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Discussions générales

Accord d’association UE-Euratom-Ukraine et UE-Euratom-Géorgie

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, madame la présidente de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les deux accords internationaux dont nous sommes aujourd’hui saisis ne sont en rien d’ordinaires accords économiques et commerciaux. Leur portée géopolitique est majeure, précisément parce que les nuées de la guerre demeurent toujours aussi vivaces sur le sol ukrainien et l’ensemble des franges orientales de l’Europe.
Dans ce débat, les députés du Front de gauche n’ont qu’une – je dis bien : qu’une seule – préoccupation : déterminer si la ratification de ces accords est de nature à aider la paix, ou au contraire à attiser les tensions.
En 2009, l’Union européenne lançait les négociations en vue d’un accord d’association avec l’Ukraine, la Géorgie et quatre autres pays de l’espace post-soviétique. Quatre ans après, l’interruption de ce processus de négociation par le président Ianoukovitch, sous la pression de la Russie, mettait l’Ukraine à feu et à sang, conduisant à une guerre civile et une quasi-partition de ce pays, qui a causé 6 000 victimes et réduit un million de personnes à l’état de réfugiés. C’est à l’aune de ce processus dramatique que nous devons aujourd’hui nous interroger sur le bien-fondé d’un nouvel accord et, plus largement, sur le rôle que la France peut jouer dans la stabilité de cette région.
Le rapport de notre collègue Jean-Pierre Dufau souligne à juste titre – je cite – « le rôle déclencheur qu’a joué la question de l’accord d’association dans la crise politique […] que traverse l’Ukraine ». Il admet – je cite encore – sa « portée politique majeure », au-delà de ses dimensions économique et commerciale. En ratifiant cet accord, ne prenons-nous pas le risque d’envenimer le conflit ukrainien et les séparatismes géorgiens ?
M. Nicolas Dhuicq. Très bien !
M. André Chassaigne. Car, malgré la signature des accords de Minsk 2 en février dernier, le cessez-le-feu demeure précaire dans une région située au cœur d’un affrontement géopolitique ancien et vivace entre l’ancien espace soviétique et l’OTAN. En 1994, la Russie s’était engagée à s’abstenir de toute menace ou pression économique sur l’Ukraine en vue d’influencer sa politique, par le mémorandum de Budapest, également signé par les États-Unis. Cet accord garantissait l’indépendance et la souveraineté ukrainienne dans ses frontières, un principe que nous devons défendre avec la plus grande fermeté. Puis en 1997, l’acte fondateur OTAN-Russie avait défini un modus vivendi entre les deux blocs militaires, l’OTAN s’engageant à ne pas déployer d’armements nucléaires chez ses futurs membres. Cet équilibre a été rompu, les engagements bafoués de part et d’autre, et l’Ukraine, comme la Géorgie, sont devenus le terrain d’affrontement des grandes puissances.
Les États-Unis portent une responsabilité première de cette situation pour n’avoir jamais renoncé à étendre la sphère d’influence du bloc atlantique. Si l’OTAN a perdu sa raison d’être avec la fin de l’URSS, elle a pourtant poursuivi sans frein sa doctrine stratégique impérialiste, profitant de chaque faiblesse russe pour avancer ses pions.
M. Nicolas Dhuicq. Très bien !
M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur. Non, pas vous, monsieur Dhuicq !
M. André Chassaigne. Ce furent les adhésions de la République tchèque, de la Hongrie et de la Pologne en 1999, puis celles de la Bulgarie, de la Slovaquie, des pays Baltes, de la Roumanie et de la Slovénie en 2004. Et que dire du projet d’adhésion de l’Ukraine, ravivé périodiquement par l’OTAN, notamment par Bush en 2008 ? La Russie de Poutine, obnubilée par son désir de puissance, n’espérait pas tant pour justifier sa politique de « grande Russie ».
Aujourd’hui, tous nos efforts doivent converger pour refuser un embrasement géopolitique dont l’Europe serait la première victime. La mère des menaces, c’est évidemment la militarisation du conflit ukrainien et de l’ensemble de l’espace post-soviétique. Fort heureusement, l’accord de Minsk y a mis un coup de frein, mais il est impératif que nous obtenions des autorités russes la fin des livraisons d’armes aux insurgés.
M. Guy-Michel Chauveau. Bien !
M. André Chassaigne. Dans le même temps, la France doit peser de tout son poids pour empêcher les provocations aux frontières russes. L’installation, en février dernier, de six nouvelles bases de l’OTAN, dotées de 40 000 hommes, entre la Baltique et la mer Noire, ne fait que contribuer à l’escalade, et les démarches engagées en décembre dernier par les nouvelles autorités ukrainiennes pour rejoindre l’Alliance atlantique risquent de conforter – je dis bien : conforter – la Russie dans son sentiment d’isolement.
Nous le savons tous, il n’y aura pas de réussite des accords de Minsk sans un abandon de ce projet. Dans ce contexte géopolitique brûlant, les accords d’association entre l’Union européenne, l’Ukraine et la Géorgie seront inévitablement interprétés comme un nouveau pas vers le rattachement de l’espace post-soviétique au bloc atlantique.
M. Nicolas Dhuicq. Très bien !
M. André Chassaigne. Est-il bien raisonnable de se prêter à un tel engrenage ? Est-ce le rôle de la France ?
M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur. Et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ?
M. André Chassaigne. Monsieur le rapporteur, on pourrait discuter de manière plus approfondie du droit des peuples, surtout dans ce cas. Le droit des peuples a bien souvent été avancé comme une justification pour des actes qui ne répondaient pas forcément à l’intérêt et à la volonté des peuples.
M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur. C’est le contraire !
