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Collectivités territoriales : revenu de solidarité active et politiques d’insertion

Monsieur le haut-commissaire, vous avez écrit à l’ensemble des parlementaires pour les inviter à voter, « au-delà des clivages politiques », en faveur du projet de loi généralisant le revenu de solidarité active, et à « mesurer les progrès rendus possibles par l’adoption de ce texte ». Vous estimez notamment que le RSA « permettra à de nombreux salariés de sortir de la pauvreté ou de ne pas y tomber ».
J’ai le regret de vous dire que les députés communistes et républicains, dont je suis, ne pourront malheureusement pas répondre favorablement à cet appel. Nous contestons en effet, sur le fond, votre analyse et vos propositions.
La navette parlementaire aura certes permis d’enregistrer quelques avancées : des précisions ont été apportées au texte sur le coût de la mise en place du RSA ; les collectivités locales auront la faculté de subordonner les aides qu’elles accordent aux entreprises à l’engagement de celles-ci en matière de création d’emplois, notamment d’emplois à temps plein. La décision a enfin été prise d’intégrer au contenu de la négociation annuelle obligatoire engagée par l’employeur la question de l’augmentation du temps de travail pour les salariés à temps partiel qui souhaiteraient exercer leur activité à temps plein.
Vous avez vous-même souligné la création d’une aide personnalisée de retour à l’emploi en complément du RSA, la possibilité de prolonger au-delà de vingt-quatre mois le contrat unique d’insertion et la création d’un fonds d’expérimentation pour les jeunes.
Nous ne sous-estimons pas l’intérêt de ces quelques aménagements. Votre texte demeure pourtant fort éloigné de l’objectif qu’il se fixe en termes de lutte contre la pauvreté.
Le RSA ne permettra pas de lutter contre le phénomène de la pauvreté laborieuse. Il s’inscrit dans la continuité des dispositifs, tels que la prime pour l’emploi ou les exonérations de charges patronales sur les bas salaires. Les statistiques sont cruelles : la pauvreté a progressé depuis leur mise en place.
Avec ce texte, les entreprises se trouveront demain un peu plus confortées qu’elles ne le sont déjà dans le recours aux petits boulots mal payés ; elles auront cette fois l’appui financier de l’État, c’est-à-dire que, en échange de quelques dizaines d’euros supplémentaires, les allocataires du RSA seront demain contraints d’accepter n’importe quel emploi, n’importe quelles conditions de travail.
Les moins employables devront probablement renoncer à tout espoir de sortir un jour de la précarité. N’oubliez pas, monsieur le haut-commissaire, que c’est le Gouvernement auquel vous appartenez qui a inventé, il y a peu, le concept d’offre raisonnable d’emploi.
Contrairement à ce dont vous voulez nous convaincre et convaincre les Français, le RSA n’est pas une révolution sociale. Vous prétendez qu’il permettra de réduire la pauvreté, mais rien ne vient appuyer cette affirmation : à court comme à long terme, son effet sera malheureusement négligeable. Rien n’est prévu, en effet, pour les millions de bénéficiaires de minima sociaux qui ne sont et ne seront pas en situation de reprendre un emploi, à commencer par les personnes âgées pauvres et les chômeurs peu ou pas indemnisés.
Le RSA est aussi insuffisamment doté. Ces quelque 1,5 milliard d’euros permettront à peine aux bénéficiaires d’atteindre le seuil de pauvreté – tout en travaillant ! On verra peut-être la pauvreté diminuer dans les statistiques, mais pas dans les faits.
Le débat sur le financement du dispositif aura été éclairant ; il aura permis à nos concitoyens de prendre la mesure de la morgue avec laquelle le Gouvernement et sa majorité s’attachent à défendre les intérêts d’une caste de privilégiés.
Que nous en venions, en République, à considérer que les ménages les plus aisés constituent une classe de citoyens à part, qui n’a aucun devoir de solidarité nationale, tout en exigeant des plus pauvres qu’ils renoncent à leurs droits élémentaires et à voir un jour le bout du tunnel, voilà qui donne le sentiment d’une profonde perversion de l’action publique.
L’introduction d’un plafonnement, modeste, des niches fiscales n’a en rien corrigé le scandale de ce financement. Nos concitoyens ne sont pas dupes : votre bonne volonté, monsieur Hirsch, ne parvient pas à masquer l’injustice de la politique conduite par le Gouvernement auquel vous appartenez.
Ce texte se fonde en effet sur le principe scandaleux que les personnes privées d’emploi ne sont pas suffisamment incitées à retrouver du travail, ce qui revient à dire qu’elles sont, d’une manière ou d’une autre, responsables de leur situation, que leur inactivité est un choix !
À l’heure où la crise économique, dont le Gouvernement doit assumer la responsabilité, s’aggrave des conséquences de la crise financières, à l’heure où des milliers de nos concitoyens sont victimes de plans de licenciement, à l’heure où des milliers d’autres risquent de perdre leur emploi dans les prochaines semaines et les prochains mois, une telle présentation du chômage est proprement indécente.
Dans le contexte actuel de crise financière et de récession économique, vous ne proposez rien d’autre à ces salariés licenciés que de connaître demain, avec le RSA, le même sort que les millions de salariés pauvres, et de vivre, comme eux, d’expédients.
Nous refusons catégoriquement le chantage politique qui consiste à nous demander de voter le RSA comme s’il s’agissait d’allouer une aumône à de prétendus assistés.
Nous refusons de voter un dispositif doté de seulement 1,5 milliard d’euros, quand le Gouvernement octroie aux banques des centaines de milliards d’euros, sans aucune contrepartie sociale, simplement pour renflouer un système qui a gravement failli – économiquement et moralement.
Ce dont notre pays a besoin, ce que nos concitoyens attendent, ce n’est pas que vous incitiez les entreprises à proposer de petits boulots tout en contraignant les plus pauvres à les accepter ; ils attendent au contraire une authentique politique de l’emploi, une politique de relance de l’économie et de relance du pouvoir d’achat.
La priorité doit être aujourd’hui au relèvement des minima sociaux, au relèvement du SMIC, à la lutte contre l’emploi précaire, à l’amélioration des conditions de travail, à l’amélioration de l’offre de formation, à l’allocation de moyens décents aux politiques d’insertion, et enfin, dans cette période troublée, à l’interdiction des licenciements qui se profilent, tant dans l’industrie que, par exemple, à France Télévisions.
Nous ne voterons pas un RSA qui sert de caution morale à une politique économique qui a conduit directement aux désastres sociaux actuels.
Vous prétendez venir en aide aux plus pauvres, mais vous ne contribuez qu’à faire peser sur eux de nouvelles contraintes, de nouvelles sujétions. Or, nous l’avons dit et répété ici même, la pauvreté est l’affaire de tous. Elle implique que le Gouvernement prenne ses responsabilités, qu’il change de cap et qu’il exige des entreprises et des acteurs économiques qu’ils participent à la croissance et au développement économique de notre pays dans un sens conforme à l’intérêt général.
Nous refusons que le temps partiel demeure l’unique horizon des politiques de l’emploi, l’unique perspective offerte aux salariés privés d’emploi ; nous refusons que la lutte contre la pauvreté soit fondée sur le principe du « travailler peu pour gagner peu ».
Nous, députés communistes et républicains, demeurons convaincus que la crise appelle un tout autre effort en direction des plus pauvres que celui que vous consentez avec le RSA : c’est pourquoi, comme nous l’avons fait en première lecture, nous voterons avec fermeté contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
 

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Roland
Muzeau

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