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Accord Union Européenne-Kazakhstan

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, l’accord de partenariat et de coopération entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la République du Kazakhstan, d’autre part, dont nous discutons cet après-midi constitue une pierre de plus dans la stratégie d’influence européenne en Asie centrale. Le Kazakhstan occupe une place géographique et donc stratégique fondamentale au carrefour de l’Asie et de l’Europe. Situé entre la Chine et la Russie, ce pays a compris, depuis l’effondrement de l’Union soviétique, que sa place était importante ; il s’est constitué une solide diplomatie, qui œuvre toujours avec cette idée en tête.
Les grandes puissances ne s’y trompent pas : la nouvelle route terrestre dite « de la soie », promue par la Chine pour sécuriser l’acheminement de ses marchandises vers l’Europe et l’Afrique, traverse le Kazakhstan, qui en est le pilier géographique incontournable. C’est d’ailleurs à Astana, capitale kazakhe, que le futur président chinois Xi Jinping annonça, en 2013, la mise en place de cette nouvelle route de la soie.
Avec les milliards de dollars d’investissements qui l’accompagnent, elle constitue une aubaine pour le Kazakhstan, qui connaît une période de très fort ralentissement économique. Son PIB représente 70 % du PIB régional et sa croissance est la plus dynamique d’Asie centrale, mais elle est tombée d’une moyenne proche de 10 % avant 2008 à seulement 1 % en 2016, à cause d’une trop grande dépendance à l’égard des exportations de pétrole et du marché russe.
Plus globalement, la Chine avance plus vite que l’Union européenne dans cet État : depuis quelques années, un grand nombre d’entreprises chinoises ont pris des participations voire ont acheté – elles commencent à en avoir l’habitude – des entreprises kazakhes dans le domaine pétrogazier.
L’ouverture aux investissements chinois, américains et européens permet au président Nazarbaïev de maîtriser une politique étrangère dite « multivectorielle », comme vous l’avez indiqué, monsieur le secrétaire d’État. Celle-ci consiste à attirer les capitaux étrangers en s’ouvrant à tout le monde simultanément, si bien que l’État satisfait les demandes des grandes puissances tout en obtenant peu à peu son indépendance vis-à-vis de la tutelle russe – la diplomatie kazakhe est équilibriste. Pour cela, ce pays de 10 millions d’habitants seulement – compte tenu de sa superficie, il reste de la place – s’appuie très largement sur ses très nombreuses ressources fossiles, en pétrole, en gaz, mais aussi, bien évidemment, en uranium.
La Chine et l’Europe voient dans l’accès aux ressources kazakhes un habile moyen de diversifier leur approvisionnement en pétrole et en gaz, ce qui donne aussi la possibilité de se passer des monarchies du Golfe, en cette période de regain des tensions régionales entre l’Iran, Israël et l’Arabie saoudite. C’est pour cela que l’Union européenne s’intéresse de près à ce pays qui, en grandissant, prendra une place de plus en plus importante dans cette région clé pour le commerce mondial de demain.
Toutefois, le pays est handicapé par son système politique, qui repose sur un seul homme : le président de la République Noursoultan Nazarbaïev. Celui-ci dirige le pays depuis février 1990 – cela a été dit – et était auparavant, depuis 1984, premier ministre de la République socialiste soviétique kazakhe.
M. Jean-Luc Mélenchon. En effet !
M. Jean-Paul Lecoq. Ce problème démocratique majeur constitue un véritable frein au mouvement vers la respectabilité internationale du pays. Le régime en place ne s’y trompe d’ailleurs pas : dans son intérêt bien compris, il commence à lâcher du lest et à donner des gages aux pays occidentaux – business is business, comme on dit. Par exemple, nous avons assisté cette année à la libération de Vladimir Kozlov, chef de file de la coalition de l’opposition, qui était emprisonné depuis 2012.
