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Accord UE Luxembourg

Il est important de profiter de l’examen de cette convention pour débattre ensemble de l’évasion fiscale et des remèdes contre ce fléau, qui est bien l’un des pires maux de notre temps pour le développement de nos sociétés. L’évasion fiscale nous prive de ressources fiscales nécessaires et accentue le sentiment d’injustice dans nos États.
La course au moins-disant fiscal n’est plus au stade de la petite fuite d’amateurs avares. Elle est devenue une véritable industrie, très lucrative pour les entreprises qui organisent cette fuite des capitaux vers les trous noirs de la finance mondiale et, évidemment, pour tous ceux qui paient leurs services.
L’heure est grave. EURODAD – European network on debt and development – a publié en 2017 un rapport indiquant qu’au rythme où la fiscalité des entreprises diminue, leur taux d’imposition pourrait être de 0 % en 2052. Dès lors, comment envisager les gigantesques chantiers politiques comme l’avenir de la planète, la transition énergétique, le maintien du plus haut niveau de service en matière de santé et d’éducation, ou la lutte pour la paix, sans cette contribution financière ?
Certaines des plus grandes entreprises du monde sont devenues des mastodontes plus puissants que bien des États. Ne nous y trompons pas, ce n’est pas une anomalie du système capitaliste, mais bien l’une de ses conséquences. Les entreprises recherchant la compétitivité dans les domaines économique, fiscaux, salariaux, tout doit être tiré vers le bas pour maximiser les bénéfices. La lutte pour le moins-disant fiscal fait partie de la compétition globale.
Moins les entreprises contribueront à l’effort national, moins les États seront en mesure de s’opposer à ces pratiques. C’est donc « tout bénef » pour elles, si vous me passez cette expression !
Alors que les gilets jaunes et un très grand nombre de mouvements sociaux, depuis des années, revendiquent une meilleure répartition des richesses, que les inégalités mondiales n’ont jamais été aussi énormes et que les services publics français sont tous au bord de l’effondrement, il n’est plus possible de laisser filer l’imposition des sociétés.
Pour cela, la coopération fiscale mondiale avance peu à peu. Cette matière relève de la commission des affaires étrangères, dont le regard et l’analyse globale sur le mouvement du monde permettent de mener une expertise sur le fond. Cela n’empêche pas que la commission des finances soit associée à l’examen de ce texte. Je ne partage donc pas l’avis de notre collègue Valérie Rabault.
Évidemment, les avancées de la coopération fiscale mondiale sont bien trop lentes – tout le monde en conviendra –, mais tel est le fardeau du multilatéralisme. Ainsi, pour pallier les faiblesses inhérentes au multilatéralisme, certains pays comme le Luxembourg et la France ont décidé de conclure des conventions fiscales bilatérales. C’est précisément là que le bât blesse.
Le Luxembourg est, depuis très longtemps, un pays ami de la France. Ces deux membres fondateurs de ce qui est devenu l’Union européenne sont des pays frontaliers, qui partagent un grand nombre de points communs, notamment la langue. Une confiance intense règne entre les deux États. Pourtant, cet accord est à peine plus ambitieux que le minimum engagé par la convention multilatérale de l’OCDE pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices – plus communément désignée par l’acronyme anglais « BEPS », pour « base erosion and profit shifting ».
Nous nous posons donc cette question : pourquoi ne pas s’engager dans un processus plus ambitieux ? Pourquoi cette convention entre deux alliés aussi proches n’est-elle pas exemplaire ? Il est vraiment dommage que nos deux États soient restés sur la réserve, comme si nous avions intérêt à laisser filer nos impôts dans les trous noirs de la fiscalité mondiale !
Évidemment, tout le monde sait que le Luxembourg est l’allié de la France, mais lorsqu’il s’agit du grisbi, il ne faut pas toucher ! Cet État a d’ailleurs presque fusionné avec son industrie de l’évasion fiscale, ce milieu que Jean-Claude Junker, ancien Premier ministre luxembourgeois et désormais président de la Commission européenne, aimait tant qu’il a dû démissionner de son poste en 2013 du fait d’une gigantesque affaire dans laquelle il a été prouvé que la fuite d’informations confidentielles à des fins commerciales était organisée au niveau étatique. Le Luxembourg tient donc la corde dans la compétition internationale de l’opacité fiscale. Il faut nous l’avouer, la France n’a certainement pas réussi à amener le Luxembourg à plus de transparence dans cette convention, ce qui est fort dommage.
Sans envergure, cette convention est donc fortement inspirée des normes de l’OCDE issues de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices, signée en France en 2017 par soixante-sept États dont le Luxembourg. Mais si la convention multilatérale sur le BEPS est entrée en vigueur en France le 1er janvier dernier, le processus de ratification n’a, semble-t-il, pas encore démarré au Luxembourg, ce qui est vraiment regrettable.
Au bout du compte, la convention bilatérale que nous examinons prévoit une clause anti-abus générale contre les montages ayant un objet principalement fiscal. Elle intègre également une définition rénovée de l’établissement stable d’entreprise et une nouvelle définition des dividendes, reprenant celles des travaux de la convention multilatérale. Elle pose également le principe de l’imposition des dividendes dans l’État de résidence de leur bénéficiaire. C’est bien – c’est un début.
