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Autonomie des femmes étrangères - Rapporteure

Rapporteure de la commission des lois
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État chargée des collectivités territoriales, la proposition de loi qui vous est soumise a été initiée par les député-e-s du Front de Gauche et adoptée par la commission des lois après avoir été amendée. Ce sont les associations qui agissent au quotidien pour les droits des femmes – Africa, Femmes solidaires, le Collectif national pour les droits des femmes et la CIMADE – qui en sont néanmoins à l’origine. Confrontées aux souffrances comme aux combats quotidiens des femmes étrangères arrivant ou vivant depuis peu en France, elles nous ont alertés sur un problème trop souvent tu : leur mise en état de dépendance par la loi.
Je salue ces combattantes des droits des femmes ici présentes dans nos tribunes. Grâce à elles, cette proposition de loi aborde de façon frontale une question discutée jusqu’ici seulement à la marge de plusieurs lois : celle du droit à l’autonomie pour les femmes étrangères entrant dans notre pays.
Le combat des femmes pour l’autonomie ne date pas d’hier ni ici, dans notre pays, ni ailleurs. En France, les avancées vers l’autonomie des femmes résultent d’un combat poursuivi de génération en génération. Le droit de vote ne date que de 1945, celui de maîtriser sa maternité de 1967 et de 1975 avec la loi Veil. Ce n’est qu’en 1965 que la loi a autorisé les femmes à exercer un emploi sans l’autorisation de leur mari et à avoir un compte bancaire à leur nom. Malgré neuf lois sur l’égalité professionnelle, celle-ci est encore loin d’être acquise. Ce n’est qu’en 2010 qu’une loi visant à combattre toutes les violences faites aux femmes a été votée ; ce n’est que depuis cette année, 2016, qu’une autre s’en prend au système prostitutionnel !
Contrairement à ce que j’ai pu entendre lors des débats en commission, ce rappel montre que cette question de l’autonomie des femmes n’est pas liée à une « communauté » ou à certaines « cultures » mais bien à une domination patriarcale qui se décline avec plus ou moins de violences partout dans le monde.
Notre Assemblée peut s’y attaquer une nouvelle fois avec cette loi et poursuivre ainsi ce long chemin vers la liberté et l’égalité des femmes vivant sur notre territoire. Agissant ainsi, nous participons à l’émancipation de toute la société en la débarrassant de tout rapport de domination et en libérant les individus de ce fardeau. Dans ce pays qui a donné naissance à la première déclaration des « Droits de l’Homme », beaucoup reste encore à faire pour que toutes les femmes puissent vivre libres et égales – pour parodier Coluche, certaines femmes sont en effet « moins égales que d’autres ».
Telle est la raison d’être de cette proposition de loi qui concerne les femmes arrivant en France sans bénéficier des mêmes droits que les autres, ces femmes venues dans notre pays pour des raisons conjugales ou familiales et dont l’existence légale, le statut, dépendent de l’autre, du conjoint. En tant que personnes, elles ne bénéficient de surcroît ni de liberté ni d’existence propre.
Comment s’émanciper, rompre ou modifier son mode de vie et envisager de construire une autre vie si la carte de séjour est le plus souvent délivrée sur le fondement de liens conjugaux et familiaux ? Comment une femme peut-elle se prémunir d’un divorce acté à l’étranger sans qu’elle en soit prévenue, alors que c’est la première juridiction saisie qui prévaut selon l’accord binational ? Comment aller seule à un rendez-vous en préfecture alors que cette dernière demande la présence du conjoint pour renouveler la carte de séjour ? Comment sortir de la polygamie ? Comment porter plainte pour violence si, dès cette plainte, des garanties de pouvoir poursuivre sa vie en France ne sont pas données ?
Il est certes possible de nier la nécessité d’un traitement spécifique du parcours et du statut des femmes étrangères. Pour illustrer cette option, madame la secrétaire d’État, je prendrai le rapport que vient de remettre le Gouvernement au Parlement sur « les étrangers en France » pour l’année 2014.
Si nous y trouvons un constat précis, nous n’avons pas de données de genre de la population étrangère en France, hormis pour les personnes concernées par l’asile. Pour cette seule catégorie, un chapitre est consacré à la répartition hommes/femmes des demandeurs. On y apprend que les femmes représentent 36,4 % de la demande d’asile et qu’elles sont majoritairement mariées, contrairement aux hommes.
En revanche, pour la totalité de la population étrangère, y compris lorsque le rapport étudie les données par catégorie de titres de séjour délivrés, nous n’avons aucune répartition hommes/femmes. Cette inexistence des femmes dans le champ de la statistique témoigne de l’occultation de la spécificité de leur parcours et de leur situation. Une reconnaissance permettrait pourtant d’envisager les mesures adéquates qui doivent être prises pour leur assurer le droit commun.
L’article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée à l’ONU dispose : « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ». En adoptant cette proposition de loi, nous pouvons contribuer à ce que la République reconnaisse aux femmes étrangères tous les droits et toutes les libertés dus à chacun.
