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Accord France-Suisse fiscalité aéroport

Il faut toujours laisser passer un temps quand on parle après Jean-Luc Mélenchon… (Sourires.)
Avant d’en venir à l’aéroport de Bâle-Mulhouse, je remercie le rapporteur pour la qualité du travail qu’il a mené et des débats en commission. Je remercie également Jean-Luc Mélenchon qui nous permet de discuter de cet accord en séance publique et d’élargir la discussion.
Rassurez-vous, monsieur Fuchs, en souhaitant parler, à partir de ce texte, de la fiscalité internationale et de l’évasion fiscale qui défraye tant la chronique, je ne prends pas le projet de loi en otage. Cela a été fait avant moi. Je me contenterai d’aller dans le même sens que mon prédécesseur et d’utiliser ses points forts et ses points faibles pour élargir la réflexion.
L’accord avec la Suisse sur la fiscalité applicable dans l’aéroport de Bâle-Mulhouse est le fruit de négociations très longues, vous l’avez dit, sur le statut juridique extrêmement complexe de cet aéroport. Bien que situé intégralement sur le territoire français, l’infrastructure est soumise à un régime juridique binational entre la Suisse et la France, ce qui en fait une exception mondiale.
Presque soixante-dix ans après sa création, sa situation à proximité de la Suisse et de l’Allemagne a permis un développement rapide de son activité. En 2016, tous les voyants sont au vert et l’on y dénombre peu ou prou 6 000 emplois indirects dans 115 entreprises, en plus des 360 salariés de l’aéroport.
L’accord se doit d’être subtil : il s’agit de ménager les entreprises suisses et françaises ayant des régimes fiscaux différents, sans déstabiliser le tissu économique local. Mais, selon nous, cet équilibre entre respect des régimes juridiques et respect du rayonnement économique de l’aéroport n’est pas parfait.
Deux doutes majeurs planent sur sa qualité. S’ils ont été abordés en commission, ils n’ont toutefois pas été dissipés. Premièrement, l’accord pose de gros problèmes sur les compensations de l’État aux collectivités territoriales, du fait des exonérations fiscales qu’il prévoit. Même si nous reconnaissons aujourd’hui qu’il résulte d’un long travail, un avenant pourra toujours être ajouté à l’avenir afin d’améliorer le volet fiscal pour les collectivités françaises. Qui peut le plus, peut le moins. Il est de votre responsabilité, au niveau gouvernemental, d’améliorer les choses.
Deuxièmement, tous les manques ne sont pas comblés quant à la solidité juridique de l’accord en matière fiscale, notamment en ce qui concerne l’échange automatique d’informations fiscales.
À propos de l’exonération de contribution économique territoriale, il faut insister sur le fait que l’accord est un échec, que paieront tôt ou tard les collectivités territoriales. L’État entérine une coupe fiscale au détriment des collectivités concernées, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, le montant compensatoire de 3,2 millions d’euros est arbitraire et ne correspond pas aux derniers résultats de l’impôt, qui sont plus élevés. Il s’agit donc d’une perte sèche. Ensuite, l’État ne fait que compenser une exonération, ce qui soulève deux problèmes : la fin du dynamisme fiscal pour les collectivités territoriales et le risque d’un rabotage progressif de la compensation. C’est une spécialité gouvernementale, qui n’est pas seulement le fait du gouvernement actuel. Cela fait des années qu’on la constate partout.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. La situation s’améliore !
M. Jean-Paul Lecoq. Nous verrons. Globalement, on suit le mouvement amorcé avec la fin de la taxe d’habitation : l’État redistribue ce que bon lui semble, mais lorsque l’on a été élu local, on sait très bien qu’au début, l’État compense à 100 % et qu’après on justifie toujours les diminutions de dotation.
M. Laurent Furst. Il est bien dommage qu’il n’y ait plus d’élus locaux dans cet hémicycle !
M. Jean-Paul Lecoq. Eh oui ! Le mouvement de centralisation de la perception de l’impôt est insupportable pour la libre administration des communes. La fin de la dynamique fiscale déconnectera les collectivités locales de l’avenir économique de l’aéroport – alors même qu’une forte croissance est prévue pour ce dernier –, même si l’accord comporte une actualisation visant à tenir compte de l’inflation. Ce sont donc les entreprises suisses qui bénéficieront intégralement des fruits de la croissance.
Parlons maintenant de la modification de la fiscalité applicable au sein de l’aéroport. On peut entendre l’argument selon lequel il a fallu tout remettre à plat, depuis qu’un contrôle fiscal a révélé un vide juridique et l’a transformé en risque d’incertitude fiscale élevé pour les entreprises de droit suisse. Nous déplorons en revanche des manques à gagner face aux nombreux défis que la nation doit relever.
Même si l’application de la fiscalité française de droit commun à toutes les entreprises n’est pas pensable, il semble que la négociation penche en faveur des entreprises suisses et crée un certain manque à gagner pour le fisc français – Jean-Luc Mélenchon l’a remarqué avant moi –, alors que l’aéroport se trouve sur notre territoire.