M. André Chassaigne. Pour en venir au contenu de cet accord, il est bien difficile de ne pas interpréter le partenariat oriental lancé par l’Union européenne comme une prolongation de l’entreprise du bloc atlantique en matière économique. Cette politique de voisinage offensive, pour ne pas dire plus, recouvre la même sphère géographique post-soviétique et les mêmes objectifs.
Premier partenaire commercial de l’Ukraine, l’Union européenne propose, aux termes de cet accord, le bénéfice des acquis communautaires et la baisse des droits de douane, en échange d’une sécurisation de son approvisionnement énergétique. Il s’agit d’ancrer l’Ukraine dans une économie de marché totalement déréglementée et, en contrepartie, de lui fermer les portes de l’économie russe, ce qui a déjà fait chuter, sur un an, le PIB ukrainien de 17,6 % et sa monnaie de 70 %.
Si le peuple ukrainien voit l’Europe comme l’horizon d’une vie meilleure, ces mesures préparent des lendemains qui déchantent pour la majorité et, à n’en pas douter, de formidables profits pour une nouvelle caste d’oligarques ukrainiens.
M. Nicolas Dhuicq. Très bien !
Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes. Et les oligarques russes, c’est mieux ?
M. André Chassaigne. En échange de 25 milliards de dollars d’aide, le FMI, la BCE et la Commission européenne – aujourd’hui, l’évocation de ces institutions éveille chez tout le monde la même pensée – souhaitent ainsi la libéralisation des entreprises publiques – notamment dans l’énergie – le gel des salaires et la baisse des dépenses publiques, un scénario à la grecque, en somme, qui produira le même marasme économique et les mêmes effets dévastateurs pour la population ukrainienne. Nous ne pouvons que déplorer que l’Union européenne se fasse ainsi le héraut d’un capitalisme sauvage au lieu de promouvoir un espace de coopération et de progrès.
Tout aussi inévitablement, la ratification de l’accord avec l’Ukraine marquera un encouragement décisif à un régime contestable. Malgré les déclarations vertueuses contenues dans ces accords d’association en matière de diffusion de la démocratie et de respect des libertés, nous ne pouvons passer sous silence les dérives réactionnaires qui travaillent le gouvernement ukrainien de l’intérieur. Le président Porochenko entend réécrire l’histoire au profit des forces nationalistes et fascistes qui ont collaboré avec l’armée nazie.
M. Nicolas Dhuicq. Oui !
M. Philippe Baumel. Rien que ça !
M. André Chassaigne. En retour, le parti communiste, et tout ce qui a trait au communisme, pourrait prochainement être interdit et condamné à la clandestinité, comme aux pires heures de l’histoire. Enfin, les relents antisémites trouvent à s’exprimer comme jamais.
M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur. Et voilà pourquoi votre fille est muette ! (Sourires.)
M. André Chassaigne. Comment la France pourrait-elle apporter un blanc-seing à ces égarements ?
Je voudrais terminer par quelques appréciations sur la position de notre diplomatie. Au cours des récentes crises entre la Russie et les États-Unis, la France a su peser en faveur d’un apaisement, notamment en freinant le processus d’élargissement de l’OTAN. Au cœur du conflit ukrainien, notre pays a pleinement – je dis bien : pleinement – joué son rôle, avec l’Allemagne, en étant artisan du compromis de Minsk. C’est lorsque la France parle en toute indépendance qu’elle est le plus écoutée. C’est lorsqu’elle privilégie la solution politique au règlement militaire qu’elle est le plus utile au concert des nations.
M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur. On est d’accord !
M. André Chassaigne. C’est pourquoi nous regrettons que les pas de notre diplomatie se soient, sur d’autres dossiers – j’insiste sur ces mots – placés dans ceux des Américains…
M. Nicolas Dhuicq. Très bien !
M. André Chassaigne. …alors que l’intérêt de la France n’était pas celui-là.
Qu’on le veuille ou non, la paix mondiale et l’équilibre des forces supposent un dialogue avec la Russie. Un dialogue ferme et exigeant, bien sûr…
M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur. Oui, mais aussi réciproque !
M. André Chassaigne. …mais, quoi qu’il en soit, un dialogue. Trop souvent, notre politique étrangère a mis de côté les autorités russes : je pense à la crise syrienne, aux négociations sur le nucléaire iranien, mais aussi au boycott impensable des célébrations du soixante-dixième anniversaire de la victoire sur le nazisme à Moscou, vécu comme un véritable affront par le peuple russe.
M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur. Laurent Fabius y était !
M. André Chassaigne. Enfin, la réintégration de notre pays au sein du commandement intégré de l’OTAN, qui n’a pas été remis en cause par ce gouvernement, a affaibli notre indépendance nationale.
Mes chers collègues, vous aurez compris que nous émettons les plus grandes réserves quant à la ratification de ces accords. Ils portent en eux un potentiel de déstabilisation que nous ne pouvons pleinement mesurer, et que l’esprit de responsabilité nous invite à repousser. Je regrette d’ailleurs que le Parlement ait été contraint de se déterminer dans une telle précipitation, inhabituelle pour un accord international, alors même que ces textes engagent l’avenir du continent.
Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Ce n’est pas la première fois que l’on traite de ce sujet !
M. André Chassaigne. En effet, l’urgence est aujourd’hui à l’apaisement en Ukraine.
Parce que nous estimons que la paix est un enjeu bien plus élevé que l’intensification de nos relations commerciales, les députés du Front de gauche voteront contre la ratification de ces accords.

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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