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Budget de l’État

« Au nom de la dette, vous justifiez tous les renoncements ! »

Au nom de la dette, vous justifiez tous les renoncements : le renoncement aux investissements dans la transition écologique, le renoncement aux conquis sociaux du passé comme la retraite à 60 ans, le renoncement à des services publics modernisés et confortés, comme le montre l’état de l’hôpital public ou de l’éducation nationale.

Le présent débat n’a donc qu’un unique but : celui de contraindre, de corseter, de désespérer. Pour cela, vous usez de tous les artifices, en comparant des navets et des carottes, ou plutôt des stocks et des flux. Est donc répété le sempiternel ratio de dette sur PIB, qui s’élève à 112 %, soit, à gros traits, 3 000 milliards d’euros de dette contre 2 700 milliards de PIB. Il n’en demeure pas moins que la durée de remboursement de la dette est proche des neuf ans, si bien que, pour être logiques, nous devrions la comparer à neuf années de PIB, c’est-à-dire à plus de 24 000 milliards d’euros.

Ce que nous payons vraiment chaque année, ce sont les intérêts de la dette. Voilà son véritable coût ! Or celui-ci s’élèvera à 48 milliards d’euros en 2024, soit moins de 2 % du total des richesses créées dans notre pays.

C’est très peu en comparaison des choix collectifs opérés par notre peuple, tels que l’instauration de la sécurité sociale, des grands services publics ou encore des services de proximité, soutenus par les collectivités locales.

Je ne puis d’ailleurs m’empêcher de souligner que l’endettement des États-Unis ou du Japon est bien supérieur au nôtre, sans que cela ne les fasse sourciller le moins du monde.

Cela étant rappelé, la sidération de la dette, la domination de la dette, y compris comme instrument d’asservissement dans le débat public, n’est pas un fait naturel. Elle est le fruit d’une lente évolution, concomitante à celle du néolibéralisme, dont l’objectif politique est de réduire la place de l’État, ce qui s’est vérifié dans tous les pays développés ayant accepté le capitalisme financier.

Deux vecteurs ont servi cet objectif.

Le premier est le désarmement fiscal vis-à-vis des plus hauts patrimoines et le report des prélèvements obligatoires vers les classes moyennes et modestes par l’intermédiaire des impôts régressifs. Je rappelle à cet égard que les 500 plus hauts patrimoines ont doublé en quatre ans. Et n’oublions pas non plus que la financiarisation de l’économie s’est accompagnée de mécanismes d’optimisation et de fraude fiscales qui font perdre des centaines de milliards de ressources au niveau européen.

Quant au second vecteur de la domination de la dette, il s’agit de l’abandon par l’État de son rôle de commandement vis-à-vis des marchés financiers, notamment par la suppression du circuit du Trésor. S’agissant de la dette publique, cela se traduit par la normalisation de l’emprunt, avec pour aboutissement l’adjudication des titres de dette et la création d’un marché secondaire de revente. Désormais entre les mains des créanciers privés, la dette publique pouvait enfin devenir l’outil de domination et de gouvernement qu’il avait vocation à devenir pour contraindre l’élaboration des politiques publiques.

Ce bref rappel permet de mettre en exergue un constat toujours ignoré dans le débat public. Qu’il s’agisse des objectifs de dette, de déficit ou de coût de l’endettement, les contraintes induites par la dette publique sont des paradigmes que les libéraux européens, par le biais de différents traités et avec le soutien des gouvernements successifs, ont réussi à imposer aux peuples d’Europe, y compris en piétinant le résultat du référendum de 2005, qui aurait pourtant dû ouvrir une autre voie.

Au même titre que les contraintes que nous nous sommes fixées concernant notre dette publique, l’augmentation de celle-ci depuis de nombreuses années résulte aussi de choix politiques. Outre les cadeaux fiscaux inhérents aux politiques libérales européennes, je m’interroge sur les choix de la Banque centrale européenne (BCE) qui, avec la hausse des taux directeurs, ont une incidence sur toutes les obligations assimilables du Trésor et vous permettent, monsieur le ministre, de sans cesse nous mettre en garde sur la charge de la dette – même si celle-ci, je l’ai dit, est inférieure à 2 % du PIB et ne pèse pas sur les générations futures.

Je terminerai par deux propositions.

La première est une évidence. Dans la mesure où, en période de crise, la BCE rachète les dettes souveraines par centaines de milliards, pourquoi ne pas instaurer directement un circuit du Trésor européen ?

Quant à la seconde, elle tient particulièrement à cœur au groupe Gauche démocrate et républicaine, qui rassemble les députés communistes et les progressistes ultramarins. Alors que nous faisons face à une urgence écologique et climatique, le Gouvernement ne pourrait-il pas sortir du calcul de la dette au sens de Maastricht les moyens mobilisés pour décarboner l’économie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES. – Mme Sophie Taillé-Polian applaudit également.)

Il est grand temps de sortir de la phase de sidération de la dette – celle-là même qui conduirait à penser que la seule option valable et soutenable serait la réduction des dépenses publiques. C’est ce à quoi nous nous emploierons lors de l’examen de ce PLF pour 2024, pourvu que le Gouvernement nous laisse la possibilité de montrer qu’un autre modèle est possible. Il se pourrait en effet que notre hémicycle connaisse d’ici peu une dette de débat qui, elle, sera bien réelle. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES. – M. le président de la commission applaudit également.)

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Nicolas
Sansu

Député de Cher (2ème circonscription)

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