Ainsi, l’article 2 de l’accord exonère de taxe de l’aviation civile les vols commerciaux sous droits de trafic suisses, en introduisant une contrepartie beaucoup moins lourde. Pourquoi celle-ci est-elle aussi faible ?
Dans le même aéroport, coexistent des entreprises françaises qui acquittent une taxe de 4,48 euros par passager et des entreprises suisses qui n’en paient que 1,73. Ce déséquilibre pourrait causer des dégâts au sein des entreprises de l’aéroport.
D’autre part, l’article 4 soumet les entreprises suisses au régime suisse de TVA, dont les taux sont plus faibles que les nôtres, 2,5 % et 7,7 %. Là encore, un compromis aurait pu être trouvé. Il était par exemple envisageable de répartir les points de TVA entre la France et la Suisse. Quitte à construire un dispositif original, pourquoi ne pas avoir poussé l’originalité jusqu’au bout ?
Mais le manque le plus criant de l’accord est l’absence d’échanges d’informations automatisées en matière de fiscalité. Dans le cadre international que nous connaissons en matière fiscale, la France et la Suisse sont toutes deux parties prenantes à la fameuse évolution que proposent les travaux de l’Organisation de coopération et de développement économiques – OCDE – sur le BEPS, acronyme anglais désignant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.
Le BEPS est la référence mondiale en matière de lutte contre l’érosion fiscale, qui, rappelons-le, désigne les stratégies d’optimisation sauvage de la fiscalité par des entreprises qui exploitent les failles légales mais immorales d’un système incomplet. Le cadre inclusif rassemble plus de 100 pays et juridictions qui collaborent pour mettre en œuvre les mesures du BEPS et lutter contre l’érosion de la base fiscale et les transferts de bénéfices.
Loin de nous l’idée de jeter la suspicion sur les personnes morales ou physiques ayant une activité notamment douanière en rapport avec l’aéroport, ni sur d’autres partenaires, mais l’accord ne fait nulle mention de l’automaticité d’échanges entre institutions fiscales. Nous rappelons que l’objectif dudit accord, voire de tous les accords, est moins d’éviter la double imposition que d’aboutir à une imposition effective.
Ce manquement étant grave, je demande au Gouvernement de s’engager aujourd’hui à lancer des négociations avec la Suisse pour intégrer dans l’avenir à l’accord l’automaticité des échanges entre institutions fiscales. Celle-ci nous permettrait de nous prémunir contre tout dysfonctionnement avant d’avoir à souffrir d’une histoire semblable à celle que la convention devait régler. La situation juridique de l’aéroport est tellement complexe qu’il nous paraît indispensable que les administrations fiscales puissent s’entendre dès à présent et agir de manière coordonnée.
Cela n’est possible qu’avec un échange d’informations effectif. N’oublions pas que le système d’évasion et d’érosion fiscale est extrêmement puissant et que, scandale après scandale, de l’Offshore Leaks aux Paradise Papers, en passant par les Swiss Leaks, la diplomatie, notamment à l’OCDE, même si elle commence à se mouvoir, le fait bien trop lentement.
Il est donc temps que la France soit à la hauteur des enjeux et que, de manière très pragmatique – n’est-ce pas votre culture, maintenant ? –, à chaque accord de ce type, elle pousse toujours l’autre partie à être la plus transparente possible en matière fiscale. La France a totalement manqué une occasion d’exercer une pression sur la Suisse pour la faire pression sur le chemin de la transparence fiscale.
Pour toutes ces raisons, il me paraît difficile de voter le traité. Les gages concernant la compensation de l’exonération de contribution économique territoriale par l’État sont absents, ce qui diminuera encore un peu plus l’autonomie fiscale des communes. De plus, un vrai doute subsiste sur la solidité fiscale de l’accord face aux fraudeurs. L’absence de la notion d’échange automatique entre les services fiscaux français et suisses est injustifiable et nourrit le doute que j’ai mentionné.
Sans échange automatique, la tentation d’utiliser les failles juridiques du régime fiscal de l’aéroport de Bâle-Mulhouse va être grande pour les trop nombreux délinquants en col blanc. D’un autre côté, il nous semble important de mettre fin à la période de forte incertitude juridique qui plane depuis plusieurs années sur cet aéroport.
Nous nous abstiendrons donc sur ce texte, pour ne pas entraver la construction juridique de l’aéroport, qui, nous l’espérons, s’améliorera. Mais il faut tout de même souligner la force de l’Eurodistrict trinational de Bâle, qui est la source d’une formidable créativité politique, culturelle, urbanistique, que je soutiens pleinement. Il y a beaucoup de choses à apprendre en ce lieu. Toutefois, pour marquer notre insatisfaction à l’égard du fait que cet accord ne comporte pas d’instrument de régulation financier, nous n’émettrons pas un vote favorable.

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)

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