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Accord France-Inde sur la répartition des droits de propriété intellectuelle dans les accords d’utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Lecoq, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Jean-Paul Lecoq. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur suppléant, mes chers collègues, les questions que soulève ce projet de loi de ratification de l’accord France-Inde sur le nucléaire civil sont nombreuses.
La raison d’être de cet accord entre la France et l’Inde, c’est bien évidemment le chantier des deux EPR commandés par l’Inde à AREVA. Monsieur le secrétaire d’État souligne qu’il n’y a pas que cela, mais il y a tout de même cela et même avant tout cela.
M. Alain Cousin. Vous n’allez pas le regretter, tout de même !
M. Jean-Paul Lecoq. Avant toute chose, les députés communistes, républicains, citoyens et du parti de gauche veulent rappeler, après d’autres, que l’Inde n’est pas signataire du traité de non prolifération des armes nucléaires. Il y a peu de temps encore, en 1998, l’Inde – comme la France de Jacques Chirac – effectuait des essais nucléaires.
Les pacifistes que nous sommes s’interrogent : est-il opportun, pour les entreprises françaises dont l’État demeure actionnaire, de signer avec l’Inde des contrats portant sur des transferts de technologie en matière de nucléaire civil ? Chacun sait – on l’affirme bien pour d’autres pays – que le nucléaire civil peut très facilement tendre vers le nucléaire militaire.
M. Claude Birraux, rapporteur suppléant. Pas du tout, c’est faux !
M. Jean-Paul Lecoq. Le préalable à ces accords aurait dû être l’exigence de la part de notre pays d’une signature par l’Inde des traités internationaux. À tout le moins, la France aurait pu demander la relance des négociations sur ce sujet. Il n’en a rien été. Le rapporteur nous a rappelé les blocages historiques. Les causes existent toujours, le courage politique a disparu, la soumission aux affairistes est totale.
Quel signal envoyons-nous, à l’heure où l’OTAN menace des pays au nom de la lutte contre les armements nucléaires, si nous transférons nos technologies nucléaires à des pays non signataires du traité de non prolifération ?
Notre question est d’autant plus pressante que la région est instable, pour le dire pudiquement. Le désastre de la guerre en Afghanistan, loin de pacifier la zone, promet une influence accrue du Pakistan sur ce territoire. Or on connaît la nature des relations entre l’Inde et le Pakistan, qui ne sont pas appelées à s’apaiser. Ce contexte exige une prudence qui semble faire défaut dans ce dossier.
Puisque l’Inde a récemment, en 2008, donné des gages de séparation stricte entre ses activités en matière de nucléaire civil et celles concernant le nucléaire militaire, pourquoi ne pas l’avoir invitée à faire un geste supplémentaire ?
Nous retrouvons dans la philosophie de ce texte celle qui aura marqué la politique étrangère de tout le quinquennat de Nicolas Sarkozy : une realpolitik de bas étage indexée sur la signature de contrats juteux.
M. Pascal Brindeau. C’est un peu court !
M. Jean-Paul Lecoq. C’est le temps de parole qui m’est accordé qui est un peu court, donc je résume : donnez-moi vingt minutes et je développerai mes arguments.
Nous sommes animés d’une autre ambition : l’horizon des communistes, c’est celui du désarmement des nations.
J’en viens au contenu de l’accord que nous examinons. La législation indienne a deux spécificités : elle exige une non brevetabilité à l’étranger des technologies développées sur son territoire, ce qui pose des problèmes de droit de propriété intellectuelle. Elle exige également une responsabilité illimitée des fournisseurs et non des exploitants.
C’est pour contourner ces deux épines dans le pied d’AREVA que nous sommes appelés à autoriser l’approbation de l’accord entre le Gouvernement français et son homologue indien.
Le premier problème, crucial, c’est celui de la répartition des droits de propriété intellectuelle. L’Inde interdit sur son territoire la délivrance de brevets portant sur l’énergie nucléaire. Le fruit des recherches en matière nucléaire est la propriété de l’État indien, qui invoque – à juste titre – des raisons de sécurité. Le but de l’accord est précisément de contourner ce régime pour préserver les intérêts d’AREVA.
