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Confiance dans la vie publique (Nvelle lect. du Pt org.)

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la vice-présidente de la commission des lois, madame la rapporteure, chers collègues, l’enjeu de nos débats aurait dû être à la mesure de la lassitude de nos concitoyens envers la vie politique, et la vie publique en général. Celle lassitude, ils l’ont clairement exprimé lors des dernières échéances électorales, tant dans l’abstention que dans leurs votes. Ce lien de confiance entre les Français et les décideurs publics, essentiel pour la cohésion sociale et républicaine, est de toute évidence distendu.
Au mois d’octobre, un sondage réalisé pour l’ONG Transparency International France indiquait que 54 % des Français jugeaient les personnes ayant du pouvoir comme plus ou moins corrompues. Ce niveau de défiance atteignait même 77 % à l’égard des parlementaires.
Les affaires de quelques brebis galeuses ont injustement éclaboussé les quelque 550 000 élus de notre pays, majoritairement bénévoles, animateurs intègres de la vie publique locale, profondément impliqués dans l’action citoyenne et attachés aux valeurs de la République. Soyons clairs : avec vos projets de loi, nous sommes loin du choc de confiance qu’exige la situation politique du pays, tant les angles morts et les impasses sont innombrables. À un grand défi, vous répondez par une loi chétive, uniquement guidée par des enjeux de circonstance et de communication.
L’évolution de l’intitulé de ce projet de loi l’illustre bien : en quelques jours, nous sommes passés d’un projet de loi « pour la moralisation » à un projet de loi « pour la confiance dans la vie publique », puis à un projet de loi « pour la confiance dans la vie politique ». En réalité, il conviendrait d’aller au bout de la logique en parlant de projet de loi « pour la confiance dans la vie parlementaire », tant il se focalise sur les faits et gestes des députés et des sénateurs.
Incontestablement, supprimer les emplois familiaux, contrôler les frais des parlementaires et améliorer la traçabilité du financement des partis politiques et des campagnes électorales sont des avancées nécessaires, que nous soutenons et que nous saluons. Mais comme je l’indiquais préalablement, ces projets de loi sont bien trop étriqués ! Car la défiance exprimée à l’égard des parlementaires, et des élus en général, concerne aussi les journalistes – 58 % des Français considèrent qu’ils sont corrompus – et, plus encore, les dirigeants des grandes entreprises publiques et privées – corrompus pour 71 % des Français.
Où sont les médias, où est le monde économique et financier dans vos projets de loi, madame la ministre ? Ces textes sont inachevés et, à nos yeux, bancals. Interrogée par la presse cette semaine, vous avez indiqué qu’ils constituaient des « points de départ ». Quels engagements pouvez-vous prendre devant la représentation nationale pour réformer en profondeur cette sphère médiatique, victime de son hyperconcentration et de la mainmise des grandes puissances financières ? Quels engagements pouvez-vous également prendre pour remettre la finance à sa juste place dans notre société ?
Sur ces sujets, notre assemblée a eu l’opportunité de prendre ses responsabilités. Sur tous les bancs de cet hémicycle, y compris sur certains de La République en marche, nous avons été nombreux à vouloir supprimer le verrou de Bercy.
M. Pierre Cordier. Eh oui !
M. Stéphane Peu. Légitimement, nous pensions que le monde moderne allait mettre un terme à une pratique d’un autre temps, symbole de cette mansuétude coupable à l’égard des fraudeurs fiscaux, symbole d’une justice à deux vitesses, celle du puissant et du misérable.
M. Ugo Bernalicis. Il a raison !
M. Stéphane Peu. En renonçant à la nécessaire égalité devant la justice, ce projet de loi rate ainsi le coche, même si je suis persuadé que nous reparlerons très prochainement du verrou de Bercy.
M. Ugo Bernalicis. Ça c’est sûr ! On ne lâche rien !