Ce régime n’est donc pas exemplaire, loin de là, en matière démocratique. Il est encore gangrené par une corruption extrêmement forte, une limitation stricte de la liberté d’opinion, y compris sur Internet, une quasi-interdiction des partis politiques d’opposition, un harcèlement des médias indépendants et des emprisonnements réguliers et brutaux des opposants politiques et des militants des droits de l’homme. L’ONG Amnesty International tire d’ailleurs très souvent la sonnette d’alarme sur ces questions. Pour que ce traité fasse honneur à l’Union européenne, celle-ci et ses États membres devront maintenir une véritable pression afin de lutter contre ces graves et trop nombreuses atteintes aux droits de l’homme.
Deux enjeux sont donc au cœur de cet accord de partenariat : renforcer économiquement les liens entre l’Union européenne et le Kazakhstan tout en incluant au maximum les considérations relatives à la protection des droits de l’homme et à la démocratie.
S’agissant des droits de l’homme, plusieurs dispositions de l’accord soulignent la nécessité d’un engagement actif du pays dans les réformes politiques et démocratiques. D’après le rapport, le volet démocratique de la future coopération entre l’Union européenne et le Kazakhstan sera notamment contrôlé par le biais de la coopération interparlementaire entre les deux parties prenantes. Nous aurons donc un rôle à jouer en la matière. Le groupe d’amitié France-Kazakhstan de l’Assemblée nationale devra avoir du courage et de la franchise pour faire le point, à chaque rencontre, sur les évolutions démocratiques et les droits de l’homme au Kazakhstan.
D’autres demandes sont intégrées dans l’accord.
On y insiste sur les efforts à accomplir en matière d’impartialité de l’appareil judiciaire, de lutte contre la corruption, de liberté de la presse, de liberté d’expression, de liberté d’association et de réunion, etc.
On y insiste également sur les aspects sociaux, notamment sur les lois dans le domaine du travail, afin de favoriser l’émergence de syndicats indépendants et de faire en sorte que le Kazakhstan fasse siennes les normes internationales en matière de droit du travail. Les organisations responsables du respect de ces normes devront fait preuve d’une très grande vigilance : le spectre du massacre de plusieurs dizaines de travailleurs du pétrole en grève par les forces de police kazakhes, en 2011, reste un vif traumatisme dans les mémoires et suscite de l’inquiétude pour la suite.
M. Jean-Luc Mélenchon. C’est sûr !
M. Jean-Paul Lecoq. On ne doit pas oublier que les droits de l’homme sont un fondement de la paix et que, pour atteindre un monde plus pacifique, la diplomatie mondiale doit veiller à les préserver au mieux.
Peut-être le Kazakhstan se pliera-t-il, par appât du gain, aux exigences en matière de démocratie et de droits de l’homme grâce à ce traité d’inspiration purement libérale, qui repose sur l’idée de Montesquieu selon laquelle « le commerce […] adoucit les mœurs ».
Pour ma part, je ne crois que très peu à cette idéologie, qui a trop souvent fait fausse route, et j’ai la faiblesse de penser que c’est par la diplomatie, en restant le plus vigilant possible, comme le rapporteur suppléant l’a souhaité, que l’on pourra faire appliquer les règles en matière de droits de l’homme et de démocratie. La France et l’Allemagne, coordinatrices de l’initiative de l’Union européenne pour le renforcement de l’État de droit en Asie centrale, devront donc être extrêmement vigilantes et travailler de concert avec Astana. L’objectif sera de faire avancer les droits sociaux et les droits de l’homme dans ce pays, afin que la population et les travailleurs bénéficient mieux qu’aujourd’hui des fruits de la croissance économique.
En dépit des fortes réserves concernant les droits de l’homme et de la surveillance sans relâche qui s’imposera en la matière, ce traité semble aller dans le bon sens, celui d’une insertion de l’Union européenne dans cette région qui sera incontournable à l’avenir. C’est aussi l’instrument d’une diplomatie de bon sens qui tente, tant bien que mal, de placer côte à côte engagements économiques et respect des droits de l’homme et de la démocratie. Le groupe GDR votera donc en faveur de la ratification cet accord.

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)

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