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Accès à l’eau (Niche FI)

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, la France n’est pas confrontée à un défi de pénurie d’eau comme c’est le cas dans d’autres régions du monde, ce qui fait d’elle un territoire privilégié. Pourtant, d’un côté, nous la gaspillons et, de l’autre, nombreuses et nombreux sont nos concitoyennes et concitoyens qui n’ont pas un accès garanti à l’eau potable et à l’assainissement – je pense tout d’abord aux personnes sans domicile ou aux familles mal logées, pour qui l’accès à l’eau et à l’hygiène est extrêmement difficile. Notre pays n’est pas capable de fournir à toutes et à tous les conditions nécessaires à une dignité élémentaire.
De plus, de nombreuses familles modestes ont des difficultés à régler leurs factures et consacrent une part trop importante de leurs revenus à l’accès à l’eau.
Enfin, notre modèle de consommation et notre modèle de production mettent en péril nos ressources en eau et engendrent des pollutions toujours plus importantes des nappes et des cours d’eau. Or, l’eau est un bien commun de l’humanité, qui ne peut être malmené par la recherche de profits et le bien-être des actionnaires. Cette proposition de loi est un appel salutaire à nous emparer pleinement de ces enjeux et à rendre enfin effectif le droit à l’eau, qui est un droit fondamental.
Le droit à l’eau, c’est le fait pour une personne de disposer chaque jour d’une quantité suffisante d’eau potable pour répondre à ses besoins élémentaires, de disposer d’équipements lui permettant d’assurer son hygiène, son intimité et sa dignité ou de pouvoir accéder à de tels équipements, et de pouvoir utiliser des services et réseaux d’assainissement dans des conditions compatibles avec ses ressources.
L’article unique de cette proposition de loi nous propose de consacrer en droit interne le droit à l’eau comme un droit fondamental en l’inscrivant dans la Charte de l’environnement, c’est-à-dire dans notre bloc constitutionnel, la plus haute norme juridique. Son inscription dans cette Charte donnera ainsi toute sa plénitude au droit humain à l’eau potable et à l’assainissement.
Cette transcription en droit interne est d’autant plus urgente que le droit international l’a fait depuis déjà de nombreuses années. En effet, en droit international – l’exposé des motifs de cette proposition de loi le rappelle – le droit à l’eau est un droit fondamental. En 2000, l’Assemblée générale des Nations unies a en effet déclaré que « le droit à l’eau pure est un droit de l’homme fondamental. » De même, une résolution de l’ONU, en 2010, souligne « l’importance que revêt l’accès équitable à une eau potable salubre et propre et à des services d’assainissement, qui fait partie intégrante de la réalisation de tous les droits de l’homme ». Ainsi, il convient d’être cohérent avec le droit international et d’inscrire le droit à l’eau comme droit fondamental.
Si depuis 2006 et la loi sur l’eau et les milieux aquatiques – dite loi LEMA – notre droit dispose que « chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable, dans des conditions économiquement acceptables par tous », force est de constater que ce n’est pas encore le cas, douze ans après. Il y a donc urgence à agir contre les discriminations quant à l’accès à l’eau dans notre pays.
Tout d’abord, il existe une inégalité sur le plan économique. Le budget des ménages français consacré à l’eau est en moyenne de 1,25 %. Pour autant, cette part augmente sensiblement pour les ménages les plus modestes, dépassant les 3 % pour de nombreux foyers et allant jusqu’à 6 % pour les plus bas revenus. Ce taux d’effort n’est pas acceptable, il est beaucoup trop important . Le Programme des Nations-Unies pour le développement définit lui-même comme non tolérable un taux d’effort dépassant les 3 % pour un ménage. Les difficultés sont réelles pour nombre de familles françaises, qui ne peuvent régler tout ou partie de leurs factures d’eau, ce qui entraînent des situations dramatiques.
La loi Brottes du 15 avril 2013 a en partie remédié à ces difficultés en essayant de mettre fin aux intolérables coupures d’eau. Pourtant, il existe encore des pratiques illégitimes de la part de compagnies privées visant à ne laisser couler qu’un mince filet d’eau en cas de factures impayées.
