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Accessibilité des établissements recevant du public

Ce projet de loi d’habilitation a pour objet de retarder la date limite de mise en accessibilité, prévue par la loi du 11 février 2005, des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées.
La loi de 2005, bien que discutable sur certains points, a été présentée comme une véritable loi d’égalité, comme une reconnaissance par la République des besoins spécifiques des personnes handicapées et, au-delà, de l’ensemble des personnes en situation de handicap permanent ou transitoire.
Elle permettait également de répondre aux besoins des personnes accompagnées d’enfants, des parents avec poussette ou simplement des personnes âgées. L’allongement de la durée de vie rendait cette question d’autant plus aigüe puisque, selon l’INSEE, en 2050, un citoyen sur trois aurait soixante ans ou plus, contre un sur cinq au moment de l’adoption de la loi en 2005.
Celle-ci a donc été, à juste titre, considérée comme une avancée en ce qu’elle prévoyait des règles précises et des obligations de résultat qui ont nourri beaucoup d’espoirs, notamment de la part des personnes handicapées et de leurs associations, tant il s’agit pour elles d’un préalable à la scolarisation, à l’accès au logement, à l’obtention d’un travail, à l’accès à la culture. Bref, à une vie citoyenne pleine et entière, comme l’indiquait d’ailleurs l’intitulé de ce texte : « Pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ».
Nous sommes aujourd’hui en 2014 – soit presque dix ans plus tard – et force est de constater que la loi de 2005 n’est pas appliquée, ou du moins qu’elle l’est très incomplètement, puisque selon l’Association des paralysés de France, seulement 15 % des bâtiments recevant du public seraient en conformité avec elle.
Comment expliquer cette situation ? Il ne suffit pas de proclamer des obligations dans une loi pour qu’elles se concrétisent : encore faut-il en prévoir le suivi et les moyens d’application, deux points essentiels qui manquaient cruellement dans le texte de 2005, comme nous n’avions pas manqué de le souligner lors de son adoption.
Depuis, nous avons plusieurs fois alerté sur l’impossibilité de tenir le délai prévu par la loi sans une politique volontariste de la part des pouvoirs publics. D’ailleurs, en 2011, devant le retard accumulé, nous avions proposé dans cet hémicycle une proposition de résolution invitant le gouvernement français à prendre des décisions pour permettre la mise en œuvre d’une réelle politique d’accessibilité universelle en conformité avec ses engagements internationaux.
D’autres ont lancé cette alerte. Ainsi, un rapport d’information du Sénat, publié en 2012, révélait les retards considérables pris en la matière. La même année, un rapport conjoint du conseil général de l’environnement et du développement durable, de l’Inspection générale des affaires sociales et du contrôle général économique et financier constatait que l’obligation de mise en conformité des établissements recevant du public ne pouvait être tenue dans les délais. Mais aucune mesure particulière n’a été prise.
Aujourd’hui, avec le texte qui nous est soumis, nous nous trouvons dans une situation pour le moins ambiguë, puisque celui-ci se fixe enfin pour objectif l’application de la loi de 2005 et propose à cet effet de reculer la date de sa mise en œuvre complète, initialement prévue avant le 1erjanvier 2015 pour les établissements recevant du public et avant le 13 février 2015 pour les transports collectifs.
Sur la base du rapport de notre collègue sénatrice Mme Campion, ce texte propose de repousser l’échéance prévue par la loi de 2005 et d’échapper ainsi aux sanctions pénales, à condition d’avoir élaboré un « agenda d’accessibilité programmée » décrivant les travaux pluriannuels de mise en conformité et leur programmation financière. Le dépôt d’un tel agenda serait obligatoire et soumis au contrôle de l’autorité administrative également chargée du suivi de l’avancement des travaux. Il s’agirait d’exiger que tous les acteurs adhèrent à cette démarche, intention indiscutablement louable.
