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Agriculture

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’aborder plus précisément les mesures de ce projet de loi d’avenir pour l’agriculture et la forêt, je voudrais revenir sur le contexte européen dans lequel il s’inscrit.
L’Europe, comme la France, vient de perdre 25 % de ses exploitations agricoles et de ses actifs agricoles en seulement dix ans. Dans le même temps, pour les 500 millions d’Européens, la question alimentaire redevient une préoccupation centrale, en lien direct avec les conséquences de la crise financière, la perte d’emplois et de revenus, et l’explosion de la précarité.
Une analyse territoire par territoire conduirait même à démontrer que des populations entières en Europe sont désormais touchées par la sous-alimentation et la malnutrition, comme c’est le cas de la Grèce. Partout les politiques d’austérité font des ravages, y compris sur la satisfaction d’un besoin primaire de l’humanité : se nourrir.
En disant cela, je ne cède pas à un catastrophisme mais je parle d’une réalité : celle d’une Europe qui, au lieu de regarder les conséquences politiques du libéralisme, se complaît à proposer une politique agricole dite nouvelle avec des yeux tournés vers le passé.
Je dirais même que la Commission européenne et nombre de chefs d’État et de gouvernement renouvellent la PAC avec les mêmes réflexes qu’en 1992. Certains rêvent d’ailleurs toujours de la liquider, tant ils sont aveuglés par les sirènes de la finance.
Pour les députés du Front de gauche, les arbitrages retenus pour la politique agricole commune pour la période 2014-2020 ne répondent pas aux enjeux fondamentaux de cette politique essentielle aux Européens. Le projet de la Commission européenne et l’accord intervenu entre les chefs d’État et de gouvernement entendent continuer sur la voie de l’ouverture des marchés et du désengagement des politiques publiques agricoles.
C’est vrai que la France a œuvré et bien œuvré pour un maintien – certes, a minima – du budget actuel, mais on est finalement très loin de parvenir à une ambition renouvelée pour l’agriculture européenne.
L’engagement politique de l’Europe pour une PAC en phase avec les besoins d’un nouveau modèle agricole, plus durable, actant un juste partage de la valeur ajoutée au service du maintien et de renouvellement des générations d’actifs agricoles, au service des revenus des travailleurs de la terre, du développement rural, de la qualité des produits, du respect de l’environnement et de la pérennité des écosystèmes, n’est pas au rendez-vous.
C’est un constat bien amer, alors que l’initiative et la construction historique de la PAC furent longtemps le symbole d’une Europe politique sachant se doter de moyens suffisants pour atteindre des objectifs alimentaires au service de tous.
Ce résultat est bien le révélateur d’une politique européenne qui privilégie les intérêts financiers, même quand il s’agit comme ici d’un besoin fondamental, celui de nourrir les Européens.
Je ne souhaite pas verser dans le pessimisme en disant cela. C’est un simple constat, partagé par nombre d’organisations paysannes et par nombre de spécialistes des questions agricoles et alimentaires, notamment de nombreux chercheurs et de nombreuses ONG. Aussi, avant d’examiner les mesures intéressantes de ce projet de loi, ces propos introductifs se veulent comme un rappel : n’oublions pas le fond du contexte agricole et alimentaire européen !
Je réagis ainsi notamment à la lecture de l’exposé des motifs de ce texte, où nous retrouvons les mêmes envolées que pour chaque texte d’orientation agricole, avec, toutefois, un ajout, devenu le nouveau filtre de la pensée du Gouvernement, qui porte le nom de « compétitivité ». Comme si le simple fait de prononcer ce mot suffisait à régler tous les problèmes. Ainsi est-il précisé que l’on pourra, avec les mesures de ce texte, remplir « l’objectif de renouvellement des générations », mais je crois bien sincèrement qu’il faut faire preuve de plus de modestie. Soyons réalistes, en effet, au regard des grandes tendances qui perdurent inéluctablement sans changement structurel de politique européenne, sans rupture avec les politiques de libéralisation et d’abandon des outils de régulation et d’encadrement des marchés. Et elles se prolongeront malgré les inflexions et propositions novatrices que nous pourrons adopter pour l’agriculture française.