Cette modification ne doit pas nous faire perdre de vue que le transfert de technologie, lui, aura bien lieu. Je m’interroge sur l’opportunité d’un tel geste. L’Inde est amenée à connaître nos technologies – dont la qualité est reconnue – et nos processus de fabrication en matière nucléaire. La politique des gros contrats menée par Nicolas Sarkozy nous conduit donc à prendre des risques qui paraissent très importants, peut-être trop.
Ne doit-on pas mieux protéger les résultats de la recherche française ? Peut-on délivrer à des États tiers nos technologies les plus avancées dans de telles conditions ? La question se pose car les EPR constituent les dernières innovations de notre filière nucléaire, à tel point qu’aucun n’est encore en service.
M. Claude Birraux, rapporteur suppléant. Patience, ça va venir !
M. Jean-Paul Lecoq. C’est d’ailleurs également le cas des Rafale qui équipent notre armée et dont Dassault est en passe de vendre les plans et les technologies à l’Inde. Tout cela pour seulement 18 avions produits en France sur les 126 prévus. Et dire que Nicolas Sarkozy et François Fillon ont osé se vanter de la signature de ce contrat et qu’ils continuent de parler de la réindustrialisation de la France.
Si la coopération entre les États est un objectif que nous approuvons, le fait de brader nos technologies les plus innovantes pose de lourdes questions.
Autre point important évoqué par l’accord que nous examinons : la question de la responsabilité civile. Je rappelle que le récent rapport de la Cour des comptes sur le coût de la filière nucléaire en France – un rapport datant de janvier 2012 –, souligne le poids financier des régimes d’assurance et la difficulté de déterminer précisément le volume des extensions nécessitées par le vieillissement du matériel ou par un accident.
Il pointe le « manque de transparence » du système assurantiel français, « conduisant à s’interroger sur la capacité du système à couvrir les risques futurs. »
La législation indienne fait reposer la totalité de la responsabilité non sur l’exploitant, l’État indien, mais sur le fournisseur, en l’espèce Areva, autrement dit l’État français. Cette piste semble intéressante, une telle responsabilité illimitée impliquant une exigence d’excellence du constructeur – un accident est si vite arrivé.
Quoi qu’il en soit, l’accord débouchera vraisemblablement sur une édulcoration de la législation indienne. Ici encore, il s’agit de faciliter le chantier en rapprochant le cadre juridique du droit commun dans lequel c’est l’exploitant qui est responsable. La question peut légitimement être posée : à travers Areva, la France sera-t-elle appelée, un jour, à assumer de lourdes et coûteuses responsabilités en cas d’accident sur un EPR ?
Si l’on peut comprendre l’intérêt pour notre industrie d’exporter ses technologies, il faut aussi s’interroger sur le bien-fondé du contrat dont nous discutons. La zone d’implantation des EPR, Jaitapur – que mon collègue Giacobbi connaît sans doute bien –, est particulièrement mal choisie. Le Gouvernement indien a manifestement sous-estimé la résistance de la population locale à ce chantier. Les paysans ne veulent pas vendre leurs terrains malgré la hausse des contreparties proposées par l’État indien.
Les Indiens dénoncent ce projet, appelé à être « le plus grand site nucléaire au monde », d’après les dirigeants indiens, qui se trouve en zone sismique et proche du littoral. La révolte est telle qu’à l’occasion d’une manifestation, en avril dernier, un des manifestants a été assassiné par la police locale et le commissariat mis à sac.
Après la catastrophe de Fukushima, comment peut-on prendre de tels risques ? Difficile de choisir pire territoire, exposé aux séismes et aux tsunamis. Les populations ont besoin d’être rassurées, pas d’être provoquées. Rester sourd à la colère populaire n’est pas une bonne stratégie, ni pour les gouvernements ni pour les entreprises.
Cela a été dit, les besoins de l’Inde en matière d’énergie sont énormes. Pour y répondre, le recours à la coopération internationale est justifié. Le choix de la France présente un avantage par rapport à d’autres pays fournisseurs spécialistes du nucléaire low cost, à bas prix, à bas niveau de sûreté. Mais cet accord France-Inde ne peut pas se faire à n’importe quelle condition. C’est la raison pour laquelle les députés communistes, républicains, citoyens, du parti de gauche ne voteront pas ce texte.
Sur les questions du nucléaire, le Front de Gauche et son candidat, Jean-Luc Mélenchon, sont les seuls à proposer que le peuple puisse se prononcer par référendum, afin de conserver une totale souveraineté sur cette technologie à grands enjeux.

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
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