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Agriculture biologique

Madame la présidente, monsieur le ministre, si les surfaces agricoles cultivées en bio représentent encore moins de 5 % de la surface agricole utile, le marché du bio atteint désormais 5,5 milliards d’euros, avec une vente en augmentation de plus de 10 % en 2015 par rapport à 2014.
Du fait que l’intérêt croissant que suscite l’agriculture biologique, notamment auprès de la grande distribution, nous nous orientons vers une agriculture bio à deux vitesses, avec le développement d’une agriculture commerciale où les préoccupations sociales et environnementales, liées notamment à la provenance et au conditionnement des produits, passeraient au second plan.
Pour préserver la spécificité de la filière, la Fédération nationale d’agriculture biologique – FNAB – a révisé sa charte en réaffirmant son attachement à une agriculture biologique de proximité, aux prix équitables et aux conditions de travail dignes. Cette charte nous rappelle opportunément que l’agriculture biologique est porteuse de valeurs et vise d’abord à replacer l’humain au centre du système alimentaire.
Compte tenu de la crise agricole majeure que nous connaissons et des conversions à l’agriculture biologique, ainsi que des engagements pris en faveur de la filière, visant à porter l’agriculture biologique à 20 % de la surface agricole utile en 2020, quelles initiatives le Gouvernement entend-il prendre pour accompagner le rythme de croissance soutenu de cette forme d’agriculture et éviter le dévoiement que je citais à l’instant ?
Mme la présidente. Je vous laisse la parole, monsieur Charroux, pour une deuxième question.
M. Gaby Charroux. Monsieur le ministre, un nouveau round de négociations sur le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement a eu lieu en février. Alors que le secteur agricole traverse une crise profonde en France, ce traité représente une menace sérieuse pour notre agriculture et la transition vers une agriculture durable, respectueuse des hommes et de l’environnement.
Alors que la France cherche à réduire le recours aux antibiotiques ou aux produits phytosanitaires, on peut craindre que ce traité ne conduise nos agriculteurs à une fuite en avant dans l’agriculture intensive, au détriment de la transition agricole et du développement de l’agriculture biologique.
L’interdiction des organismes génétiquement modifiés pourrait ainsi être remise en cause, sous la pression de multinationales de l’agrochimie, également hostiles à la diminution du recours aux pesticides.
Ce traité se donne aussi pour objectif d’ouvrir largement les marchés publics, au risque que les exigences écologiques et sociales, telles que l’objectif d’utiliser 20 % de produits bio en restauration collective, soient demain considérées comme des mesures discriminatoires et des freins à la libre concurrence.
Cela marquerait la fin de toutes les tentatives de relocalisation de l’économie, la fin de la nécessaire transition agricole et le triomphe du moins-disant social et environnemental. Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous éclairer sur l’évolution des négociations et nous informer des positions défendues par la France pour atteindre l’objectif de placer la triple performance économique, environnementale et sociale au cœur des pratiques agricoles ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre. Monsieur le député, je comprends vos inquiétudes – vous avez dressé la liste de tous les risques que l’on peut imaginer liés à ce dossier. Mais même si chacun fait comme si tout était déjà signé, je rappelle qu’aucun accord n’a encore été trouvé.
En effet, comme le Président de la République et le Premier ministre l’ont évoqué, les conditions d’un accord ne sont pas réunies, parce que de nombreuses questions ne sont pas résolues. Vous en avez évoqué certaines, monsieur le député ; je citerai pour ma part celle des indications géographiques protégées. Le secrétaire d’État américain chargé de l’agriculture, que j’ai rencontré plusieurs fois à ce sujet, juge les marques supérieures au IGP. Je ne suis pas d’accord, et il s’agit là d’une divergence fondamentale entre deux conceptions de l’agriculture.
De même, s’agissant des normes sanitaires et des OGM, sujet important, des positions historiques dans de nombreux pays européens. Personne n’acceptera, par exemple, de se voir imposer l’usage d’organismes génétiquement modifiés.
Enfin, en ce qui concerne l’agriculture biologique – qui existe également aux États-Unis sous le terme d’organic agriculture –, nous défendrons les règles qui s’appliquent en Europe. Ce sujet majeur faisait d’ailleurs partie des engagements inscrits dans le mandat de négociation que la France a donné à la Commission européenne.
Ainsi, dès lors que les conditions nécessaires ne sont pas réunies – et l’intervention du Premier ministre laissait supposer que nous en sommes loin –, vous pouvez être rassuré, monsieur le député : nous ne braderons pas les fondements de notre agriculture, tant pour ce qui concerne l’agriculture biologique que les IGP, pour parvenir à un accord sur le traité de libre-échange. Celui-ci devrait être hypothétiquement signé dans les mois ou les semaines à venir mais, à mon avis, ce ne sera pas le cas.
Par ailleurs, monsieur le député, vous dites que l’agriculture biologique doit porter un projet humain de relocalisation de la production. Bien sûr ! Les discussions que nous avons eues, avec Brigitte Allain, sur les plans alimentaires – locaux, départementaux ou régionaux – et l’organisation locale de la demande et de la production font partie d’une stratégie dans laquelle l’agriculture biologique prend toute sa place. Nous restons sur la ligne de l’objectif voté à l’Assemblée nationale – nous n’avions pas pu convaincre le Sénat de l’adopter – : porter à 20 % la part des produits issus de l’agriculture biologique dans la restauration scolaire.
Vous objectez, monsieur le député, que les produits biologiques peuvent être trouvés dans la grande distribution. Certes, mais c’est le cas de 90 % des produits achetés par les Français ! On peut certes refuser de recourir à la grande distribution – la décision appartient aux agriculteurs concernés –, mais cela priverait l’agriculture biologique d’une partie des débouchés qui lui permettent aujourd’hui de se développer.
Le débat est donc complexe. Pour ma part, je ne veux exclure aucun canal de distribution : je suis certes favorable au développement de la production locale, des achats locaux et des circuits courts – cela va de soi, et nous devons continuer à encourager ces pratiques. Mais la grande distribution a également sa place. En tant qu’élu local, je connais la situation des épiceries de village, où personne ne se rend car chacun préfère acheter dans les supermarchés situés en bordure de ville. Les deux canaux doivent permettre à l’agriculture biologique de se développer et d’offrir aux consommateurs des produits de grande qualité.

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