fois plus.
Or vous nous proposez d’aller encore plus vite et plus fort, avec la baisse de l’impôt sur les sociétés, le doublement du CICE en 2019, pour 40 milliards d’euros, et les baisses et autres suppressions de cotisations sociales patronales. Il n’est donc pas étonnant que le pacte social se fissure, se déchire même, surtout que, s’agissant des ménages, vos mesures ont plutôt, et c’est un euphémisme, tendance à bénéficier au petit nombre, aux privilégiés, aux fameux « premiers de cordée ».
Acculé, le dos au mur, le Président de la République a multiplié les mesures en trompe-l’œil dans son allocution de lundi dernier. Hausse du SMIC ? Non, revalorisation de la prime d’activité, car cette mesure ne doit pas coûter à l’entreprise : telle est votre condition sine qua non ! Et tant pis si l’on fait payer la mesure par les contribuables, tant pis si celle-ci vous oblige à construire une véritable usine à gaz.
La désocialisation et la défiscalisation des heures supplémentaires constituent, pour leur part, des resucées éculées en matière budgétaire et fiscale. On attendait plus innovant de la part du nouveau monde ! Pour les retraités, enfin, le correctif proposé était nécessaire. Attention, toutefois : dans cette affaire, deux fois un ne font pas deux. La prise en compte du revenu fiscal de référence pour le calcul du taux de CSG engendrera de nombreuses déceptions pour des couples de retraités percevant moins de 2000 euros de pension par mois.
Vient désormais le temps du financement de ces mesures : 10 milliards d’euros sont à trouver, 10 milliards qui manquent, en l’état, au budget qui nous est soumis aujourd’hui. Le principe de sincérité budgétaire attendra.
Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour financer ces mesures ? Il est l’heure de dévoiler vos cartes, sans quoi le débat qui nous réunit aujourd’hui n’aura aucun sens. Il est l’heure, également, d’écouter enfin les propositions que nous vous faisons et qui, si j’ai bien compris, ne pourront pas même être discutées ici : c’est une véritable forme de censure.
Rétablissez l’ISF : ce seront 3 milliards de trouvés et un signe fort adressé à celles et ceux qui réclament plus de justice fiscale ! Supprimez la flat tax sur les dividendes : 2 milliards en plus ! La moitié du chemin serait alors faite, monsieur le ministre. Revoyez la progressivité de l’impôt sur le revenu, ce qui impliquerait, il est vrai, de faire preuve de courage politique, en touchant au grisbi, afin de ne pas financer vos mesures par l’endettement.
Compte tenu de l’état du pays et de ses besoins, ne pas toucher aux 40 milliards du CICE est une pure folie. Vous avez mis des digues autour de ce « pognon de dingue » : 40 milliards, c’est l’équivalent du budget de la défense ou des intérêts de la dette ! Revenez sur ce cumul et soutenez l’amendement que nous vous proposons. Vous passeriez plus sereinement les fêtes de fin d’année. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SOC.)

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Jean-Paul
Dufrègne

Député de l' Allier (1ère circonscription)

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