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Calcul des déficits publics

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, la proposition de résolution en discussion revêt à nos yeux, députés du Front de gauche, une importance particulière. Il est de bon aloi, en effet, de débattre de la pertinence et du bien-fondé des règles européennes s’appliquant aux budgets nationaux, alors que le continent traverse sa plus grande crise économique, sociale et financière depuis des décennies.
Mes chers collègues, vous le savez bien, depuis 1993 et la mise en place de la monnaie unique, l’arsenal réglementaire de l’Union européenne en matière budgétaire s’est considérablement étoffé. Le traité de Maastricht a fixé le cadre général, instituant les fameux critères de convergence, autrement dit les limites de 3 % de déficit public annuel et de 60 % de dette publique maximale.
L’objectif de ces critères, qui n’ont – je me permets de vous le rappeler – absolument aucun fondement économique…
M. Thierry Mariani. Ce n’est pas vrai !
M. Nicolas Sansu. …était de coordonner les politiques budgétaires des États membres et d’éviter la constitution de déficits excessifs en vue d’assurer la cohésion monétaire.
Le pacte de stabilité et de croissance de 1997 a constitué une nouvelle étape importante, en renforçant la surveillance budgétaire et en mettant en place la procédure dissuasive dite de déficit excessif. Mais le tournant majeur a eu lieu en 2010-2011. Les États européens, déjà endettés par des politiques fiscales généreuses à l’égard des plus puissants et par le recours onéreux aux marchés pour se financer, sont alors confrontés à une chute sans précédent de leur activité. Les recettes fiscales s’écroulent, les dépenses sociales progressent et certains États prennent en charge des dettes d’origine privée. L’endettement public grimpe subitement en flèche. Les critères de convergence explosent. Le scandale des comptes grecs trafiqués avec la complicité de Goldman Sachs met le feu aux poudres. La crise des dettes souveraines européennes éclate.
Les déficits excessifs sont désormais dans le collimateur des instances bruxelloises. Pour rassurer les marchés, l’Union européenne décide de durcir le ton, en réformant le pacte de stabilité et en se dotant d’outils de surveillance macroéconomique, d’abord avec le six-pack, qui a instauré le semestre européen et a simplifié la procédure de sanction à l’égard des États qualifiés de « peu vertueux », ensuite avec le fameux TSCG, entré en vigueur en 2013 et auquel je reviendrai.
Je n’entrerai pas dans le détail de chaque évolution législative européenne en matière budgétaire mais, in fine, au cours de ces deux dernières décennies, force est de constater que l’autonomie budgétaire des États a été considérablement limitée. À nos yeux, une telle limitation est d’autant plus problématique que l’Europe est devenue progressivement le gendarme de l’austérité, avec pour seule règle le contrôle des déficits. Cette règle a été appliquée indépendamment de la situation économique et sociale des États, indépendamment de leurs efforts en matière d’investissements utiles pour l’avenir et, pire, indépendamment de leurs choix politiques, comme l’attestent les pressions actuelles sur la Grèce.
Aussi, en acceptant de s’imposer des seuils comptables aussi contraints dans des textes à valeur constitutionnelle, les États, sous le haut patronage de la Commission européenne et de la BCE, se sont privés de toute marge de manœuvre. L’orthodoxie budgétaire, sur le modèle de l’Allemagne, est devenue la clé de voûte des politiques européennes, traduisant ainsi une soumission des États aux marchés des capitaux. Pour leur part, les peuples se sont vus privés d’une part essentielle de leur souveraineté au profit d’une Commission européenne dont le contrôle démocratique est pourtant loin d’avoir évolué sensiblement.
Là où le bât blesse, c’est que l’intégration budgétaire des États européens s’est faite contre les populations. Ainsi, le chômage est au plus haut alors que les dividendes atteignent des sommets. In fine, les inégalités se creusent. Sur le plan économique, ces règles comptables ont eu pour effet de tasser significativement la consommation et l’investissement, en berne en France comme en Europe. Bref, alors que les indicateurs sont au rouge et que la déflation menace, les États européens continuent d’opérer des coupes budgétaires sur les recommandations de Bruxelles. La généralisation de l’austérité à tout le continent ne peut conduire l’Europe qu’à sa perte – une situation dénoncée par un nombre grandissant d’économistes, comme vous l’avez dit justement, madame la rapporteure. Toute reprise durable est aujourd’hui tuée dans l’œuf.
Mes chers collègues, là réside, à notre sens, le défaut essentiel de cette proposition de résolution européenne, dont le contenu a malheureusement été édulcoré ; elle n’appelle plus à une renégociation du traité, ce qui, pourtant, à l’origine, nous plaisait beaucoup. Le cadre actuel, même amendé, n’est pas et ne peut pas être adapté à la situation que nous connaissons aujourd’hui. On essaie de trouver des parades aux effets délétères d’un traité que François Hollande s’était pourtant engagé à renégocier au moment de la campagne de 2012, ce qu’il n’a pas fait.