De même, si nous continuons de laisser de côté au niveau européen comme au niveau national la question centrale de la répartition de la valeur ajoutée au sein du secteur agricole, la question des revenus et des prix pour les producteurs, nous n’infléchirons pas les tendances à l’œuvre. Il nous faut avant tout viser et gagner un véritable changement de cap de la politique agricole européenne.
Tout reste donc à faire pour que, dans les années qui viennent, l’Europe donne autre chose à voir qu’une politique agricole et alimentaire sans autre réelle ambition que la mise en concurrence des productions agricoles sur un marché mondialisé. Aussi, il nous faut bien réaffirmer certains principes.
Tout d’abord, si l’on refuse clairement l’austérité pour l’Europe, refusons également l’austérité pour l’agriculture et le monde rural en Europe. Alors, notre tâche est bien de replacer l’importance des politiques publiques agricoles dans un contexte alimentaire, celui du XXIe siècle, et au regard de l’avenir des territoires ruraux. Cela a été dit en introduction, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur de la commission des affaires économiques : soit nous faisons le choix de donner une grande ambition et d’accorder une grande attention, aux femmes et aux hommes qui répondent à nos besoins fondamentaux, soit nous considérons que les marchés le feront d’eux-mêmes ; c’est d’ailleurs l’idée que développait tout à l’heure M. Herth. Soit nous considérons que nous avons besoin d’une agriculture renouvelée, présente sur tous les territoires, produisant en quantité et en qualité l’essentiel de l’alimentation de 500 millions d’Européens, une agriculture relocalisée donc, soit nous considérons que la concentration des exploitations et du nombre d’agriculteurs est la seule règle qui s’impose pour satisfaire les intérêts financiers et le libre-échange mondial ; Antoine Herth allait aussi en ce sens tout à l’heure.
Nous avons tout à gagner, au contraire, à rouvrir systématiquement le débat sur ce fond politique. Le pire serait en effet de laisser croire que ce projet de loi bouclerait, par anticipation, un nouveau cycle pour l’agriculture européenne et française pour les six années à venir. Il nous faut donc, quels que soient nos choix et avant tout, viser et gagner un véritable changement de cap de la politique agricole européenne.
Ce texte aurait pu servir de point d’appui pour pousser cette autre ambition européenne et redonner une vision de la politique agricole commune que compte défendre notre pays pour les années à venir. Je considère qu’il ne le fait malheureusement pas, ou qu’il le fait seulement à la marge. Au contraire, il réaffirme, derrière le récurrent concept de la compétitivité, employé décidément à toutes les sauces, les présupposés d’une agriculture européenne qui doit coûte que coûte se couler dans le moule de la compétition internationale, autant dire dans le moule des marchés et de la finance, adversaires de la souveraineté et de la sécurité alimentaires des pays du Sud, adversaires de la protection sociale et des revenus des agriculteurs, comme des normes environnementales et sanitaires.
N’y a-t-il pas, chers collègues, une contradiction évidente entre cette affirmation monocorde de l’exigence de compétitivité et votre volonté, que je ne mets pas en doute, de maintenir des actifs agricoles en Europe, dans nos régions, sur nos territoires de montagne ? J’ai pour ma part bien du mal à voir comment nous pourrons – je dis bien : nous pourrons – permettre à des exploitations familiales, à taille humaine, de se maintenir tout en les mettant toujours plus en concurrence avec les viandes bradées du MERCOSUR ou des États-Unis. Mais sans doute – je me tourne vers mon ami et voisin Jean-Paul Bacquet en disant cela – ma réticence tient-elle au fait que je n’ai toujours pas succombé aux charmes enchanteurs de la pensée néolibérale et aux vertus intrinsèques du libre-échange sur les marchés agricoles.
C’est donc à la lumière de cette orientation de fond, indispensable à la clarté de nos débats, que les députés du Front de gauche examinent ce texte. Avec les députés d’outre-mer du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, nous essaierons d’en améliorer le contenu, d’autant plus que les mesures vont, pour l’essentiel, dans la bonne direction, même si elles restent à nos yeux trop souvent insuffisantes au regard des intentions affichées.
