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Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’ultime examen de ce projet de loi après son vote définitif au Sénat à la fin du mois de juillet nous permet de faire un premier constat : le temps long du travail parlementaire, votre sens de l’écoute, monsieur le ministre, ainsi que le partage d’idées ont permis d’améliorer le contenu d’un texte législatif. Ainsi, nombre des dispositions initiales ont pu être enrichies et adaptées de façon très concrète. En préambule à mon intervention, je tenais à le souligner car, hélas, un tel travail de fond est loin d’accompagner tous les textes soumis à la représentation nationale. Refuser de recourir à la procédure accélérée est devenu un acte politique fort, exceptionnel, pour ne pas dire extraordinaire !
Je tiens également à souligner le travail remarquable de notre rapporteur Germinal Peiro et à rendre hommage à sa qualité d’écoute et sa volonté de concertation. Je n’oublie pas les membres de notre commission des affaires économiques qui se sont fortement impliqués dans l’examen de ce projet de loi.
Aussi, l’objectif de mon intervention n’est pas de revenir dans le détail sur les dispositions du texte, dont les derniers ajustements ont été trouvés en commission mixte paritaire, avec, je le crois, le souci réel de l’efficacité et de la justesse dans la mise en application des outils retenus.
Comme nous l’avons déjà dit en première et deuxième lectures, nous soutenons le nouvel outil qu’est le groupement d’intérêt économique et environnemental et avons défendu l’élargissement à la dimension sociale du projet que porteront les groupements. Il s’agit d’une avancée réelle qui sera, je l’espère, source de nombreux projets novateurs qui pourront être pleinement accompagnés sur les territoires. De même, je salue les précisions sur les majorations d’aides dont peuvent profiter les membres des GIEE, qui doivent naturellement bénéficier en priorité aux exploitants agricoles, tout comme les précisions relatives à l’entraide agricole au sein des groupements.
Je ne reviendrai pas longuement non plus sur les objectifs fondamentaux de ce texte en faveur de nouvelles pratiques agricoles. Nous souscrivons pleinement aux objectifs de réduction des intrants phytosanitaires et des antibiotiques en élevage, dont l’incidence négative sur les milieux naturels et la santé des hommes est connue. L’antibiorésistance notamment est un sujet particulièrement préoccupant. Si ce projet de loi prend manifestement la question à bras-le-corps, je crains que cette détermination ne soit pas la même quand il s’agit de négocier les accords de libre-échange, qui pourraient aboutir à un alignement par le bas de la réglementation dans le domaine alimentaire. Terrible contradiction, j’aurais l’occasion d’y revenir.
Nous saluons également la priorité donnée à l’installation des jeunes, avec le contrat de génération destiné aux jeunes agriculteurs, la rénovation des aides à l’installation et la suppression de la surface minimum d’installation, remplacée par l’activité minimale d’assujettissement, qui devrait faciliter l’installation progressive. Cette ambition en faveur du renouvellement des exploitations va de pair avec le renforcement de la politique foncière et de contrôle des structures.
Sur le volet forestier, on ne peut que se féliciter de la création par la loi du Fonds stratégique de la forêt et du bois en regrettant cependant que nous n’ayons pu lui assurer plus de pérennité avec un compte d’affectation spéciale.
Aussi, je réitère l’appréciation positive des députés du Front de gauche et plus largement du groupe de la Gauche démocrate et républicaine sur l’orientation générale et les outils nouveaux introduits dans ce projet de loi. Ils doivent servir utilement à dépasser le stade de l’expérimentation des nouvelles pratiques pour un déploiement réel sur les exploitations. C’est d’ailleurs là la difficulté première : passer le cap de la réalisation et de l’évaluation concrète, si souvent repoussées faute de moyens ou de volonté.
Je le répète, en dépit de ses omissions, ce texte a un grand mérite : avec lui, nous changeons de paradigme. Et je souhaite sincèrement que les outils novateurs qu’il contient servent réellement à passer à la vitesse supérieure dans la mise en œuvre de nouvelles pratiques agricoles.
Cependant, monsieur le ministre, nous ne pouvons pas, sous prétexte d’un texte globalement positif, esquiver des enjeux tout aussi fondamentaux auxquels devra faire face l’agriculture française et européenne.
J’avais, en deuxième lecture, noté plusieurs sujets qui sont aujourd’hui, plus encore qu’hier, d’une bouillante actualité pour le monde agricole. Je veux parler plus particulièrement des accords de libre-échange, de la question des revenus et des prix agricoles, et de la gestion des risques et des crises en agriculture.
Monsieur le ministre, vous le savez, les paysans français et européens se trouvent dans une situation toujours plus délicate, aggravée par les retours de bâton diplomatiques de la Russie, mais surtout minée par les conséquences d’une politique agricole européenne toujours plus inconséquente. Quel paradoxe en effet de voir le Conseil des ministres de l’agriculture se préoccuper subitement de la gestion des volumes pour les productions potentiellement touchées par l’embargo russe, quand les dirigeants européens ont défendu, des années durant, la liquidation de tous les outils de régulation des volumes et des prix, et alors même que la fin des quotas laitiers est prévue dans quelques semaines !
