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Compétences Collectivité européenne d’Alsace

J’avoue un certain malaise face à l’échange qui vient d’avoir lieu ici et je ne voudrais pas que mes propos à leur tour enflamment l’hémicycle.

J’ai bien perçu chez nos collègues alsaciens, tant au travers du champ lexical de leurs propos que de leurs réactions à vif, la douleur qui était la leur et l’humiliation qu’ils ont ressentie : loin de moi l’idée de rouvrir cette blessure et de raviver cette douleur que je sais encore bien présente.
Ce n’est pas en tant qu’héritier normand de la Gaule chevelue que je vous parle, ni en faisant référence aux berceaux de l’humanisme de la Renaissance dont vous êtes, et dont nous sommes, je l’imagine, sur tous les bancs, des gardiens.

Tout cela pour vous dire très modestement que je partage le point de vue du collègue qui considérait comme une erreur d’aborder cette question sous l’angle strictement identitaire. En effet, d’identités, il pourrait y en avoir autant que de députés siégeant sur ces bancs ! La seule référence qui me guidera dans ce propos est la nation française. L’acte fondateur en reste pour nous la Révolution de 1789, dont les valeurs irriguent à la fois nos principes et les efforts que nous déployons pour les traduire en actes.

La seule référence qui me guidera dans ce propos est la nation française. L’acte fondateur en reste pour nous la Révolution de 1789, dont les valeurs irriguent à la fois nos principes et les efforts que nous déployons pour les traduire en actes.

Ce projet de loi vise à créer un nouveau département, la fameuse Collectivité européenne d’Alsace regroupant les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.

Tout d’abord, on ne peut que s’interroger sur l’opportunité de légiférer aujourd’hui sur le cas alsacien, quatre ans après l’adoption de la loi NOTRe et le redécoupage des régions, dont vous avez souligné, à juste titre, combien il avait fait fi de la démocratie de proximité, et alors que la future réforme constitutionnelle doit précisément prévoir les conditions d’un droit à la différenciation – auquel, madame la ministre, nous nous opposerons. Ensuite, cette évolution est présentée comme le fruit d’un consensus des élus alsaciens autour d’un désir d’Alsace.

Somme toute, il n’est pas interdit de penser que ce projet vise à réintroduire celui qui, pour les raisons qui ont été exposées, n’a pas pu aboutir en avril 2013. En recourant aujourd’hui à une procédure qui ne requiert plus explicitement le consentement des électeurs, il s’agit tout de même de revenir par voie législative sur la décision référendaire de 2013. Cela nous pose problème.

Derrière le paravent de la différence se cache en réalité la volonté de masquer les inégalités et les injustices sociales et fiscales territoriales, sans chercher à les réduire.

Qui plus est, le Gouvernement souhaite que le nouveau département se nomme Collectivité européenne d’Alsace. Or, le Conseil d’État relève très justement que ce nom est susceptible d’entraîner une double méprise quant à la nature juridique de la nouvelle collectivité.

D’une part, cette dénomination laisse à penser qu’est créée une collectivité à statut particulier, alors qu’il ne s’agit que de la fusion de deux départements. D’autre part, l’épithète européenne qui, sur le plan juridique, ne correspond à aucune catégorie ou régime particuliers et qui pourrait au demeurant valoir pour toute collectivité territoriale de la République, semble évoquer à tort l’attribution d’un statut extraterritorial à ce nouveau département.

Ce qui est le plus inquiétant, c’est que cette double méprise risque de préparer, insidieusement, l’opinion publique au fédéralisme à l’échelle européenne, ce que d’aucuns appellent « l’intégration européenne ».

S’agissant des nouvelles attributions qui seront accordées à la nouvelle collectivité, elles préfigurent, je l’ai dit, le principe de différenciation. Nous y sommes opposés.