Toutefois, un premier pas ne constitue pas une rédemption, très loin de là. Par cette convention, il aurait été par exemple intéressant d’empêcher la pratique des comptes alphanumériques. Cette manière de maintenir l’opacité est simple, efficace et connue de tous. Lutter contre semblait facile mais cela semble bien rester hors de portée des négociateurs de cette convention. La pratique des comptes alphanumériques permet à une banque de ne plus identifier un titulaire de compte par son nom et son prénom, mais avec une suite de chiffres et de lettres. Ainsi, le titulaire du compte n’ayant plus d’identité réelle, il n’est plus nécessaire d’envoyer ses données au pays dont il est originaire. Cette astuce, fort pratique dans les paradis fiscaux, devrait être dénoncée et supprimée pour nous rapprocher encore la fin de l’opacité.
Comme je l’ai indiqué en commission, le Luxembourg est probablement l’un des pires paradis fiscaux sur la planète. En fait, cet État s’est moulé dans les obligations internationales tout en continuant son business autrement. Trois pratiques fiscales brutales font de ce pays une plateforme incontournable du dumping fiscal en Europe : un taux d’imposition des sociétés largement inférieur à la moyenne européenne, des dividendes fiscalisés dans des conditions particulièrement intéressantes pour les personnes physiques ou morales qui les perçoivent et la possibilité, pour les grands groupes, de négocier des régimes préférentiels dérogatoires du droit commun. Le Luxembourg perpétue ainsi, sans le moindre problème, une pratique consistant à attirer les bénéfices des entreprises majoritairement européennes et, concrètement, à voler ses propres voisins et partenaires. C’est une vision tout à fait étrange de l’alliance et de l’amitié européennes !
En outre, l’opacité permet l’arrivée de ressources financières bien peu recommandables, provenant du crime organisé ou de divers trafics illégaux. Le Luxembourg peut être considéré comme l’une des plus grandes blanchisseuses d’argent sale du monde.
La Commission européenne a d’ailleurs saisi la Cour de justice de l’Union européenne pour défaut de transposition de la directive anti-blanchiment. Le pays brasse un volume d’argent extravagant, émettant en cash l’équivalent de deux fois son produit intérieur brut.
Cette convention est donc insuffisante. Elle insiste sur le travail à mener contre les doubles impositions, mais ce n’est pas contre les doubles impositions qu’il faut lutter : c’est contre l’imposition zéro !
Plutôt que de lutter de cette manière, les députés communistes proposent plusieurs choses qui, au-delà de l’OCDE, permettront de lutter efficacement pour un monde sans évasion fiscale. Il s’agirait par exemple de prendre l’initiative d’une conférence de tous les États membres de l’ONU – l’Organisation des Nations Unies –, une COP – conférence des parties – fiscale et financière mondiale. L’OCDE est l’institution internationale des États les plus riches, dont les accords s’imposent ensuite au reste du monde. De ce fait, plutôt que de s’en remettre à l’OCDE, nous pensons que l’ONU est la bonne institution pour travailler à la fiscalité internationale – d’où le travail de notre commission –, et pourrait même créer une agence internationale chargée du suivi de ces questions et de la lutte contre les trous noirs de la fiscalité.
En parallèle à cette initiative, l’Union européenne aurait tout intérêt à agir à son niveau pour s’unifier dans ce domaine. Il n’est pas possible d’accueillir en notre sein les États qui figurent parmi les plus permissifs du monde en matière fiscale tout en nous conformant à des règles de déficit ultra-strictes.
Enfin, la France devrait être plus ambitieuse dans ses conventions bilatérales et ne pas se contenter des consensus issus de l’OCDE, que l’on pourrait qualifier de consensus mous, pour devenir un véritable acteur de la lutte contre l’évasion fiscale dans le monde. Les députés communistes ont aussi proposé, pour éviter l’évasion fiscale, un prélèvement à la source des profits des entreprises pour récupérer efficacement et concrètement l’impôt que celles-ci nous doivent. Enfin, nous prônons une refonte des listes française et européenne des paradis fiscaux. Trop souvent, des micro-États sont pointés du doigt, alors que la situation de l’Irlande, des Pays-Bas, de la Suisse ou du Luxembourg est soigneusement esquivée.
Ce tour d’horizon permet de voir l’abysse séparant les bonnes intentions des véritables actions. Mis à part la facilitation de la vie des frontaliers, que nous saluons, ce texte est insuffisant et, alors que les Français sont dans les rues depuis des semaines pour demander plus de justice fiscale, ratifier un tel traité, qui ne changera rien à l’évasion fiscale, est une erreur. Voilà pourquoi le groupe GDR votera contre cette ratification. Nous devrions, du reste, commencer à réfléchir plus sérieusement au rôle du Parlement dans la rédaction de tels traités et à la possibilité qu’il pourrait avoir de les amender, afin que les conventions fiscales ne soient pas de simples votes de ratification.

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)

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