M. Stéphane Peu. Comme sur bien des sujets, c’est donc le ministère des finances qui garde la main – ce qui, entre nous, n’est nullement de nature à prévenir une nouvelle affaire « Cahuzac ».
En effet, cette loi va perpétuer la règle en vertu de laquelle le ministre Cahuzac était le seul à pouvoir ouvrir une enquête sur le fraudeur Cahuzac. Seule l’opiniâtreté de la presse, de Mediapart en particulier, a permis la révélation des faits et l’ouverture d’une telle enquête.
C’est bien le statu quo qui reste de rigueur. Votre projet de loi ne prescrit aucun traitement de choc contre ces cancers de nos sociétés que sont la fraude et l’évasion fiscales. Exit tous ceux de nos amendements visant à renforcer la transparence, à interdire le recours aux paradis fiscaux, à pénaliser les intermédiaires qui agissent dans l’opacité pour échapper à l’impôt.
Exit également un véritablement encadrement du pantouflage, cette pratique qui permet à des hauts fonctionnaires de passer du public au privé sans véritable contrôle, alimentant le mélange des genres et la suspicion. Pourtant les exemples en sont multiples, celui de Bruno Bézard, ancien directeur du Trésor désormais à la tête d’un fonds d’investissement franco-chinois actif dans les paradis fiscaux étant l’un des plus emblématiques.
Vos projets de loi ne permettent aucun saut qualitatif en ces domaines, à notre grand regret.
Vous avez également refusé de réguler les activités de conseil. Pensez-vous franchement que le vote du projet de loi dans sa mouture actuelle suffira à éviter que se répètent des scandales qui, comme celui de l’affaire Fillon, nous ont conduits là où nous en sommes ? Le débat sur les activités de conseil des députés, pourtant capital, a été escamoté alors que nous souhaitions une délimitation beaucoup plus large et absolue.
Il y a enfin la question de la réserve parlementaire. Plutôt que de modifier le cadre et les règles d’affectation de ces fonds, vous en avez profité pour les supprimer purement et simplement et par là même renflouer Bercy ! Il est intolérable de notre point de vue d’instrumentaliser à des fins budgétaires les controverses suscitées par la réserve parlementaire. Sur cinq années, ce sont ainsi près de 800 millions d’euros qui ne seront pas alloués aux collectivités et aux associations.
M. Pierre Cordier. Ça fait beaucoup !
M. Thibault Bazin. Beaucoup trop !
M. Stéphane Peu. Madame la garde des sceaux, pourquoi l’État a-t-il refusé de s’engager à compenser cette somme ?
D’autant que cela viendra s’ajouter à une cure d’austérité déjà très brutale, avec la suppression par décret de 300 millions d’euros de crédits alloués aux collectivités pour 2017 – nous venons de l’apprendre –, ainsi que les dizaines de millions d’euros dont seront privées les associations des quartiers populaires du fait de la diminution des crédits de la politique de la ville.
Madame la ministre, on ne restaure pas la confiance dans l’injustice. On ne restaure pas la confiance en économisant 400 millions d’euros d’aides personnalisées au logement sur le dos des plus modestes tout en dépensant 3 milliards d’euros pour alléger l’ISF au bénéfice des plus riches.
En tout état de cause, ce lien de confiance dont nous avons besoin, vous auriez pu le renforcer vraiment si vous aviez eu davantage de considération pour l’opposition et si vous aviez mesuré l’intérêt de certaines propositions quand bien même elles n’émanaient pas de vos rangs. Vous auriez pu le faire sans renier votre engagement envers les Français. Vous l’auriez sublimé au contraire par votre écoute et votre volonté de dialogue. Hélas, les quelques avancées de votre texte ne masquent pas les reculs ou les zones d’ombre et toutes ces mesures oubliées en cours de route ou systématiquement rejetées.
En conséquence, et en regrettant toutes ces occasions manquées, notre groupe s’abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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Stéphane
Peu

Député de Seine-Saint-Denis (2ème circonscription)

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