Le droit à la différenciation, qui ne trouve pas grâce à nos yeux, amplifie les dissonances territoriales. Derrière le paravent de la différence se cache en réalité la volonté de masquer les inégalités et les injustices sociales et fiscales territoriales, sans chercher à les réduire. Il s’agit clairement là d’un désengagement de la part de l’État. Chers collègues, vous avez fait référence à la hausse du chômage dans la région alsacienne. Selon nous, cela relève des compétences de l’État, avec les incidences économiques et sociales que cela comporte. Le caractère un et indivisible de notre République décentralisée nous conduit à nous opposer à une telle évolution, qui traduirait le désengagement de l’État sur des questions majeures.

Techniquement, le texte prévoit le transfert à la Collectivité européenne d’Alsace, dès la date de sa création, de l’ensemble des routes nationales et des autoroutes non concédées situées sur son territoire. On ne peut parler de l’attribution d’une nouvelle compétence, puisque les départements sont d’ores et déjà propriétaires d’une grande partie de la voirie publique et exercent les attributions qui y sont liées. En revanche, il s’agit d’un transfert de propriété sans précédent, puisque toutes les autoroutes appartenaient jusqu’ici au domaine public routier de l’État. La déclaration commune justifiait ce transfert par la nécessité de donner à la nouvelle collectivité les moyens de juguler le trafic routier sur son territoire, notamment le trafic des poids lourds, dont les flux se sont reportés du côté français de la frontière depuis l’instauration outre-Rhin d’une redevance kilométrique. Alors que la coopération transfrontalière est déjà une réalité pour ce qui concerne le trafic autoroutier, ce transfert suscite des inquiétudes s’agissant du désengagement futur de l’État de la gestion des grandes infrastructures. En outre, il n’est prévu aucune coordination avec les départements limitrophes et avec la région Grand Est, alors que les décisions du nouveau département pourraient avoir des conséquences importantes sur lesdits territoires limitrophes.

La nouvelle collectivité entend jouer un rôle essentiel grâce à des compétences à vocation identitaire élargies : action transfrontalière, promotion des langues régionales, tourisme. Selon nous, cela risque de complexifier le millefeuille administratif local et d’engendrer des chevauchements ou des discordances en matière de gestion de compétences. Cette fusion aura ainsi des effets sur la région Grand Est, la métropole de Strasbourg, les collectivités et établissements publics de coopération intercommunale d’Alsace, qui pourront se voir octroyer des délégations de compétences, concernant par exemple les centres départementaux de gestion, les services départementaux d’incendie et de secours et les services déconcentrés de l’État.
En outre, on peut se demander comment la nouvelle collectivité pourra mener à bien ses missions sans compétence d’intervention économique, que la loi d’août 2015 a retiré aux départements au profit des régions et des métropoles. L’utilisation de la technique du chef de filat et des conventions de délégations de compétences va compliquer la gestion desdites compétences et risque d’entraîner des conflits politiques et juridiques, ainsi qu’une complexification notable pour les usagers, pour lesquels la répartition des différentes compétences deviendra totalement illisible.
Soulignons, en outre, l’avis éclairant du Conseil d’État, lequel a formulé de nombreuses critiques, qui, jusqu’à présent, n’ont pas été prises en considération. Il considère ainsi que, si la place des langues régionales et le bilinguisme franco-allemand constituent une caractéristique particulière de ce territoire, susceptible de fonder une différence de traitement, le dispositif envisagé est dépourvu de portée normative dès lors qu’il ne modifie pas l’état du droit actuel, qui permet déjà à l’État de s’engager par voie conventionnelle auprès des collectivités concernées à recruter des personnels supplémentaires, y compris par contrat.

D’autre part, en vue de la création du nouveau département, le projet de loi comporte plusieurs habilitations à légiférer par ordonnances. Or le recours aux ordonnances ne nous semble pas permettre d’appréhender de manière exhaustive l’ensemble des adaptations législatives qu’appelle le regroupement.

Pour toutes ces raisons, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine et les élus communistes s’opposeront à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)

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Analyse du scrutin : Compétence collectivité européenne d’Alsace - 26 juin 2019
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Hubert
Wulfranc

Député de Seine-Maritime (3ème circonscription)

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