Monsieur le ministre, vous le savez, nous partageons l’objectif du « produire autrement ». Je vais y revenir, mais il faut bien admettre que la seule mise en œuvre des trente-neuf articles de ce texte ne suffira pas à infléchir les grandes tendances structurelles de l’agriculture européenne et nationale.
J’en viens donc de façon plus précise aux principales dispositions qui nous sont présentées. Le titre préliminaire redéfinit les grandes orientations de la politique agricole et alimentaire de notre pays, et comporte une série de propositions visant à favoriser la réorientation de notre modèle agricole. En ce qui concerne les principes généraux repris à l’article 1er, je regrette qu’il ne soit pas fait référence aux problématiques de fond évoquées précédemment. Je pense en particulier au contenu de la politique agricole en termes d’emplois, de revenus agricoles, de répartition de la valeur ajoutée.
Soyons attentifs à ne pas en rester à une forme de communication politique autour de la double performance économique et environnementale. Ce projet de loi doit afficher clairement la nécessité de s’attaquer à la problématique centrale des revenus agricoles, c’est-à-dire à la question de la répartition de la valeur ajoutée au sein des filières agricoles. Alors que l’article 1er du texte est censé fixer les orientations de notre politique agricole et alimentaire, cette omission sur la répartition de la valeur ajoutée est grave de conséquences pour l’avenir de nos producteurs. Disons-le : une gauche courageuse doit s’attaquer dès maintenant aux intérêts particuliers de la distribution, qui se confortent en vidant les poches des plus pauvres de nos concitoyens et en étranglant nombre de producteurs. J’aurai l’occasion d’y revenir en défendant plusieurs amendements, qui concernent notamment la mise en place effective de l’encadrement des prix et des marges de la grande distribution.
M. Germinal Peiro, rapporteur. C’est fait !
M. André Chassaigne. Une autre omission, partiellement rattrapée en commission avec l’adoption d’un de mes amendements, concerne l’objectif d’un haut niveau de protection sociale pour tous les actifs et les retraités du secteur agricole. C’est une particularité de notre modèle agricole qu’il faut conserver et renforcer. Sur ce point aussi, je propose une référence plus claire, sous la forme d’un amendement complétant la rédaction de l’alinéa relatif à la protection de la santé publique, puisqu’il s’agit d’apporter une attention toute spécifique à la protection de la santé des agriculteurs et des salariés du secteur agricole.
Comment ne pas regretter aussi, même si cela relève plus directement du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, l’absence de référence au renforcement de la protection sociale et sanitaire des agriculteurs comme à la solidarité à l’égard des retraités agricoles, avec l’exigence d’une retraite au moins égale à 85 % du SMIC, assise sur de nouvelles contributions du secteur bancaire et de l’assurance et de la grande distribution ? Ce sont aussi des mesures de justice sociale très attendues, que nous devons porter dans le débat agricole en France et en Europe.
Parmi les grands objectifs énoncés dans cet article 1er, je reviendrai également avec précision sur notre vision du développement de la valeur ajoutée des filières et du renforcement de notre capacité exportatrice. Nous avons besoin, à ce sujet, à la fois d’être très précis et de clarifier l’ambition de notre pays. Je me tourne à cet égard encore une fois vers M. Bacquet. Nous partageons, cher collègue, l’objectif de renforcement de nos capacités exportatrices, sachant qu’il faut s’appuyer essentiellement sur la diversité des produits et sur des démarches de promotion de la qualité et de l’origine. C’est ce qui a été fait dans le secteur de notre collègue avec le saint-nectaire, dont les exportations se sont énormément développées, grâce à sa qualité.
La rédaction actuelle est ambiguë, peut-être même volontairement, pour satisfaire une partie du monde agricole, dont les agrimanagers, très soucieux de voir s’ouvrir un peu plus les marchés sur des produits sujets à une spéculation intense. Est-ce là notre priorité ? Je ne le crois pas. Ce qui nous importe en revanche, c’est de tirer les leçons des difficultés actuelles de nos productions conventionnelles, fortement soumises à la concurrence internationale et au dumping social et environnemental. Nous privilégions une vraie stratégie de montée en gamme de nos exportations. Qu’il s’agisse d’ailleurs de nos échanges intracommunautaires, comme de nos exportations au-delà des frontières de l’Europe, affichons clairement notre volonté de renforcer et de soutenir le développement de nos productions sous l’ensemble des signes de qualité et d’origine, tout comme notre tissu de transformation artisanale et industrielle de grande qualité. Le discours que je tiens est vraiment complètement différent de celui que tenait tout à l’heure notre collègue Herth.
