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Affaires étrangères : adaptation du droit pénal à la Cour pénale internationale

 
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la France a laissé passer l’occasion de tenir les engagements politiques qu’elle affiche en matière de lutte contre l’impunité afin de permettre aux personnes victimes des crimes les plus odieux d’avoir accès au juge.
En tant que membre de la communauté internationale et en signant le statut de Rome au nom des buts et des principes de la Charte des Nations unies, notre pays s’est pourtant engagé à tout faire pour que ne soient plus commis des crimes d’une gravité telle qu’ils menacent la paix et la sécurité internationales. Or, en ayant introduit des réserves dont l’application d’une disposition transitoire, pour une période de sept ans, portant sur la non-acceptation de la compétence de la Cour en ce qui concerne la catégorie des crimes visés à l’article 8 du statut, elle ne se dote pas des outils permettant de poursuivre les auteurs de crimes heurtant la conscience humaine.
Malgré des demandes réitérées – lors des débats au Sénat en 2008, puis lors des discussions sur ce projet en commission des lois et en commission des affaires étrangères, laquelle, dans un avis adopté à l’unanimité, a souhaité revoir le dispositif mis en place par le Sénat, sans oublier les appels de la Commission nationale consultative des droits des l’homme qui, par quatre fois, a interpellé le Premier ministre sur l’urgence de cette adaptation, ou ceux de la coalition française pour la Cour pénale internationale –, le Gouvernement n’a cessé de tergiverser, prétextant que l’agenda parlementaire était trop chargé.
Il avait pourtant une excellente occasion d’agir avant le 31 mai dernier, mais rien n’y a fait. La France s’est rendue à Kampala, pour la première conférence de révision du statut de la CPI, sans s’être mise en conformité avec les engagements signés lors de la ratification et qui visent à instaurer une justice universelle à laquelle doivent répondre tous les responsables de crimes de guerre.
Si cette adaptation du droit pénal avait été faite avant Kampala, la France aurait pu s’inscrire comme membre à part entière de la communauté internationale. Mais le Gouvernement continue à défendre les quatre conditions restrictives déjà adoptées par le Sénat en 2008, et qui sont l’exigence de « résidence habituelle » de l’auteur présumé des faits sur le territoire français, le principe de la double incrimination, le monopole des poursuites par le parquet et l’inversion du principe de complémentarité.
La France a ratifié le statut de Rome et scellé ainsi sa participation, pleine et entière, à la mise en place de la Cour pénale internationale, prête à lutter contre les crimes internationaux tels que définis dans le statut. Ces restrictions, outre qu’elles sont loin d’être conformes à l’esprit et à la lettre du statut, ne favorisent pas la lutte contre l’impunité et peuvent porter préjudice au travail de la CPI, permettre aussi qu’elle soit critiquée, voire délégitimée.
Grâce à ces réserves, la France reste une terre d’accueil où les auteurs présumés des crimes les plus graves peuvent et pourront continuer à se promener en toute liberté,…
…puisque les juges ne sont toujours pas dotés du pouvoir de juger, à moins qu’ils ne soient de nationalité française. Pourquoi ce gouvernement cherche-t-il à éluder ses responsabilités quant aux actions des forces armées françaises lors des luttes de libération nationale, mais aussi dans le cadre des opérations extérieures, sur lesquelles notre groupe a demandé que soient périodiquement organisés des débats, ainsi que l’autorise la Constitution ?
Cette position est pour le moins curieuse. D’un côté, le Gouvernement affirme vouloir lutter contre l’impunité, pièce maîtresse du statut de Rome ; de l’autre, il se protège en s’arrangeant avec ses obligations. Malgré cela, il participe pleinement, en tant qu’État membre, au financement de la CPI à hauteur de 10 % : autre contradiction.
À ce refus d’adaptation, le Gouvernement ajoute son refus partiel d’intégrer dans son droit interne la répression des violations des conventions de Genève de 1949 et des deux protocoles additionnels de 1977. Dès lors, pour l’instant, une stricte conformité entre les définitions des incriminations du droit français et les définitions du droit international n’existant toujours pas, elle prend le risque de tomber sous le coup de l’article 17-b du statut de Rome, qui stipule que la Cour peut juger une affaire recevable au cas où l’absence de poursuites internes serait « l’effet du manque de volonté ou de l’incapacité de l’État de mener véritablement à bien des poursuites », ceci au regard du principe de complémentarité entre la CPI et les tribunaux nationaux, seule voie pour lutter réellement contre toutes les causes de l’impunité. Si ce projet était voté tel quel, il placerait la France en état de rupture avec le droit international.
Or la France a contribué à l’élaboration du droit international et à son entrée en vigueur. Elle l’a fait dans le sens de la justice, notamment par la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui est toujours à la base des statuts de l’ONU et qui est inscrite dans le préambule de la Constitution. Elle l’a fait dans le but de rechercher sans relâche les criminels contre la paix, les criminels de guerre, les criminels contre l’humanité, et de les châtier.
Non seulement la France serait en rupture avec le droit international en ratifiant ce projet en l’état mais, en outre, elle serait en rupture avec elle-même. La France a effectivement ratifié les conventions qui rendent imprescriptibles les crimes de guerre, et la Ve République a inclus ces conventions dans les sources du droit que les tribunaux ont le devoir de respecter lorsqu’ils rendent leurs sentences.
Or ce projet de loi prévoit une prescription de l’action publique et de la peine, au bout de trente ans pour les crimes de guerre, au bout de vingt ans pour les délits de guerre.
