Interventions

Budget de la Sécurité sociale

Nlle lect. PLFSS 2020 (Motion de rejet préalable)

En cette journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, comment ne pas appeler de nouveau à la prise de conscience et à la mobilisation de toute la société ? De nombreux témoignages viennent nous montrer l’étendue, la gravité et la persistance de ces violences, qui structurent les relations sociales. Ces violences psychiques, physiques, sexuelles sont insupportables. Bien souvent, elles mènent à la mort. J’ai en tête, alors que je vous parle, trop de visages de femmes aux rêves abîmés et aux vies ébréchées, cherchant secours. Nous devons faire aujourd’hui un véritable saut civilisationnel.

J’en viens maintenant au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020. J’entends encore les propos des représentants de la majorité se réjouissant de ce texte et le présentant comme « une loi d’engagement », « un projet de responsabilité et de promesse ». Il n’y a guère que vous, mesdames et messieurs de la majorité, que ce projet a réjoui. C’est toujours ça de pris, mais c’est quand même très peu de chose.

Nous savions toutes et tous que ce PLFSS, malgré quelques décisions remarquables, ferait long feu. Nous savions tous et toutes qu’il ne tiendrait pas la mer face au puissant mouvement social hospitalier installé dans le pays depuis des mois. Nous savions qu’il n’était pas en mesure de répondre aux enjeux, aux défis, aux besoins.

Nous avons été plusieurs à dire – et peut-être un peu plus nombreux encore à le penser – que ce texte devait être considérablement corrigé et que, pour cela, nous aurions sans doute à nous revoir, comme ce fut le cas l’année dernière, malgré les mêmes alertes, sans d’ailleurs qu’elles aient été réellement entendues.

Le budget que nous avons examiné en première lecture n’était pas réaliste et sans doute pas sincère. Il a pourtant été adopté tel quel, sans barguigner : advienne que pourra !

Le Gouvernement nous dit avoir manqué de temps ; il a fait de nouvelles annonces, sorties du chapeau. Je ne veux pas polémiquer sur le calendrier, mais cette séquence illustre de nouveau l’affaiblissement d’un Parlement auquel on manque trop souvent de respect. (M. Boris Vallaud applaudit.) C’est d’ailleurs ce qui a conduit le Sénat à rejeter le PLFSS pour 2020 : il a refusé de jouer le rôle de potiche dans une mascarade.

Ne s’agissait-il pas, en réalité, de sacrifier le calendrier parlementaire à la tactique politique pour affaiblir la portée du mouvement social hospitalier et la grosse journée d’actions du 14 novembre dernier ?

Depuis deux ans et demi, de nombreuses oppositions à la politique du Gouvernement se sont exprimées, et de nombreuses revendications ont émergées. Depuis deux an et demi, systématiquement, le Gouvernement s’est évertué à ne pas céder un pouce de terrain, à ne faire droit à ces revendications, à ne pas donner raison à ses interlocuteurs – en tout cas, il fallait que la concession soit la moins large possible. (Mme Caroline Fiat applaudit.) À chaque fois, il a fait semblant, il a triché, il a resquillé.

Le problème, c’est que cela ne marche pas et que cela se voit. L’année dernière, par exemple, le Gouvernement a pris des mesures d’urgence pour augmenter le pouvoir d’achat, mais sans réellement l’augmenter. Il n’a jamais renié sa volonté de contourner le salaire et d’affaiblir les ressources de la sécurité sociale. Et cette année, voilà qu’on invente les mesures d’urgence pour sauver l’hôpital, sans vraiment sauver l’hôpital !

Première mesure : le relèvement de l’ONDAM. Rien n’était possible sans ce relèvement, mais l’ONDAM est passé, en réalité, de 2,5 % l’an dernier à 2,45 % cette année. Vous aviez programmé 1 milliard d’euros de compression des dépenses de santé hospitalières ; vous renoncez à 300 000 millions : je pose 10 et je retiens 3, il reste 700 millions.

Le diagnostic est simple : l’hôpital public n’est pas en mesure d’absorber ce nouveau choc. Il ne faut pas faire un peu plus que si c’était moins : il faut faire plus, tout court. Il faut augmenter l’ONDAM au moins jusqu’à 4,5 %, pas simplement pour entériner l’augmentation naturelle des dépenses de santé, mais aussi pour engager un rattrapage des tours de vis répétés depuis tant d’années.

Deuxième mesure : la reprise d’une partie de la dette. Les charges économisées ne suffiront pas à combler le manque que je viens d’évoquer. Cette reprise est cependant nécessaire. Il faut mettre fin à l’hypocrisie d’un système dans lequel la collectivité fabrique de la dette et la fait peser sur les établissements, avec des charges financières indécentes. Tout cela appelle plusieurs remarques.

Tout d’abord, il ne faut pas reprendre un tiers de la dette, mais la reprendre entièrement. On se demande d’ailleurs comment vous choisirez ce qui doit être repris et ce qui ne le peut pas. En réalité, on a demandé aux hôpitaux de financer exagérément l’investissement sur leur budget de fonctionnement, et de dégager de la marge sur les soins. C’est un système incohérent, dont on connaît les résultats.

Ensuite, la reprise de la dette hospitalière ne doit pas s’assortir de mécanismes austéritaires comme ceux du COPERMO, le comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers, qui exige, en contrepartie de son aide, des restrictions et des suppressions de lits et de personnels.