Mme Frédérique Massat. On s’en rend bien compte !
M. André Chassaigne. Je le dis pour qu’il réagisse, mais il ne réagit pas. (Sourires.)
J’aurai également l’occasion de revenir sur ce même article, en défendant deux amendements qui portent sur deux concepts encore une fois laissés de côté. Ils constituent pourtant les deux premiers défis de l’agriculture européenne et mondiale. Je veux parler de la souveraineté et de la sécurité alimentaires. Ces deux défis ne font malheureusement plus partie du vocabulaire de nos gouvernements successifs, qui jugent plus utiles de les remplacer par ceux de « compétition internationale » et de « compétitivité », qui sonnent pourtant comme l’antithèse de toute politique alimentaire réfléchie.
Comme je conçois que l’on trouve mes propos sans doute un peu dur sur ces substitutions sémantiques qui ont pourtant beaucoup de sens, je m’appuierai sur le constat fait par une douzaine de chercheurs du Centre d’études et de recherches internationales de Sciences Po Paris, dans une note concernant l’avenir de notre politique agricole commune, chercheurs qu’on ne saurait accuser de manquer d’objectivité scientifique. Ils écrivaient alors que « les travaux des économistes, venus d’horizons les plus divers, convergent aujourd’hui sur un certain nombre de constats qui montrent qu’aucune augmentation significative du bien-être collectif ne peut résulter de la libéralisation des échanges agricoles. [… ] Pour exercer sa souveraineté alimentaire à partir d’une agriculture durable, l’Europe a besoin d’une politique agricole volontariste forte. Pour construire cette politique, il faut savoir s’affranchir des modes intellectuelles du moment et savoir tirer les enseignements d’une histoire alimentaire riche en retournements imprévus. Dans les premières périodes de sa construction, l’Europe a su se doter d’une politique agricole efficace pour répondre à ses besoins du moment. [… ] Il ne s’agit donc certainement pas de cultiver la nostalgie, pour prôner le retour à la politique agricole originelle qui fut conçue dans un autre contexte, avec des moyens adéquats. Mais rien ne serait à l’inverse plus absurde que de prétendre ignorer les enseignements du passé, lors de l’élaboration de la politique agricole d’avenir dont l’Europe a besoin. » Monsieur le ministre, réaffirmons donc les principes de souveraineté et de sécurité alimentaires dans ce texte. Nous n’en serons que plus visionnaires.
J’en viens rapidement aux outils et mesures inscrits dans le titre premier, qui est présenté comme le cœur de ce projet de loi. Qu’il s’agisse de la création des GIEE ou de la création de nouveaux outils concernant la réorientation des pratiques, ces mesures vont dans le bon sens. Elles répondent sans aucun doute à des demandes, notamment celles d’agriculteurs souhaitant s’engager dans des démarches environnementales, sociales et productives vertueuses. Ces outils témoignent également de la volonté d’élargir à de nouveaux acteurs, comme les collectivités territoriales, l’engagement et le soutien aux agriculteurs dans ces démarches.
En ce qui concerne la contractualisation, qui était le volet central de la précédente loi de modernisation de l’agriculture, je ne crois pas que la simple création d’un médiateur des relations commerciales agricoles règle le problème de fond. Car le problème de fond, c’est celui de la fixation des prix, et le médiateur n’aura pas de pouvoir sur cet enjeu essentiel. De même, il ne semble pas que de nouveaux pouvoirs lui soient confiés pour s’attaquer aux dispositions les plus nuisibles de la loi Chatel de 2007 ou de la loi de modernisation de l’économie de 2008. Là aussi, je crois que la représentation nationale pouvait, ou pourra, aller plus loin en poussant un véritable encadrement des prix agricoles, qui garantisse les revenus des agriculteurs et des relations commerciales réellement équilibrées.
Le titre II consacré à la protection des terres et au renouvellement des générations revêt une importance capitale au regard des objectifs de maintien de l’activité agricole et de l’installation.
