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Budget de l’État

PLF 2020 - Mission Recherche et Enseignement supérieur

« Ce n’est pas en améliorant la bougie qu’on a inventé l’électricité » : cette célèbre phrase de Niels Bohr, lauréat du prix Nobel de physique, exprime l’essence même de la recherche – la découverte, parfois fortuite, en tout cas loin d’une visée purement utilitariste de l’activité scientifique.

Le monde de la recherche en France dispose d’un immense potentiel humain et institutionnel. Mais, malgré la hausse du budget, des chercheurs font part de leur mal-être, de leur difficulté à mener à bien leurs missions, et plus généralement d’un manque de reconnaissance et d’une perte de sens de leur activité.

La liberté académique, la liberté de la recherche, se trouve de plus en plus contrainte par des crédits budgétaires insuffisants, mais aussi par un système d’attribution des fonds répondant à des critères toujours plus restreints. La lourdeur des tâches administratives, l’absence de visibilité financière et la précarisation toujours croissante des postes contribuent à expliquer la stagnation de notre recherche publique.

La généralisation des financements par appel à projets, en particulier à travers l’ANR, suscite des interrogations. Le très faible taux de succès – 16 % – et la baisse du budget moyen par projet depuis 2010 révèlent les limites de ce système. La loi de programmation pluriannuelle de la recherche devra répondre en priorité à ce problème par une augmentation des crédits de base, afin de permettre des recherches plus libres, plus exploratoires.

Il faut oser prendre le risque de financements non pilotés, car bien des grandes découvertes sont issues de telles initiatives. Alors que, dans le monde économique, l’accent est mis sur l’innovation et sur la valorisation de la prise de risque, il est regrettable que cette réflexion ne soit pas transposée dans le domaine de la recherche publique.

De plus, la précarisation des chercheurs, des chercheuses et des personnels qui les assistent s’accentue. La baisse des emplois permanents et la multiplication des CDD participent à la fragilisation de notre recherche. Les recrutements de maîtres de conférences ont diminué de 36 % entre 2012 et 2018. À l’INRA, 43 % du personnel est constitué de contractuels. Le recours au CDD doit pourtant être l’exception. Ce constat rejoint mes précédentes remarques : une recherche plus libre, plus indépendante, nécessite des postes stables.

Je m’inquiète donc des projets de titularisation conditionnée ou de CDI de mission scientifique. Tout ce qui rend l’emploi précaire affaiblit mécaniquement notre système de recherche. Les risques psychosociaux y sont d’ailleurs de plus en plus présents ; sur ce point, nous devons entendre les alertes des syndicats. Au CNRS, le bilan social de 2016 faisait état de 955 permanents et 87 contractuels sous surveillance, en particulier pour risques psychosociaux.

Concernant l’enseignement supérieur, l’augmentation de 175 millions d’euros et la hausse de 67 millions d’euros pour la vie étudiante ne couvrent pas les besoins liés à la hausse de la démographie étudiante. Entre 2011 et 2018, le budget par étudiant est passé de 11 000 euros à 10 300 euros. Notre pays comptera en 2022 2,8 millions d’étudiants, soit une hausse de 6,7 % depuis 2017 : c’est une très bonne chose, car les défis posés à l’humanité appellent connaissances et compétences ; mais l’enseignement supérieur doit avoir les moyens financiers de les accueillir.

À cela s’ajoute la concurrence de plus en plus exacerbée entre universités, due à leur autonomie, à la chasse aux labels, à des regroupements qui s’opèrent trop souvent dans des conditions discutables. Cela risque de déboucher sur un enseignement supérieur à plusieurs vitesses, partagé entre les grandes structures répondant aux critères internationaux et les autres établissements, qui seraient relégués. Or c’est d’une université ouverte et accessible à tous que notre pays a besoin.

Le Conseil constitutionnel vient de consacrer le principe de gratuité de l’enseignement supérieur : je profite de l’occasion qui m’est donnée pour demander une nouvelle fois au Gouvernement de revenir sur la hausse des frais d’inscription pour les étudiants extracommunautaires, mesure injuste, discriminatoire et contraire à l’essence même de l’université.

Enfin, la Gauche démocrate et républicaine exprime de sérieux doutes au sujet du budget dédié à l’accompagnement du handicap dans les établissements d’enseignement supérieur, qui reste strictement identique depuis 2015, alors que le nombre d’élèves concernés est en hausse – ce dont nous devons nous féliciter. Pour toutes ces raisons, les députés de mon groupe voteront contre ce projet de loi.

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Marie-George
Buffet

Députée de Seine-Saint-Denis (4ème circonscription)

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