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Accaparement des terres agricoles

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je me réjouis de l’examen de cette proposition de loi qui, avant tout, remet sur la table parlementaire des dispositions adoptées dans le cadre de l’examen de la loi Sapin II mais censurées par le Conseil constitutionnel sous prétexte qu’il s’agissait d’un cavalier législatif.
Comme beaucoup d’entre vous, nous avions été alertés, en tant que parlementaires, par plusieurs organisations syndicales agricoles nous faisant part de leur incompréhension devant la saisine du Conseil et sa décision. Mais sans doute s’agissait-il en invalidant ces dispositions, une fois de plus, de prouver la véracité de ce terrible constat d’Honoré de Balzac dans La Maison Nucingen : « Les lois sont des toiles d’araignées à travers lesquelles passent les grosses mouches et où restent les petites » – là était peut-être l’objectif recherché…
Nous le savons, la politique foncière est un pilier de toute politique agricole et alimentaire qui participe de l’orientation globale de notre modèle agricole et de la structure des exploitations sur le territoire national. Nous le savons aussi, elle est un enjeu important pour le renouvellement et l’installation de nos jeunes agriculteurs, trop souvent confrontés à des problèmes touchant au foncier lorsqu’ils débutent leur activité.
Nous faisons également le constat qu’il en est du foncier agricole comme de l’ensemble des secteurs économiques : les montages financiers et techniques permettant de rentabiliser des investissements et d’encourager des placements spéculatifs se multiplient, comme l’ont fort bien expliqué le rapporteur, le ministre et la présidente de la commission. Ils s’appuient, dans le secteur agricole, sur une spécialisation territoriale des productions qui, si elle ne date pas d’hier, vient renforcer la pression foncière, et sur des stratégies de captation d’une rente foncière dans certains territoires très spécialisés – je pense en particulier aux territoires viticoles mais, nous en faisons le douloureux constat depuis quelques années, cela concerne aussi désormais des territoires céréaliers, voire des prairies naturelles.
L’affaire, largement commentée, des investisseurs chinois ayant racheté 1 700 hectares dans l’Indre n’est que la face visible des dérives financières et foncières qui menacent notre modèle agricole et ses structures, encore très largement familiales, et sont la déclinaison, monsieur le ministre, dans le domaine agricole, de ce que Engels et Marx appelaient « les eaux glacées du calcul égoïste ».
Nous le savons, les représentants des organisations syndicales et professionnelles agricoles nous ont régulièrement interpellés ces dernières années, notamment lors de l’examen du dernier projet de loi d’avenir pour l’agriculture, sur les dangers de ces montages, sur le contournement des outils et des mesures de contrôle des structures opéré à des fins spéculatives notamment par des acteurs financiers sans lien avec l’agriculture.
Comme l’ensemble des députés de mon groupe, je suis tout à fait favorable à la reprise « en urgence » des dispositions adoptées dans le cadre de la loi Sapin II, que vous venez de rappeler, monsieur le rapporteur, et je salue votre réactivité sur un sujet qui vous est particulièrement cher.
L’article 1er de cette proposition de loi, qui me paraît tout à fait essentiel, consacre le principe de l’acquisition de foncier agricole uniquement par des sociétés dont l’objet principal est la propriété agricole. Les dispositions suivantes en faveur du renforcement du droit de préemption des SAFER sur la cession de parts de sociétés agricoles sont également des avancées importantes, dont il faudra cependant évaluer les effets concrets après l’entrée en vigueur du texte.
Nous sommes bien entendu également favorables aux dispositions du titre II de cette proposition de loi relatives au développement du biocontrôle. Au regard des objectifs de réduction de l’usage des produits phytosanitaires, il ne faut sous-estimer aucune voie permettant de mieux maîtriser l’utilisation des produits de l’agrochimie et de leur substituer des produits de biocontrôle.
Vous le savez, les députés communistes – j’ai bien dit les députés communistes – ont toujours été très attachés à un modèle d’exploitation familiale et à taille humaine qui a l’immense mérite d’ancrer des actifs et des familles sur nos territoires, mais aussi de faciliter la transmission de ces structures.
Nous avons souvent, sur ce point, été taxés de conservatisme. Mais aujourd’hui, cette nouvelle agriculture toujours plus productiviste, toujours plus mécanisée, toujours plus dépendante de la chimie, toujours plus boulimique de grands espaces, cette agriculture qui se disait moderne, dans le vent du progrès, se révèle être la plus inadaptée à la double exigence du respect de l’homme et de la planète, et, nous l’avons vérifié au cours des derniers mois, la plus contre-productive économiquement et, au final, la plus rétrograde.
Nous défendons depuis longtemps le choix de politiques publiques fortes dans le domaine agricole. En matière foncière, il nous appartient collectivement de construire une politique rénovée qui permette de limiter, voire d’inverser, les processus de concentration et d’hyper-spécialisation territoriale des productions, de garantir l’accès au foncier des jeunes agriculteurs qui souhaitent s’installer et de favoriser les exploitations à taille humaine, en particulier là où la spéculation foncière est la plus forte.
De la même manière qu’y participent les dispositions qui nous sont présentées aujourd’hui, continuons d’élaborer une politique foncière ambitieuse et résistante, au service de la pérennité de nos structures agricoles à taille humaine, face aux pressions multiples auxquelles les terres agricoles doivent faire face, qu’il s’agisse des changements de destination à des fins non-agricoles et liées à l’urbanisation ou de l’accaparement de terres à des fins spéculatives.
Accaparement des terres, développement du biocontrôle : puisque ce texte porte sur deux sujets en apparence si différents, permettez-moi de m’accorder un petit plaisir et de conclure en rappelant, une fois de plus, ces belles paroles, que nous aimons tous ici, attribuées au chef amérindien Seattle en 1854, que nous devrions connaître par cœur : « Toutes choses sont liées […] Tout ce qui arrive à la terre arrive aux fils de la terre […] Nous le savons : la terre n’appartient pas à l’homme, c’est l’homme qui appartient à la terre. Nous le savons : toutes choses sont liées comme par le sang qui unit une même famille. Tout ce qui arrive à la terre arrive aux fils de la terre. L’homme n’a pas tissé la toile de la vie. Il n’est qu’un fil de tissu. Tout ce qu’il fait à la toile, il le fait à lui-même ». Ces phrases, nous devrions les réciter avec beaucoup d’humilité et de détermination. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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