La question foncière est devenue déterminante dans de nombreux pays européens, notamment en France. Les terres agricoles sont soumises à des pressions croisées avec, d’une part, une accélération du changement d’affectation des sols, en particulier en zone périurbaine, et, d’autre part, une volonté d’agrandissement des structures agricoles existantes, qui se fait clairement au détriment des reprises et des installations. Cela a déjà été dit. Notre politique foncière doit donc être remise en lien avec la construction d’un nouveau modèle agricole, riche en emplois, sur la base de productions relocalisées. Aussi proposons-nous de fixer des objectifs ambitieux de réduction du rythme d’artificialisation des sols, en faisant de la protection du foncier agricole une priorité, en particulier en zone périurbaine. Il s’agit de fixer des objectifs ciblés, territoire par territoire, en matière de limitation de la consommation des espaces.
Le rôle de l’Observatoire des espaces naturels, agricoles et forestiers doit à ce titre être clairement renforcé pour qu’il fasse, à partir de ses propres analyses, des propositions concrètes en termes d’objectifs de réduction du rythme de changement d’affectation des sols dans chaque département. Ces propositions pourraient très bien, ensuite, être déclinées au niveau des schémas de cohérence territoriale.
M. Jean-Paul Bacquet. Tout à fait !
M. André Chassaigne. Il faut aussi que les outils et structures d’accompagnement de la politique foncière privilégient plus encore l’installation sur des structures à taille humaine, en favorisant l’emploi. Ce volontarisme doit se doubler d’un véritable soutien financier et réglementaire à l’installation agricole, avec la définition de plafonds en termes de surface par actif.
Je prends note avec satisfaction des avancées significatives en faveur d’une réorientation du contrôle des structures et de la politique d’installation, avec l’objectif de limiter les abus en termes de concentration des exploitations. Ainsi, la réforme profonde concernant l’importance minimale de l’exploitation ou de l’entreprise agricole pour que ces actifs soient considérés pleinement comme chefs d’exploitation doit constituer un véritable levier pour l’installation qu’il conviendra d’accompagner de soutiens adaptés.
Par ailleurs, la redéfinition et l’extension du rôle, des objectifs et des pouvoirs des SAFER – les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural – doit permettre de favoriser une mobilisation plus importante et plus juste des terres agricoles, pour accompagner concrètement l’installation de nouveaux agriculteurs et conforter les structures les plus modestes. C’est également un point positif de ce texte, mais qui pourrait encore être conforté en élargissant ce droit de préemption à l’ensemble des cessions. Du fait de leur montage, certaines cessions continueront en effet d’échapper à la préemption des SAFER. C’est l’objet de deux de nos amendements.
Le titre III, qui concerne plus spécifiquement la politique de l’alimentation, apporte également une série d’avancées en matière de maîtrise de la consommation des produits phytopharmaceutiques et des antibiotiques. Ces questions sont au centre de l’enjeu du « produire autrement ». Je suis toutefois très dubitatif, monsieur le ministre, à propos du transfert à l’ANSES de nouvelles compétences dans le domaine de l’homologation des produits, qui pourrait considérablement affaiblir les orientations politiques prises en ce domaine. Vous répondrez sans doute à cette question, monsieur le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre. Oui.
M. André Chassaigne. Je suis tout aussi dubitatif au sujet de l’absence de bilan du plan Écophyto, dont vous avez rappelé – à juste titre – que les objectifs sont loin d’être atteints. Je crois que la question de la formation, de la démonstration et du transfert aux exploitations des nouvelles pratiques culturales est déterminante. Elle n’est pourtant pas clairement abordée dans le texte. Nous aurons aussi l’occasion d’y revenir lors de l’examen des articles.
C’est d’ailleurs sur le volet de l’enseignement et de la formation que ce projet de loi est, selon moi, le plus faible. Bien sûr, le principe d’acquisition progressive des diplômes constitue une avancée qui doit, là aussi, permettre de renforcer notre politique d’installation. Cependant, quasiment rien n’est prévu pour accompagner une nouvelle donne agricole alliant économie, social et environnement, alors que ce texte aurait pu constituer un véritable point de départ pour une réforme en profondeur de notre enseignement agricole, notamment de ses structures de mise en pratique. Je pense, bien entendu, aux exploitations qui lui sont liées, et qui doivent fonctionner comme de véritables relais d’expérimentation des nouvelles pratiques avec un soutien appuyé de l’État, de l’enseignement supérieur agricole et des organismes publics de recherche dans le domaine agricole.