Les 240 millions d’euros d’aides au retrait du marché ou au stockage envisagées risquent en effet d’être un emplâtre sur une jambe de bois au regard de l’impact des difficultés supplémentaires pour des millions d’exploitations européennes sans doute. Nous ne pouvons pas laisser sous le tapis les problèmes de fond, au premier rang desquels des contradictions évidentes entre la volonté de changer de cap agricole comme le fait si utilement ce texte, et les choix libéraux européens désastreux pour nos agriculteurs.
Oui, grâce au renouveau des travaux agronomiques et aux paysans pionniers de l’agroécologie, nous savons aujourd’hui que des pratiques culturales profondément renouvelées sont les mieux capables de répondre aux défis climatiques et alimentaires et de permettre le développement de l’emploi agricole et rural. Mais dans ce cas, comment interpréter les choix totalement contradictoires d’une Commission européenne qui entend continuer à brader l’agriculture sur l’autel du libre-échange ?
Certes, la diplomatie française, asservie depuis 2007 aux exigences américaines, n’avait sans doute pas mesuré les effets néfastes de son suivisme pour l’avenir de notre agriculture. Mais pourquoi, dès lors, accepter tacitement d’approfondir les menaces qui pèsent sur nos producteurs avec, au premier rang, la poursuite des négociations sur les accords de libre-échange, particulièrement sur le grand marché transatlantique ?
Monsieur le ministre, ces négociations sont guidées par le seul approfondissement de la doctrine libérale et conduiront à un véritable cataclysme pour nos paysans. Sont particulièrement concernées nos filières d’élevage de grande qualité, qui ont une véritable épée de Damoclès au-dessus de la tête. En effet, elles ne seront pas seulement mises en concurrence directe avec les productions américaines, canadiennes ou sud-américaines – car il existe d’autres traités –, mais elles ne bénéficieront plus d’aucune régulation des prix et des volumes au niveau européen.
Je profite donc de cette tribune pour renouveler mon appel à la représentation nationale et au Gouvernement : il est encore temps pour notre pays de refuser ce grand marché de dupes en appelant les Européens à rompre avec le libre-échange sur les marchés agricoles, afin de favoriser une autre ambition européenne et de redonner une vision à notre politique agricole commune pour les années à venir.
Par ailleurs, et pour couronner le tout, les stratégies de marge de la distribution continuent d’être appliquées sans vergogne. De fait, la puissance publique laisse les producteurs subir des prix d’achat souvent inférieurs aux coûts de production. Pour la distribution, la croissance des importations constitue une aubaine en vue de compresser toujours plus les prix d’achat aux producteurs. Il ne suffit pas d’en appeler à leur simple « responsabilité » pour « ne pas spéculer sur une baisse des cours », comme vous venez de le préciser dans votre note aux parlementaires sur l’embargo russe – cela me rappelle les méthodes de la précédente majorité, qui voulait sans cesse « responsabiliser le capitalisme »
Ce que veulent nos producteurs qui voient les prix plonger, ce sont des mesures concrètes et efficaces pour ne pas mettre la clé sous la porte. La garantie des prix d’achat, notamment, doit être prise en urgence, avec en priorité l’application immédiate du coefficient multiplicateur tel que prévu à l’article L. 611-4-2 du code rural. Cette mesure est depuis longtemps l’un de mes chevaux de bataille, mais elle n’a sans doute jamais été d’une si urgente nécessité.
Accords de libre-échange, absence de régulation, chute des prix : tous les ingrédients d’une grave crise agricole en Europe sont réunis. Il faut donc choisir : laisser-faire les marchés ou réorienter notre modèle agricole, comme y tend ce projet de loi ? Poursuivre la fuite en avant dans la croissance des importations déloyales avec les accords de libre-échange ou refuser enfin les diktats de la Commission européenne ? Se soumettre aux géants de la distribution et à leurs stratégies de rentabilité ou revenir à une véritable régulation des marchés, des volumes et des prix ?
Comme en matière de politique économique, sociale et budgétaire, il faut répondre à ces questions. L’avenir des agriculteurs français et européens dépend à court terme de choix politiques courageux et assumés.
Aussi l’adoption de ce projet de loi, que nous soutenons, ne doit-elle pas être considérée comme un aboutissement. Nous attendons désormais que la représentation nationale soit rapidement saisie d’un véritable débat de fond sur les sujets que je viens d’évoquer.
Je conclurai par une citation de Paul Eluard – certes moins poétique que celle de René Char que vous avez rappelée tout à l’heure, monsieur le ministre : « Le passé est un œuf cassé ; l’avenir est un œuf couvé » Il nous reste encore beaucoup de travail pour le développement de l’agriculture de notre pays et de l’agriculture européenne.

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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