En réalité, et nous continuerons à le dire avec force, ce n’est pas sur un point précis du TSCG, mais bel et bien sur l’ensemble des règles budgétaires européennes, sur ce carcan austéritaire, qu’il faut revenir. C’est bel et bien cette démarche que nous menions, il y a un mois, lorsque nous avions déposé une proposition de résolution européenne sur la dette souveraine des États de la zone euro, avec des propositions alternatives.
Madame la rapporteure, notre différence d’approche ne nous a pas empêchés d’étudier plus en détail votre proposition de résolution européenne, sachant, qui plus est, votre envie et votre connaissance des questions européennes. Après les modifications importantes apportées en commission, la proposition de résolution se focalise sur deux points principaux portant sur la prise en compte des dépenses nationales dans les soldes budgétaires calculés au niveau européen. Premier point : la question des dépenses militaires et, plus particulièrement la prise en compte, dans les soldes budgétaires, des dépenses liées à la participation aux opérations extérieures sous l’égide des Nations unies et présentant un lien avec la défense des États membres de l’Union européenne. Second point : les dépenses nationales mobilisées dans le cadre de projets cofinancés par l’Union européenne.
Au fond, la question est de savoir s’il est légitime de sortir du calcul des soldes budgétaires une partie des dépenses militaires réalisées par un État ainsi que des fonds qu’il mobilise dans des projets européens. Mes chers collègues, pourquoi n’agirait-on pas de la sorte dans les domaines de l’éducation et de la connaissance, ou bien s’agissant de dépenses relevant de la Sécurité sociale ou de la recherche ? Là aussi, ce sont des dépenses d’avenir, et ce serait également légitime.
Il serait opportun que les dépenses militaires mobilisées dans le cadre restreint des OPEX, sous l’égide de l’ONU, et en lien avec la protection d’autres États membres sortent du calcul retenu à Bruxelles, étant donné qu’elles contribuent à la défense des intérêts essentiels de l’Union européenne. Je crois qu’il y a consensus, au sein de notre assemblée, sur ce point.
À l’heure actuelle, c’est un peu la double peine pour les États mobilisant des fonds publics concourant à la défense des intérêts communs de l’Europe. D’une certaine manière, alors même que nous assurons – d’autres aussi, mais nous sommes les principaux concernés – la protection d’autres États, nous pouvons nous faire tancer par la Commission européenne pour déficit excessif : c’est profondément injuste et inapproprié, surtout si cela se traduit, in fine, par des réformes structurelles ou des coupes budgétaires inacceptables – car la conditionnalité, ça revient à cela.
La dissuasion nucléaire – domaine dans lequel des économies peuvent être réalisées, comme nous le disions la semaine dernière lors du débat sur l’actualisation de la loi de programmation militaire – occupe une part non négligeable du budget de la défense. Il est important de rappeler que l’effort budgétaire de la France en matière de défense est en baisse depuis une vingtaine d’années, tout en restant très supérieur à celui de ses voisins européens. La question de l’Europe de la défense – vous avez beaucoup insisté, monsieur le secrétaire d’État – mérite par ailleurs un large débat.
Au final, madame la rapporteure, votre proposition de résolution ne concerne qu’un ou deux pour mille de notre PIB : telle est la réalité.
Sur la non-comptabilisation, dans les déficits publics, des fonds nationaux mobilisés dans le cadre de projets européens, la démarche est également légitime, mais elle nous paraît inconsistante au regard des enjeux budgétaires actuels. Vous avez rappelé les 21 milliards d’euros déployés dans le cadre du plan Juncker et l’effet multiplicateur de quinze, extrêmement hypothétique, qui permettrait d’aboutir à un montant de 315 milliards d’investissements, lequel ne sera probablement pas atteint, vous l’avez vous-même concédé, madame la rapporteure ; c’est du moins ce que j’ai cru comprendre.
L’urgence en matière d’investissements d’avenir est de définir un plan d’investissement nettement plus ambitieux que le plan Juncker. Ce dernier est en effet particulièrement inadapté au regard des besoins actuels de l’économie européenne ; il ne permettra nullement d’assurer une transition écologique pourtant indispensable et il se déploie malheureusement dans un cadre budgétaire contraint, et ce, alors que notre pays est plombé par l’erreur originelle du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE.
Enfin, nous estimons que la démarche envisagée au travers de cette proposition de résolution européenne doit avoir une résonance européenne en mettant fin à l’absurdité – que traduit la communication de la Commission européenne du 13 janvier – qui fait que l’on ne prête qu’aux riches. Les efforts réalisés par l’Italie et la Grèce, par exemple, dans le cadre de la politique migratoire devraient être exclus du calcul du déficit de ces deux États. Ce serait justice, et ce serait une manifestation de la solidarité européenne. Malheureusement, les règles budgétaires et monétaires mettent aujourd’hui en péril le projet européen de la solidarité et de l’enthousiasme.
Pour toutes les raisons exposées, et au vu des évolutions subies par le texte en commission, les députés du Front de gauche ne pourront que s’abstenir sur cette proposition de résolution européenne.

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Nicolas
Sansu

Député de Cher (2ème circonscription)

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