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Autonomie fiscale des collectivités territoriales

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général du budget, mes chers collègues, de quelle autonomie financière les collectivités territoriales françaises jouissent-elles aujourd’hui ? Il serait presque risible de devoir s’interroger sur ce sujet si ce combat de longue date n’était pas aussi omniprésent. Il s’agit tout de même pour les collectivités territoriales de savoir si elles pourront décider réellement des moyens dont elles doivent disposer pour mener à bien leurs projets.
La consécration constitutionnelle de l’autonomie financière en 2003 avait suscité bien des espoirs. Depuis, nous allons de désillusion en désillusion.
Les intentions constitutionnelles sont louables : d’une part, « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources », dans des conditions fixées par une loi organique ; d’autre part, « tout transfert de compétences entre l’État et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice ». Mais le double mouvement de recentralisation des finances locales et d’accroissement des charges prend en étau les collectivités locales, qui se trouvent dans l’impossibilité d’opérer des choix.
À ce jeu-là, les départements sont les grands perdants, en raison de la nature des compétences qui leur ont été transférées. Président du conseil général de l’Allier jusqu’en 2015, je sais que notre réelle autonomie financière s’établissait à seulement 15 % des recettes de la collectivité – alors que quelques années plus tôt, c’était encore le double.
La très forte croissance des dépenses liées au revenu de solidarité active, à l’allocation personnalisée d’autonomie et à la prestation de compensation du handicap a engendré une fragilité structurelle des budgets des départements. Le rapport présenté par nos collègues Charles de Courson et Christophe Jerretie décrit cet état de fait et montre à quel point la situation était déjà très dégradée en 2015.
Comment parler d’autonomie financière d’une collectivité quand celle-ci n’a la main que sur une part si faible de ses ressources ? Votre rapport, mes chers collègues, pointe un système à bout de souffle : une situation financière dégradée des collectivités, sous l’effet de la très forte croissance des dépenses liées aux transferts de charges, et des compensations ou de possibles ressources qui ne sont pas au rendez-vous – c’est peu de le dire.
Cela met, bien sûr, en évidence tout le problème de la compensation financière, dans la durée, des transferts de compétences de l’État vers les collectivités. L’État ne peut pas continuer à transférer aux collectivités des compétences dynamiques sans prévoir une juste compensation de la charge financière. La progressivité des dépenses ne doit plus être en question : elle doit être constitutionnalisée.
Ajoutez à cela une réforme de la taxe d’habitation – il en est question en préambule de votre rapport – dont on ne sait pas comment elle sera compensée : vous avez là tous les ingrédients d’un système qui ne fonctionne plus.
Votre projection du ratio d’autonomie fiscale des collectivités territoriales en 2022, après la suppression intégrale de la taxe d’habitation, fait encore plus peur : comment imaginer, alors que la situation actuelle est très dégradée, que l’autonomie fiscale des communes puisse baisser à 38,3 %, celle des régions stagner à 9,2 % et celle des départements devenir quasi nulle à 1,7 % ? Dans ces conditions, comment la confiance entre l’État et les collectivités est-elle possible ? La réforme de la taxe d’habitation ravive les inquiétudes et déplace l’angoisse d’une collectivité vers une autre collectivité ; elle plonge tout le monde dans la confusion : plus personne ne s’y retrouve. Il y a urgence à clarifier qui fait quoi, et surtout l’attitude de l’État vis-à-vis des collectivités.
Les propositions de ce rapport, reprises dans la résolution sur laquelle nous devons nous prononcer, sont pleines de bon sens et nous ne pouvons que les cautionner.
Il n’y a plus le choix : il faut une vraie réforme de la fiscalité locale ; il faut aussi impérativement aller plus loin, en refondant le financement des collectivités et en réformant la DGF et les dispositifs de péréquation. Sur ce sujet précis, la mission sur les « nouvelles ruralités » que m’avait confiée en son temps le président de l’Association des départements de France a produit un rapport sur lequel l’Assemblée nationale pourrait s’appuyer. Ce rapport montre la nécessité de définir un niveau plancher de ressources publiques, mais aussi celle d’organiser la péréquation et la solidarité nationale afin d’assurer la cohésion territoriale et sociale dans sa dimension nationale mais aussi locale.
Depuis les lois Defferre de 1982, l’organisation de la péréquation s’est sédimentée à tel point que le système est devenu aujourd’hui totalement opaque pour l’ensemble des acteurs. Pour en renforcer la pertinence, pour simplifier et mettre en cohérence les dispositifs de péréquation, pourquoi ne pas établir un système fondé sur la mise en place de trois fonds ? Le premier viserait à compenser les inégalités de richesses ; le deuxième viserait à compenser les inégalités de situation territoriale ; un troisième permettrait de compenser les transferts de charges.
La péréquation doit également être repensée à l’échelle locale, en développant une logique différenciée dans les taux d’intervention et non pas en effectuant une redistribution d’un montant égal pour chaque territoire.
La DGF, qui par ailleurs a subi des coupes franches ces dernières années, ne doit pas échapper à cette réforme. Aujourd’hui, elle ne permet pas de valoriser ce qui est vertueux pour les territoires, et son mode de calcul présente de nombreux problèmes : les effets de seuils accroissent les inégalités entre territoires ; son mode de calcul basé sur la population est d’un autre temps. Avec un montant de 128,93 euros par habitant pour toutes les communes de 200 000 habitants ou plus, et des montants dégressifs pour toutes les autres selon différentes tranches, jusqu’à 64,46 euros par habitant pour les communes de 500 habitants et moins, chacun comprendra que ce mode de calcul échappe à toute logique d’équité et laisse de côté la notion d’espace.
À quand la parité entre communes ? Pour reprendre un principe cher à l’Association des maires ruraux de France, un habitant rural doit avoir la même valeur aux yeux de l’État qu’un habitant urbain. Il faut que le principe de péréquation vienne corriger les inégalités territoriales et sociales, afin de garantir à chacun l’égal accès aux services et d’assurer un égal potentiel de développement à tous les territoires. Il est temps de faire confiance aux capacités de gestion, d’aménagement et de cohésion du territoire des collectivités, ainsi qu’à leur pouvoir d’innovation.
Redonnons aux collectivités l’autonomie dont elles ont besoin, et vous verrez de quoi sont capables les élus locaux qu’on dit dépensiers à outrance. Assez de la défiance actuelle, avec un État qui impose aux collectivités de baisser leurs dépenses de 13 milliards d’euros au cours du quinquennat, les enfermant dans des choix qui n’en sont pas ! Sortons de cette logique budgétaire descendante, mettons fin à la tutelle de l’État qui limite l’augmentation des dépenses de fonctionnement à 1,2 %, de manière uniforme pour toutes les grosses collectivités, et construisons une nouvelle gouvernance basée sur les projets de territoires.
Notre groupe soutiendra cette résolution. Mais nous demeurerons vigilants et actifs, comme nous savons l’être : vigilants, parce que pour passer vraiment de la parole aux actes, il faut dès maintenant la garantie d’un travail qui devra être mené dans le cadre de la révision constitutionnelle annoncée par le Président de la République et dont nous débattrons dans les prochaines semaines, mais aussi dans le cadre des prochains projets de loi de finances ; actifs pour faire des propositions et changer enfin de paradigme. (Applaudissements sur les bancs du groupe NG.)

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