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Collectivités territoriales : réforme des collectivités

« Françaises, Français, dans ce qui va advenir de la France, jamais la décision de chacune et de chacun de vous n’aura pesé aussi lourd. » Voici comment Charles de Gaulle concluait sa dernière allocution télévisée, le 25 avril 1969, deux jours avant de soumettre au référendum son projet de loi relatif à la création des régions et à la rénovation du Sénat et de remettre dans la foulée son mandat de Président de la République.
Le 8 mars 2008, en marge d’une visite à Cahors, le président Nicolas Sarkozy a lancé l’idée d’une réforme de l’administration territoriale de l’État, réforme qui risque d’engager de la même manière le destin de la France.
Pourtant, il a confié à un groupe d’experts, le comité pour la réforme des collectivités locales, le soin d’effectuer une rapide consultation. Nicolas Sarkozy a aussi choisi d’en soumettre les prolongements, sous forme de sept projets de loi, à la discrète approbation de ses majorités parlementaires dans un triple affichage : simplification, performance, maîtrise des finances locales.
Peu convaincus, 76 % de Français ont estimé la réforme incompréhensible et confuse tandis que 73 % refusent la suppression du département et le transfert de ses compétences à d’autres échelons.
Avec eux, les députés communistes, républicains, du parti de gauche entendent fermement combattre cette hydre législative et en particulier la tête centrale qui nous est soumise aujourd’hui sous les dehors apparemment inoffensifs d’un projet de loi dit « de réforme territoriale ».
Puisque nous n’avons pas obtenu pour l’instant le retrait de ce monstre antidémocratique et néolibéral, nous continuons d’exiger qu’il soit soumis à une vaste consultation populaire, c’est-à-dire débattu avec les élus, les agents territoriaux et tous les habitants de nos territoires.
Si les députés communistes, républicains, du parti de gauche s’attachent autant à défendre la consultation des Françaises et des Français sur ce projet de loi de réforme territoriale, c’est notamment parce que son adoption entérinerait un profond recul démocratique.
Tournant le dos à trente ans de décentralisation, dont nous ne pouvons nier le corollaire positif pour la démocratie participative et de proximité, le texte prévoit de diminuer de moitié le nombre des élus locaux et par conséquent de les éloigner du terrain ; il envisage de regrouper de force les collectivités, notamment en donnant aux préfets le pouvoir de rationaliser la carte intercommunale ; il organise, mais de manière plus ou moins assumée, une centralisation des compétences et une confusion dans les prises de décisions, en totale contradiction avec le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.
Attaquant de front les départements et les régions, cette réforme porte aussi en germe une profonde remise en cause de la commune, l’échelon territorial pourtant plébiscité par les Français depuis que Mirabeau proposa, en 1789, de transformer en autant de communes les 44 000 paroisses de France.
Et comme si ces dispositions dangereuses ne suffisaient pas, le Gouvernement s’est permis de revoir in extremis le mode de scrutin du conseiller territorial en faisant adopter, en commission des lois de notre assemblée, à l’article 1er A du projet de loi, un amendement qui confirme son faible attachement au pluralisme.
Avec le scrutin uninominal majoritaire à deux tours proposé, la majorité compte également faire un sort à la parité, qu’elle a pourtant inscrite elle-même dans la Constitution il y a tout juste deux ans. En mars dernier, l’Observatoire de la parité, placé sous l’autorité du Premier ministre, évaluait ainsi que la réforme aboutirait à ramener à 17,3 % la part des femmes parmi les conseillers territoriaux élus en 2014.
Mais si la majorité présidentielle souhaite en finir avec les 47,7 % de femmes actuellement élues dans nos régions, elle n’est pas à une contradiction près, puisqu’elle se félicite de l’impact sur la parité d’un autre projet de loi, relatif à l’élection des membres des conseils des collectivités territoriales et des EPCI, qui devrait en effet faire passer de 3 500 à 500 habitants le seuil de population des communes auxquelles serait applicable le scrutin de liste. Ma collègue Jacqueline Fraysse a souligné il y a quelques jours dans notre hémicycle le caractère méprisant de ce procédé consistant à juger que les femmes sont inaptes à participer aux échelons départementaux et régionaux mais aptes à participer aux affaires des villages !
Attendu par une majorité de Françaises et de Français sur le non-cumul des mandats, le Gouvernement n’a strictement rien proposé de tel.
