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Baisse du CO2 par effacement électrique diffus (Niche UDI)

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, quatre mois après l’adoption de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, nos collègues du groupe de l’Union des démocrates et indépendants ont décidé de remettre à l’ordre du jour la question du fonctionnement du marché de l’effacement.
L’objet de ce texte est double : il s’agit à la fois d’accélérer le démarrage de l’activité d’effacement diffus et de définir de nouvelles règles de répartition des profits générés par la valorisation du courant non consommé par les ménages – car ce sont presque toujours les ménages qui sont concernés lorsqu’il est question d’effacement diffus.
Il convient avant toute chose de préciser que l’effacement, pratique largement méconnue du grand public, consiste à couper temporairement la consommation d’électricité d’entreprises ou de particuliers à un moment précis et à revendre les kilowattheures non utilisés sur le marché de l’électricité à RTE, filiale d’EDF, qui s’en sert pour équilibrer le réseau.
L’effacement peut apparaître comme une pratique vertueuse, puisqu’il a pour but est d’alléger la demande de courant en période de pointe, c’est-à-dire quand les besoins explosent – typiquement, en fin de journée en hiver. Plutôt, en effet, que d’obliger RTE, lors de brusques hausses de la consommation, à acheter de l’électricité plus chère et produite par des centrales au fioul ou au gaz très émettrices de CO2, l’effacement diffus permet de valoriser du courant non consommé.
Si la pratique de l’effacement procure des avantages à la collectivité en matière de maîtrise de la demande d’énergie ou de sobriété énergétique, elle autorise néanmoins les opérateurs d’effacement à valoriser leurs mégawatts non consommés sur les marchés. Les kilowatts effacés ayant été préalablement achetés par un fournisseur tel qu’EDF, Direct Énergie ou GDF Suez au producteur, qui les achemine vers ses clients sans savoir s’ils seront effacés ou non, le législateur, depuis la loi Brottes, demande aux « effaceurs » de payer ces mégawatts aux fournisseurs au moyen d’un versement, mais il leur offre aussi une prime, subventionnée par la contribution au service public de l’électricité, taxe acquittée par le consommateur final.
Début 2015, le ministère a fixé à 16 euros par mégawattheure effacé en heures pleines, de 7 à 23 heures, le tarif de cette prime d’effacement, ce qui représentera, selon les estimations de la Commission de régulation de l’énergie, une facture d’environ 250 millions d’euros sur dix ans, dans l’hypothèse d’une croissance annuelle de la capacité d’effacement de 750 mégawatts, contre environ 500 mégawatts au total aujourd’hui. Alors que le prix de l’électricité ne cesse d’augmenter en France ces dernières années, aggravant la précarité énergétique de millions de nos concitoyens, la facture s’alourdit encore pour le consommateur final.
Avec la loi sur la transition énergétique, la prime aux opérateurs a été remplacée par un système d’appel d’offres rémunérant les effacements de consommation du candidat retenu.
Comme nous le rappelait Mme Marie-Noëlle Battistel, la loi relative à la transition énergétique a en outre défini deux régimes qui ne sont pas cumulables : le régime général, qui permet aux opérateurs de se rémunérer via le système d’appel d’offres, et le régime dérogatoire qui, en cas d’économie d’énergie significative, permet de répartir le paiement fait aux fournisseurs entre l’opérateur d’effacement et le gestionnaire de réseaux. Les coûts supportés par ce dernier sont ensuite couverts par la communauté des fournisseurs au moyen d’un « règlement des écarts ».
Ce système présente à son tour deux écueils majeurs : il revient, d’une part, à créer une sorte de caisse d’assurance des opérateurs d’effacement contre les économies d’énergie et, d’autre part, écarte RTE de toute activité d’opérateur d’effacement au nom de la neutralité.
Nous pouvons dire, sans mauvais jeu de mot, que la loi de transition énergétique a créé une véritable usine à gaz qui, à défaut de permettre des économies substantielles en matière d’émission de gaz à effet de serre, permet aux opérateurs privés de l’effacement d’engranger de juteux profits.
Le créneau a été flairé voilà plusieurs années par la société Voltalis, seule entreprise sur le créneau de l’effacement diffus, qui équipe gratuitement les foyers de particuliers, avec le soutien de collectivités locales, de boîtiers permettant d’éteindre leurs radiateurs électriques et chauffe-eau, sans que le consommateur ait la main, la chronologie des coupures étant entièrement maîtrisée par Voltalis en fonction des besoins, mais aussi des opportunités du marché.
Les ménages, en revanche, ne bénéficient pas de l’effacement. Les profits s’accumulent dans leur dos, alors que ce sont eux qui fournissent l’effort indispensable à tout cet édifice en acceptant la coupure de leur chauffage électrique ou de leur chauffe-eau pendant cinq à quinze minutes. C’est le particulier qui se prive, mais c’est Voltalis qui valorise son geste et ce sont les fournisseurs qui s’indemnisent contre ce manque à gagner. Tout se passe comme si le petit monde des acteurs économiques de l’énergie avait, avec la caution des pouvoirs publics, trouvé un arrangement.
L’association UFC-Que Choisir a porté plainte devant le Conseil d’État contre le dispositif, qu’elle juge scandaleux, de l’effacement diffus. « Il n’y a pas d’intérêt général poursuivi », expliquait l’association, mais « un système approximatif en fonction d’intérêts particuliers ». La Coalition France pour l’efficacité énergétique, qui regroupe des associations et des entreprises, considère pour sa part que la tarification de l’électricité modulable en fonction d’heures pleines et creuses serait le moyen le plus économiquement efficace de soutien aux effacements.
Nous souscrivons aux critiques contre l’effacement diffus et le racket pur et simple qu’il organise en faisant les poches des usagers pour le plus grand profit de groupes capitalistes, à l’image de Voltalis, dont la famille Mulliez est le principal soutien.
Nous sommes d’autant plus opposés au déploiement du marché de l’effacement diffus que son efficacité en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre n’est pas établie. D’après l’ADEME, qui a réalisé en 2012 la seule étude indépendante sur le sujet, le taux d’économie d’électricité obtenu les jours d’effacement par rapport à la consommation journalière d’un foyer ne dépasse pas 6,8 à 8,3 %. Les économies sur le chauffe-eau sont nulles – toute l’énergie effacée est à nouveau consommée – et, pour le chauffage électrique, un effacement sur 33 % du temps engendre une économie de 13,2 %. Selon l’ADEME, les économies « peuvent être en partie annulées par un surplus de consommation à l’issue de la période d’effacement, par exemple pour remettre le logement à la température souhaitée ».
C’est sur cette base que l’Autorité de la concurrence a conclu, en 2013, que le subventionnement de l’activité d’effacement n’était pas pertinent, déclarant qu’« il apparaît que le lien entre effacement de consommation et économies d’énergie n’est pas clairement démontré ».
Opposés à la réforme structurelle du marché et du prix de l’électricité, qui s’opère sur les décombres du service public de l’énergie, nous ne saurions, en tout état de cause, cautionner le dispositif proposé par nos collègues. Pas plus que lors de l’examen du projet de loi sur la transition énergétique, nous ne nous satisfaisons de l’existence d’un marché de l’effacement, quand la priorité nous semble au contraire de réaffirmer l’exigence d’une maîtrise publique de l’énergie, plus à même de répondre aux enjeux sociaux et environnementaux qui nous occupent.

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