Monsieur le ministre, nous nous opposerons par ailleurs vigoureusement au principe de la création d’un Institut agronomique et vétérinaire de France qui, selon nous, porte en germe une restructuration profonde de la recherche et de l’enseignement supérieur agronomique et vétérinaire publics. Cette création reviendrait à transformer un secteur qui compte nombre d’établissements de renommée mondiale, tels que l’INRA ou le CIRAD, en un nouvel établissement de grande dimension sans nouveaux moyens financiers, qui serait donc à la charge d’établissements aux budgets déjà exsangues. Le CESE a d’ailleurs jugé inadéquate et inopportune la création de cet institut, s’interrogeant sur les attributions réelles et les modalités de gestion de l’établissement, dont les composantes, s’agissant des instituts de recherche, ne sont pas clairement définies. J’ai lu et relu l’article : cela ne me semble pas très clair.
Le texte reste très vague sur les contours réels, les ambitions et les moyens de cette nouvelle structure. Le fait que les principales dispositions soient confiées à des décrets n’est pas pour rassurer les agents et personnels des établissements concernés. Au regard du contexte budgétaire, ils ont sans doute toutes les raisons de s’inquiéter d’un nouvel institut qui donnerait des gages certains à la mutualisation et à la suppression de personnels, voire à la fusion d’établissements. La réduction des moyens humains et financiers ne peut servir de trame de fond à la réorganisation de l’enseignement supérieur agricole et à la recherche. J’aurais, là aussi, l’occasion d’y revenir en demandant la suppression des alinéas consacrés à la création de l’Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France. Vous y reviendrez-vous sans doute avant, monsieur le ministre, mais je crains que ce ne soit pas pour appuyer une telle suppression ! (Sourires.)
Concernant le volet forestier, nous avons aussi beaucoup à faire pour redonner une ambition à la hauteur des potentialités de la forêt française. Certes, les dispositions contenues dans ce projet de loi se situent dans la lignée des orientations budgétaires positives qui témoignent d’un nouvel intérêt pour ce secteur – il s’agit par exemple de la concrétisation d’un fonds stratégique. Cependant, les dispositions présentées méritent d’être explicitées et complétées : je pense notamment aux nouvelles possibilités qui seraient ouvertes par les Groupements d’intérêt économique et environnemental forestier, les GIEEF. Concernant la lutte contre l’importation de bois illégaux, je crois également que nous avons besoin de connaître précisément les conséquences des dispositions introduites en référence à la nouvelle réglementation européenne et les moyens réels de contrôle qui seront à notre disposition.
Vous le voyez, notre appréciation sur le contenu de ce texte est nuancée. Est-ce faire preuve d’une trop grande sévérité que de dire qu’il manque de fond ? Quoi qu’il en soit, je pense qu’il mérite d’être complété largement d’ici son adoption. Les députés du Front de gauche essaieront ainsi d’améliorer son contenu, dont les mesures vont pour l’essentiel dans la bonne direction, même si elles restent souvent insuffisantes au regard des intentions affichées.
Monsieur le ministre, vous le savez, nous partageons l’enjeu du « produire autrement », mais nous devons bien admettre que la seule mise en œuvre des trente-neuf articles de ce texte peinera indéniablement à infléchir les grandes tendances structurelles de l’agriculture européenne et nationale. Au sein du groupe GDR, les parlementaires du Front de gauche tout comme les parlementaires d’outre-mer mettent en avant des propositions essentielles pour l’avenir de notre agriculture. Ils défendent un droit à l’alimentation de qualité pour tous les citoyens européens et, dans le même temps, un droit au revenu pour tous les agriculteurs, notamment pour les petites et moyennes structures. Il nous faut donc porter l’ambition d’une politique agricole et alimentaire d’une tout autre dimension, renouvelée et renforcée, qui ose se défaire des chaînes de la pensée libérale.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, je ne doute pas de votre volonté de construire avec la représentation nationale une grande loi d’avenir.

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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