D’autres aspects de ce texte, telles, par exemple, les dérogations accordées pour disproportion manifeste, vont dans le sens d’une simplification et vers davantage de pragmatisme. Autant de propositions que nous ne saurions contester, même si certains points restent opaques, comme par exemple les critères permettant de déterminer le délai de prorogation.
Mais au bout du compte, une fois de plus, ce projet de loi passe complètement sous silence la question essentielle du financement de la mise aux normes de tous les bâtiments accueillant du public, des transports, des bâtiments d’habitation et des voiries.
Ces travaux représentent des sommes considérables laissées notamment à la charge des collectivités.
Ainsi, dans une ville comme Nanterre, préfecture des Hauts-de-Seine, qui, dès 2005, a mis en place une mission handicap entre les groupes scolaires et centres de loisirs, les crèches et centres de santé, les mairies de quartier, les médiathèques, les salles de sport, de spectacle et de réunions associatives, ce sont 140 établissements recevant du public qu’il faut mettre en conformité, et auxquels s’ajoutent les voiries.
Dans cette commune, ces dossiers sont traités chaque année comme une priorité transversale, de la même manière que les préconisations du Grenelle de l’environnement, dans le cadre des débats budgétaires en tenant compte des contraintes, des urgences et des priorités.
Mais à l’impossible nul n’est tenu. Car si l’État ne se prive pas de faire des déclarations humanistes en faveur des personnes handicapées – et je ne le lui reproche pas –, il ne verse pas un sou – ça je lui reproche ! Et c’est au moment où il envisage d’obliger les collectivités à présenter un agenda programmé et financé – sans d’ailleurs distinguer celles qui ont fait le maximum pour tenter de respecter la loi et celles qui l’ont contournée – que le Gouvernement exige de ces mêmes collectivités qu’elles diminuent leurs dépenses en décidant de leur supprimer 11 milliards d’euros de dotation, une réduction de leurs moyens financiers sans précédent, dans des proportions jamais atteintes.
À titre d’exemple, toujours dans ma ville de Nanterre, nos ressources diminueront de 3,5 millions d’euros par an uniquement pour la dotation globale de fonctionnement. Ce sont près de 12 millions d’euros de budget en moins pour les années 2014 à 2018 et 20 millions en moins si l’on ajoute les effets de la péréquation.
Face à ces injonctions contradictoires, on a envie de demander au Gouvernement à quoi il joue, car il ne se contente pas de placer les collectivités territoriales dans une situation intenable pour respecter leurs obligations : il met celles-ci au banc des accusés en les rendant responsables de la non-accessibilité pour les personnes handicapées. C’est un comble alors que, depuis des mois, nous ne cessons de dire et répéter que la diminution de la dépense publique tourne le dos à la fois à la réponse aux besoins des citoyens et à la relance de l’activité économique. En voilà une nouvelle et édifiante démonstration !
Alors j’ai envie de demander au Gouvernement dans quelles dépenses l’on doit couper pour compenser cette réduction des moyens tout en accélérant le financement de la mise en accessibilité. Faut-il, par exemple, supprimer des postes d’animateur au moment où nous devons mettre en place la réforme des rythmes scolaires ? Les membres du Gouvernement se gardent bien de nous donner des conseils sur les coupes budgétaires à opérer, et je les comprends.
Madame la secrétaire d’État, je connais votre attachement au dossier que vous défendez et votre volonté n’est pas en cause. Mais dans ce contexte de réduction des moyens des collectivités territoriales, nous ne pouvons accepter d’habiliter ainsi le Gouvernement à légiférer par ordonnances sur un tel sujet sans aucun débat sérieux au Parlement. Ce projet de loi est un leurre, une hypocrisie, parce qu’il ne pourra pas permettre de rattraper le retard dont le Gouvernement prétend s’émouvoir.
Pour ces raisons, dans un souci de clarté et de vérité, les députés du groupe GDR ont majoritairement décidé de voter contre ce texte.

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Jacqueline
Fraysse

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