Interventions

Budget de l’État

PLF 2021 - Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales

Alors que nous entamons la discussion sur le budget agricole, je ne peux m’empêcher de penser aux agriculteurs de mon territoire, notamment à ceux du pays de Bray, frappés très fort par la baisse du prix du lait ; je pense à eux et à leurs inquiétudes.

Au printemps dernier, nous avons traversé une crise sanitaire sans précédent – et nous nous apprêtons à en traverser une autre – qui a considérablement bouleversé notre agriculture. Même s’ils ont su innover et réagir, les paysans de France ont été marqués, des filières entières ont été fragilisées voire menacées, comme la filière cidricole de Normandie, mais aussi la filière viande, la filière laitière et la pêche – je n’aurai pas le temps d’en parler, mais je sais que les pêcheurs ont été profondément bousculés. Alors que se profile la baisse de la valeur nette de la politique agricole commune, toutes ces filières attendent beaucoup de notre débat.

Alors que la situation exigeait du Gouvernement et de la majorité un plan d’urgence à la hauteur des défis, vous ne consacrez à ces filières qu’1 % du montant du plan. Certes, on y trouve des pistes intéressantes – j’y reviendrai –, mais les moyens nous semblent manquer cruellement.

Pris globalement, le budget de l’agriculture stagne, certaines de ses missions essentielles diminuant même : vous prévoyez une baisse de près de 23 millions d’euros des crédits dédiés à la modernisation et au renouvellement des exploitations, et de 12 millions d’euros de ceux alloués à la gestion équilibrée des territoires ; ces mesures sont incompréhensibles dans le contexte actuel.

Face aux grands enjeux que traverse notre agriculture, les moyens alloués par le budget sont insuffisants. Avec ce budget – c’est la question centrale pour les députés communistes –, les paysans ne seront pas protégés par le marché roi. En Normandie, par exemple, la filière laitière est à nouveau sacrifiée sur l’autel du sacro-saint marché : les firmes internationales saignent les revenus des producteurs pour augmenter leurs marges, et les laitiers sont sommés de se convertir à l’agriculture bio – ce qui pourrait être un objectif louable –, mais sans toucher de moyens de la part de l’État, alors que leurs revenus fondent au soleil, à cause des fluctuations des cours mondiaux.

Par ailleurs, deux ans jour pour jour après sa promulgation, le budget de l’agriculture ne tire toujours pas les enseignements de la loi EGALIM – pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous. La grande distribution et les firmes agroalimentaires continuent de faire la loi, et nos paysans ne peuvent plus vivre de leur métier – il y avait pourtant bien des embouteillages devant les supermarchés ces derniers jours – ni répondre seuls à des injonctions sociétales légitimes.

Alors, à quand un plan de régulation des prix ? À quand des mesures fiscales contraignantes contre les entreprises qui se gavent sur le dos des paysans ? À quand un investissement massif et pérenne dans la transformation des exploitations, notamment afin d’engager une bifurcation écologique ? Ce ne sera pas pour cette année, apparemment, bien que d’autres menaces se profilent : le CETA – l’accord économique et commercial global avec le Canada – et l’accord de libre-échange avec le MERCOSUR – le Marché commun d’Amérique du Sud – sont toujours dans le viseur et, au lieu de proposer des mesures de protection contre le dumping social et environnemental, vous vous apprêtez à libre notre agriculture à une PAC qui n’est pas à la hauteur.

Face à la destruction de notre population agricole, les moyens manquent. Alors que notre forêt brûle – Mathilde Panot en a fait la brillante démonstration – et qu’elle a besoin de moyens supplémentaires, quatre-vingt-quinze emplois vont encore être supprimés en 2021. Les moyens manquent pour lutter contre une précarité alimentaire de plus en plus courante au niveau mondial – Dominique Potier l’a rappelé – mais également dans notre pays : 5,5 millions de Français étaient concernés en 2019, et la crise va aggraver la faim. Les moyens manquent aussi pour répondre au défi de la transformation des filières vers l’agroécologie.

Vous avez beau accomplir beaucoup d’efforts, monsieur le ministre, faire preuve d’écoute et de respect, être plus engagé que votre prédécesseur, vos intentions ne sont hélas pas accompagnées de moyens.

L’austérité vous commande de réduire les moyens et emplois dans les administrations locales, qui accompagnent pourtant nos paysans, mais aussi ceux de l’enseignement public agricole et de la recherche publique appliquée, alors même que, dans de nombreuses filières – en particulier la filière lin, chez moi –, les besoins sont immenses, notamment face au défi du réchauffement climatique qui les frappe durement.

Bien sûr, nous saluons des ouvertures et des prises de conscience, notamment l’instauration du plan protéine que nous demandions – Dominique Potier l’a évoqué –, et de plans alimentaires territoriaux. Ce sont de bonnes mesures. J’espère que l’ouverture d’esprit dont vous faites preuve s’agissant du foncier agricole se concrétisera. Cependant, le budget ne prévoit pas de moyens pour accompagner tout cela.
J’aurais voulu dire aux paysans du pays de Bray, aux laitiers et aux éleveurs, que, cette fois, le Gouvernement avait pris la mesure de la crise, qu’il exigeait enfin une nouvelle PAC ambitieuse et protectrice, mais j’ai bien peur de ne pas pouvoir le faire encore aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle nous voterons contre les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)

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Sébastien
Jumel

Député de Seine-Maritime (6ème circonscription)

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