Loin de ces faiblesses et de ces reculs, les députés communistes et républicains défendront plusieurs amendements destinés, au contraire, à garantir pleinement la représentation du peuple, le pluralisme politique et la présence à parité des hommes et des femmes dans les assemblées locales. Ils soutiendront ainsi le scrutin proportionnel, le droit de vote des étrangers non communautaires et la parité intégrale dans ces assemblées.
Outre ces attaques démocratiques, le projet oscille entre réforme d’affichage et attaque profonde contre l’organisation institutionnelle locale dans le but non avoué de libéraliser un peu plus les services actuellement pris en charge par les collectivités.
Dans un big-bang territorial, le Gouvernement propose finalement de rajouter quelques couches au prétendu mille-feuille administratif : métropoles, pôles métropolitains, communes nouvelles, communes déléguées et renforcement des EPCI. Autant de nouveaux échelons qui serviront, sous couvert de rationalisation, à masquer le désengagement, notamment financier, de l’État vis-à-vis des collectivités et à mettre la France au pas pour répondre aux objectifs du capitalisme financier mondialisé. À aucun moment la question de la répartition des richesses ne sera posée.
Car après la réforme fiscale et la suppression de la taxe professionnelle, dont les conséquences seront l’aggravation de l’étranglement financier des collectivités territoriales et un probable report sur les ménages, les inégalités territoriales vont exploser et de nouvelles proches de pauvreté seront créées.
Au lieu d’assumer ses réformes, notamment en organisant une grande réforme de la péréquation qui pourrait en partie les compenser, le Gouvernement choisit de travailler un peu plus au dépérissement des services publics locaux.
Alors qu’il est démontré que les collectivités gèrent avec responsabilité leurs finances – selon les chiffres de l’INSEE, le déficit des administrations publiques locales a diminué en 2009 par rapport à 2008, ce qui a été en partie permis par un paiement plus rapide de la dette de l’État à leur égard –, le Président de la République a récemment poussé un peu plus loin la provocation : le 20 mai, il annonçait le gel de leurs dotations pour les trois ans à venir et proposait d’inscrire l’équilibre des finances publiques dans la Constitution.
L’article 35 du projet de loi revient également sur la clause de compétence générale des départements et des régions qui leur permet actuellement de régler, par leurs délibérations, toutes les affaires qui touchent à leur intérêt territorial, mais également d’agir en coopération avec les communes ou l’État en mobilisant des financements croisés. Seules les communes auront désormais cette possibilité alors qu’elles seront dépecées quant à leurs moyens ! Quel cadeau empoisonné !
Pour aboutir en fin de compte à de petites économies mais à de grands désengagements, le Gouvernement est prêt à tout, même au cynisme suprême : celui de proposer, à l’article 10, l’octroi d’une dotation de fonctionnement majorée pour inciter les communes à fusionner dans des communes nouvelles.
Ces régressions risquent d’achopper très sérieusement sur les articles 72 et 72-2 de la Constitution dont plusieurs principes semblent profondément contredits : le principe de libre administration des collectivités locales, précédemment cité, le principe d’autonomie financière et le principe de subsidiarité. L’article 72 de la Constitution affirme : « Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon », et ajoute : « Aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre. » L’article 72-2 assure quant à lui : « Tout transfert de compétences entre l’État et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. » Je continuerai, avec les députés communistes, républicains, du parti de gauche, à refuser ces régressions.
Il y a quelques années, les élus communistes et républicains avaient fait valoir leurs propositions pour une VIe République solidaire et démocratique, et les moyens destinés à provoquer un nouveau souffle démocratique pour la décentralisation.
Pour l’essentiel, ces propositions n’ont pas perdu de leur actualité. Nous continuerons donc de défendre, avec les élus et les citoyens, une réforme des institutions qui vise avant tout à réduire les inégalités territoriales grandissantes, à garantir l’égalité entre les collectivités en leur donnant des moyens financiers et humains pour assumer leurs responsabilités ; une réforme qui fasse vivre la démocratie locale en donnant plus de pouvoir aux citoyens, et qui réponde aux besoins d’une France moderne, à même de relever les défis sociaux, environnementaux et économiques du XXIe siècle. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
 

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Marie-Hélène
Amiable

Députée des Hauts-de-Seine (11ème circonscription)
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