Contrairement à ce que nous avons pu entendre lors des débats de la commission des lois de la part du député Bompart, cette proposition de loi ne s’inscrit donc pas dans une prétendue politique, je cite, d’ « d’immigrationnisme », mais dans une volonté de se mettre en accord avec la devise de notre République française : « Liberté, Égalité, Fraternité ». Cette loi tend à incarner cette devise dans le quotidien des femmes étrangères arrivant sur notre territoire.
Madame la secrétaire d’État, chers collègues, la commission des lois, après débat, a retenu trois articles qui ont une portée significative.
Les articles 4 et 5 apportent des corrections utiles à notre législation. La loi de 2016 a généralisé l’expression « violences familiales ou conjugales » dans le CESEDA, prenant acte du fait que les coups donnés par un père ou par un frère sont aussi détestables que ceux portés par le mari ou par un compagnon et que la maltraitance d’une belle famille est inacceptable. Cette évolution a été faite partout, sauf pour le regroupement familial, ce à quoi remédie l’article 4.
L’article L.316-4 du CESEDA prévoit qu’une carte de résident « peut être » délivrée par l’autorité administrative à l’étranger ayant déposé plainte contre son conjoint lorsque celui-ci est définitivement condamné. L’article 5 adopté par la commission rend automatique cette délivrance et il s’agit là d’un progrès considérable. Nous sommes plusieurs à avoir mené cette bataille pendant la discussion de différentes lois et je suis heureuse que nous puissions la gagner aujourd’hui.
L’article 6, amendé en commission, permet à la personne victime de violence ayant engagé une procédure de pouvoir bénéficier d’une carte de séjour temporaire durant le temps de cette procédure. Il complète le chapitre du CESEDA consacré aux « Dispositions applicables aux étrangers ayant déposé plainte pour certaines infractions, témoigné dans une procédure pénale ou bénéficiant de mesures de protection ».
On peut se féliciter de l’adoption initiale de ces trois articles par la commission car ils apportent des garanties aux femmes étrangères. J’espère que notre débat d’aujourd’hui les confirmera.
Contre à mon avis en tant que rapporteure, la commission a rejeté quatre articles en premier examen avant de revenir sur certains d’entre eux par voie d’amendements. Je tiens à souligner ici que ces articles permettaient d’apporter une réponse cohérente à la question soulevée : l’autonomie des étrangères.
Ainsi l’article premier a-t-il été rétabli lors de l’examen des amendements en application de l’article 88. Il propose de porter à quatre années la durée de la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale ». Cela offre à chaque femme de meilleures conditions pour construire sa vie, choisir son mode de vie et, pour certaines, pouvoir se libérer de possibles menaces ou chantage aux papiers exercés à leur encontre dans le cadre familial ou conjugal. Au fond, ils mettent un terme à cette précarité juridique qui brime leur capacité de révolte.
L’article 3 – supprimé – permettait de se mettre en accord avec la loi sur les violences faites aux femmes en faisant bénéficier du dispositif accordé aux femmes victimes de violences celles ayant conclu un PACS ou vivant en concubinage, au-delà donc des seules femmes mariées – il est en effet étonnant de reconnaître ces modes de vie commune pour les femmes françaises et de les nier pour les femmes étrangères.
Enfin, la commission n’a pas retenu deux articles, l’un portant sur les conséquences des accords bilatéraux, l’autre sur le droit d’asile.
Sur l’article 2, nous n’avons malheureusement pas pu bénéficier de l’apport du ministère des affaires étrangères que nous souhaitions auditionner, ce dernier ayant décliné l’invitation de la commission. Nous avons entendu l’argument selon quoi cet article pouvait se heurter à l’article 55 de la Constitution mais, par cinq arrêts, la cour de cassation a refusé de donner effet en France à des répudiations faites dans des pays concernés par les accords binationaux car méconnaissant le principe d’égalité des époux. Ce problème doit donc bien être traité et il serait souhaitable qu’à l’avenir la France défende les droits des femmes lors de la renégociation de ces accords.
Le retrait de l’article 7 a été justifié en raison de sa satisfaction par les dispositions actuelles et par l’alinéa 4 du préambule de la Constitution de 1946 disposant que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ».
Toutefois, nous avons pu entendre M. le directeur de l’OFPRA, qui a porté à notre connaissance des éléments supplémentaires sur les motifs de protection que pouvait offrir notre pays à des femmes étrangères en raison de leur combat de femme pour vivre en toute liberté dans leur pays, selon leur choix de vie. Cet article, dont je regrette la suppression, aurait pu apporter des garanties sur la prise en compte de ce combat dans l’accès des femmes au droit d’asile sur le long terme.
Chers collègues, après avoir rendu compte des conclusions des travaux de la commission des lois, permettez-moi de vous inviter à enrichir en séance publique cette loi sur l’autonomie des femmes étrangères. Une nouvelle fois, sur tous les bancs de cette Assemblée et comme nous l’avons fait à l’occasion de la loi contre les violences faites aux femmes, nous pouvons nous rassembler pour faire droit au combat des femmes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

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