Le système d’aide actuel est lacunaire et inefficace car essentiellement curatif, faute d’anticiper suffisamment en amont les difficultés des ménages. Le Fonds de solidarité pour le logement peine à aider toutes les familles en difficulté. Le financement du fonds est trop aléatoire et un quart des départements n’ont pas inclus l’accès à l’eau dans ses prérogatives. De plus, le fonds ne prend au mieux en charge que 30 % d’une facture par an. Les coûts de gestion sont très élevés par rapport à l’aide apportée. Il faut convenir rapidement d’un autre système, telle une allocation de solidarité qui agirait préventivement pour les foyers les plus modestes, comme dans la proposition de loi de 2015 – à l’élaboration de laquelle j’avais participé – visant à la mise en œuvre effective du droit humain à l’eau potable et à l’assainissement, proposition de loi qui avait été hélas vidée de sa substance par le Gouvernement de l’époque par le biais d’amendements supprimant le financement du dispositif.
D’autres propositions, comme celle dont nous discutons, tendent à assurer la gratuité de l’accès à l’eau pour les premiers mètres cubes. Les propositions sont là, elles existent et peuvent améliorer la vie de nombre de nos concitoyennes et concitoyens. À nous, parlementaires, de profiter de cette proposition de loi pour nous emparer de ces questions et travailler à cet enjeu si fondamental qu’est celui de l’accès à l’eau.
De plus, les disparités territoriales dans les tarifs sont très importantes, allant du simple au triple – je pense en particulier à la situation outre-mer. Si le prix moyen du mètre cube est d’environ 3,85 euros, son prix dépasse 5 euros, et peut même frôler 10 euros, dans certaines zones. Les habitants ultramarins payent par exemple en moyenne le mètre cube plus de 5 euros. Il faut ajouter à cela un rendement du réseau beaucoup plus faible, qui est seulement de 53 % contre 79,9 % en métropole. La moitié de l’eau acheminée disparaît ainsi, gaspillée du fait de canalisations défectueuses, ce qui est très préoccupant tant sur le plan économique qu’écologique pour ces territoires.
Enfin, dans un rapport de 2010, le Conseil d’État recommande de rouvrir les fontaines, les douches, les toilettes publiques afin de garantir aux plus démunis un accès à l’eau potable et à l’hygiène. Avec d’autres, le groupe GDR a soutenu ces revendications lors de la précédente législature en défendant l’obligation de la mise en place de telles structures. Ce serait une mesure de bon sens garantissant la dignité de toutes et tous, s’inscrivant pleinement dans la démarche de la France insoumise.
Néanmoins, toutes ces mesures en faveur de l’accès à l’eau et à l’assainissement pour toutes et tous n’auront de sens que si, en même temps, nous luttons avec force contre le gaspillage et contre la pollution des sols. La reconnaissance du droit à l’eau comme droit fondamental va naturellement de pair avec la nécessaire mutation de notre manière de produire et de consommer.
D’après le rapport de 2014 du Commissariat général au développement durable, les problèmes de qualité de l’eau sont responsables de 41 % des 4 811 captages abandonnés entre 1998 et 2008. Aujourd’hui, 8,5 % des captages ne respectent pas les seuils autorisés. En outre, 63 % des points de surveillance des eaux souterraines métropolitaines et 93 % de ceux des rivières en surface contiennent des pesticides. La pollution de l’eau, notamment par les nitrates, est un problème de plus en plus prégnant. Tous ces défis à relever exigent que l’État reprenne en main la gestion de l’eau, au service de nos concitoyens.
En conclusion, je souligne que l’article unique de cette proposition de loi porte une véritable ambition pour notre société : une ambition de justice sociale, une ambition écologique, l’ambition d’un changement de société profond. C’est pourquoi le groupe GDR votera en faveur de ce texte car cette proposition de loi témoigne de la volonté de sanctuariser nos biens communs, de considérer enfin l’eau comme une marchandise non lucrative et de promouvoir un modèle de société que nous partageons.
Puisqu’il me reste une minute, j’en profite pour dire à certains de nos collègues qu’en appeler au référendum, c’est faire appel à l’intelligence de nos concitoyens et de nos concitoyennes. Il ne faut pas en avoir peur ! Le référendum de 2005 a été l’occasion d’un débat populaire de très haut niveau (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) C’est peut-être la période où les Français et les Françaises se sont le plus emparés de la question de l’Union européenne, ce qui fut bon pour cette dernière. (Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR.)

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Marie-George
Buffet

Députée de Seine-Saint-Denis (4ème circonscription)

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