Enfin, la reprise de la dette hospitalière ne doit pas mettre un coup d’arrêt à l’investissement, car l’investissement est nécessaire. Il ne suffit pas de reprendre un tiers de la dette, il faut dire comment mettre fin à un système dans lequel les hôpitaux sont obligés d’en fabriquer. Il faut revenir aux prêts à taux zéro de la sécurité sociale pour le financement des investissements lourds.

Troisième mesure : la distribution de primes. Primes de quoi ? Primes de travail ! Salaires déguisés, mais sans visibilité sur la pérennité et sans droits afférents. Primes jugées modestes. Primes pour les uns et pas pour les autres. Vous répondez aux attentes en matière de reconnaissance du travail, des métiers et de la pénibilité des tâches, et au problème d’attractivité des hôpitaux, par la formule : « Il n’y en aura pas pour tout le monde ! » Cela se traduira, de toute évidence, par un nouveau contournement du salaire. Quel est le sens d’une telle approche si ce n’est une nouvelle tentative de division sociale ?

Le plan prétendument sans précédent que vous présentez annonce surtout le plan suivant. C’est le quatrième en trois ans, parce que vous ne choisissez pas de répondre vraiment, ou plutôt parce que vous choisissez de ne pas répondre vraiment. D’après ce que j’ai observé, ce plan n’a pas fait retomber la mobilisation sociale ; il a plutôt attisé la colère et provoqué la déception. Il n’est pas sérieux de s’en tenir là.

Il s’agit cependant d’une première victoire pour le mouvement social hospitalier, d’une première reconnaissance de la situation de crise aiguë de l’hôpital public, qui n’aurait pas eu lieu sans la mobilisation de longue haleine des personnels de santé, des personnels des urgences, de la psychiatrie et de l’ensemble des services hospitaliers. Les batailles valent donc d’être menées !

Comment adhérer à ce scénario, non pas un scénario « de ouf », mais un scénario du « ouf ! », un scénario du soulagement, qui vise à fabriquer du renoncement ? Pour nous, l’histoire n’est pas terminée.

Dans les annonces du Gouvernement, quels sont les objectifs en termes de créations de postes ? Quel est le plan d’embauches de l’hôpital public ? De quel plan de formation les professionnels de santé ont-ils besoin ?

La première revendication des personnels, c’est d’avoir des collègues : d’être suffisamment nombreuses et nombreux pour pratiquer les soins, pour être en mesure de donner ce qui est attendu d’elles et d’eux. Dans les annonces, qu’en est-il des fermetures de lits, dont le nombre s’est élevé à 18 000 en six ans, entre 2010 et 2016 ? C’est aussi cette évolution qui conduit à l’engorgement des urgences et à la dégradation des soins.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait rien à revoir dans l’organisation des soins. Il faudrait d’ailleurs dresser le bilan des groupements hospitaliers de territoire – GHT –, des contrats d’amélioration de la qualité et de l’efficience des soins – CAQUES – ou du virage ambulatoire. Il faudrait également dire ce que l’on entend faire s’agissant des opérations de vente d’établissements publics au secteur privé lucratif. Il faudrait aussi relever le niveau du service public pour l’autonomie.

Ce nouveau projet, qui ne tient sa nouveauté que du dépôt tardif d’un amendement gouvernemental révisant l’ONDAM, n’est pas beaucoup plus réaliste que le premier. Et si nous disons tout cela, ce n’est pas pour jouer les M. ou Mme Plus, parce que nous nous complairions dans la peau des éternels insatisfaits, ou en raison d’une opposition de principe : nous voudrions pouvoir voter enfin un budget de la sécurité sociale satisfaisant, qui lance une nouvelle dynamique, à la mesure de l’importance de la santé aux yeux des Françaises et des Français, dont elle est la première préoccupation. Si nous disons tout cela, c’est parce que les mesures attendues sont finançables.

Mais le Gouvernement a choisi de rester enfermé dans sa logique de sous-financement de la sécurité sociale, d’exonérations massives, de diète sévère du service public. Il a choisi de se passer de recettes dont nous avons besoin. Il a choisi – et c’est comme un symbole – de ne pas compenser les exonérations de cotisations sociales à hauteur de 2,8 milliards d’euros. Le simple renoncement à cette mesure apporterait déjà beaucoup.

J’ai conscience, en défendant cette motion, de demander que l’on rende la main au Gouvernement puisque, si elle était adoptée, celui-ci procéderait par ordonnances. Mais au point où nous en sommes… La main, hélas, le Gouvernement l’a déjà. En revanche, si la motion est adoptée, le message sera clair : malgré les nouvelles annonces, sa proposition ne tient pas, elle ne suffit pas.

En ce 25 novembre, où tout arbre prend racine, vous devriez changer de plan, madame la ministre, monsieur le ministre. Vous faites peut-être le pari qu’« à la Sainte-Catherine, les sardines tournent l’échine » (Sourires), mais n’oubliez pas la suite du proverbe : « à la Saint-Blaise, elles reparaissent ». (Mêmes mouvements.) Soyez certains qu’elles n’attendront pas jusque-là ! À la première version, vous vous réjouissiez ; à la deuxième, je ne sais comment vous allez sublimer ce sentiment ; imaginez ce que cela donnera à la troisième ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et FI.)

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Pierre
Dharreville

Député des Bouches-du-Rhône (13ème circonscription)

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