Le statut de Rome pose pourtant le principe d’imprescriptibilité de l’ensemble des crimes internationaux, les crimes de guerre ne faisant pas exception.
Si la France ne reprenait pas la norme d’imprescriptibilité, elle perdrait, à l’expiration du délai de prescription, la possibilité de juger les criminels de guerre présents sur son territoire, ainsi que ses propres ressortissants. Or les crimes de guerre ne sont pas des crimes comme les autres. Il importe donc de reconnaître leur spécificité et de prévoir leur imprescriptibilité.
Le Gouvernement a-t-il oublié la décision du Conseil constitutionnel aux termes de laquelle « aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, n’interdit l’imprescriptibilité des crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale » ?
Cette spécificité française montre comment les États parties les plus puissants, s’inscrivant dans un rapport de forces, s’arrangent avec les normes impératives du droit international qu’ils ont pourtant ratifiées. Certains d’entre eux s’exonèrent à bon compte des crimes de guerre commis par leurs forces armées, dont les populations civiles sont les premières victimes. C’est ainsi que les crimes contre Gaza peuvent bénéficier de l’impunité que notre collègue Goasguen semble défendre.
Si le Sénat a permis quelques avancées à propos du projet que nous examinons aujourd’hui, il n’en a pas moins instauré des conditions si restrictives qu’elles rendent pratiquement impossible la mise en œuvre de la compétence universelle.
Nous devons ainsi dénoncer l’adoption en séance publique de l’amendement du rapporteur, accepté par le Gouvernement, qui vide de sa substance le principe de compétence universelle. Ce faisant, la France ne permettra pas que soit effective la cour mondiale et que soit créé un réel mécanisme de coopération judiciaire internationale pour lutter contre les génocides, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.
Ces conditions se déclinent en quatre critères cumulatifs, qui conditionnent la possibilité de poursuivre un criminel international en France.
Tout d’abord, l’auteur de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de génocide doit résider habituellement sur le territoire français, alors qu’un simple tortionnaire peut être arrêté et poursuivi dès son arrivée à l’aéroport. La nécessité de prouver la résidence habituelle en France d’un suspect mettra à l’abri des poursuites tous les auteurs et complices de génocide, crime contre l’humanité ou crime de guerre, qui éviteront d’installer en France le centre de leurs attaches professionnelles et familiales et se contenteront d’y effectuer des séjours plus ou moins longs, en toute impunité.
Ensuite, en vertu de la condition de double incrimination, les crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre ne seront poursuivis en France qu’à la condition d’être incriminés par la loi pénale du pays où ils ont été commis. Cette condition représente également un recul de notre droit pénal, qui n’exige la double incrimination que pour les délits et non pour les crimes. Pourquoi le législateur devrait-il la rétablir pour les plus graves d’entre les crimes ? Par définition, les crimes internationaux sont la violation de valeurs universelles reconnues par la communauté internationale. Instaurer la condition de double incrimination revient à remettre en cause cette universalité et conduit à conférer l’immunité, par exemple, aux auteurs de génocide si celui-ci n’est pas pénalement incriminé dans leur propre pays, ou aux responsables de crimes de guerre.
De plus, l’amendement voté par le Sénat confie le monopole des poursuites au parquet, ce qui est totalement dérogatoire au droit commun et à la tradition pénale française. Cette disposition figurait dans l’avant-projet de loi et en avait été retirée à la suite des critiques de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui y voyait une « atteinte grave aux droits des victimes à un recours effectif »…
…et une anomalie au regard des efforts de la France qui « s’est activement engagée dans la reconnaissance des droits des victimes tout au long des négociations pour l’établissement de la CPI », selon les termes mêmes de l’avis qu’elle a rendu le 15 mai 2003. Pourquoi donc avoir réintroduit ce monopole ?
Pour finir, l’amendement voté par le Sénat renverse le principe de complémentarité prévu par le statut de la CPI, en subordonnant les poursuites en France à la condition que la CPI ait expressément décliné sa compétence.
Cette disposition est contraire au statut lui-même, dont les articles 17 et 18 prévoient justement que la Cour ne peut agir qu’en cas de défaillance des juridictions nationales.
La disposition que tend à introduire cet amendement doit, à l’évidence, être supprimée, afin que les crimes définis par le statut de Rome soient soumis au même régime procédural que les autres crimes internationaux, pour lesquels est déjà admise une compétence extraterritoriale des juridictions françaises : torture, terrorisme, crimes internationaux commis au Rwanda ou en ex-Yougoslavie.
Le maintien d’un tel verrouillage va envoyer au monde un message désastreux : celui d’une France souhaitant ménager les bourreaux qui voudraient se rendre sur son sol et n’ayant aucune intention véritable de participer au système judiciaire international créé par le statut de Rome pour lutter contre les atrocités qui heurtent la conscience de l’humanité tout entière.
Cet amendement ne saurait être maintenu : il serait inconcevable que la patrie qui avait une tradition en matière des droits de l’homme se dote des critères de compétence les plus restrictifs d’Europe…
…et devienne une terre où l’impunité est acquise aux génocidaires, criminels contre l’humanité ou criminels de guerre, pour peu qu’ils prennent les quelques précautions que leur suggère le texte.
Ce projet de loi ne répond pas aux exigences du statut de la cour pénale internationale.
Après l’adoption d’un tel amendement du Sénat, il est évident que le groupe GDR ne pourra que rejeter ce texte.
Du reste, nous avions rédigé vingt-deux amendements, que nous pensions avoir déposés, et que nous défendrons. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
 

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
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