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Contribution des hauts revenus et des hauts patrimoines à l’effort de solidarité nationale

Rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

Depuis trois mois, nous luttons contre une crise qui ébranle la vie des Français, et qui a fait éclater au grand jour les fragilités sociales d’un grand nombre d’entre eux. De surcroît, la récession économique historique dans laquelle nous sommes entrés générera des difficultés que nous sommes peut-être encore loin d’imaginer.

Nous serons tous d’accord pour admettre que, dans une telle situation, l’État constitue le garant de la cohésion nationale, et que son action sera déterminante pour empêcher que la tragédie que nous connaissons ne déstabilise durablement les fondements de notre pacte républicain.

Je constate malheureusement qu’en dépit des circonstances, il demeure quelques vieux dogmes qui n’ont pas été ébranlés par la crise, et auxquels certains s’accrochent jusqu’au bout des ongles, en vertu desquels il serait proscrit de demander aux citoyens les plus fortunés de participer de manière équitable au financement de la puissance publique, au moment où elle en a tant besoin.

Durant l’examen de ce texte en commission, j’ai été frappé par le conservatisme de certains. Depuis les années 1980, nous sommes victimes d’un mythe selon lequel les baisses d’impôts stimuleraient mécaniquement la croissance et favoriseraient une réduction spontanée des inégalités.

À mes collègues toujours persuadés que la course au moins-disant fiscal conserve des vertus, je n’ai qu’une chose à dire : doutez. Dans le cas contraire, vous ignorerez toutes les études et recherches qui démontrent qu’à mesure que le système redistributif s’étiole, la pauvreté augmente. Doutez car sinon vous n’entendrez pas les protestations toujours plus fortes de nos concitoyens qui ne supportent plus que les choix sociaux qui ont fondé notre vie en commun meurent à petit feu.

Je suis convaincu qu’une juste contribution doit être demandée aux personnes les plus fortunées. Elle ne relève pas d’une logique revancharde ou punitive, elle se justifie par un indispensable effort de solidarité.
En premier lieu, malgré son système redistributif parmi les plus perfectionnés du monde, la France ne parvient plus à réduire les inégalités de niveaux de vie. Ce phénomène a pour principale origine la détérioration de la progressivité de l’impôt. Aujourd’hui, le taux effectif d’imposition des 0,1 % les plus riches est équivalent à celui applicable au 10 % les plus pauvres. En outre, 1 % des foyers les plus aisés détient un quart du patrimoine privé des ménages.

Pour inverser cette tendance à la concentration toujours plus importante des richesses, l’article 1er de la proposition de loi prévoit de rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune – ISF – dans la forme qui était la sienne avant sa suppression en 2017.

La création de l’impôt sur la fortune immobilière – IFI –, en plus d’avoir participé à l’accroissement des inégalités, est un non-sens économique. L’Institut national de la statistique et des études économiques – INSEE – démontre ainsi que 340 000 personnes, situées en grande majorité dans le dernier vingtile de niveau de vie, se sont partagé un gain de 3,4 milliards d’euros.

Quant à l’efficacité économique de la suppression de l’ISF, elle n’a pas été démontrée. En premier lieu, comme l’a indiqué la commission des finances du Sénat en octobre dernier, la réforme n’a pas généré de retours de contribuables. L’exil des redevables de l’ISF ne représentait de toute manière que 0,2 % des assujettis : phénomène regrettable, mais négligeable.

En outre, l’IFI est peu susceptible de favoriser une hausse des investissements productifs. Une enquête a montré qu’en 2018, seuls 29 % des contribuables interrogés ont consacré une partie du gain retiré de la suppression de l’ISF à l’investissement dans les entreprises. A contrario, 41 % d’entre eux indiquent avoir utilisé ces sommes pour alimenter leur épargne. Comme nous pouvions nous y attendre, l’IFI a seulement permis aux plus fortunés d’accumuler des richesses supplémentaires.

Il me sera sûrement répondu que les créations d’emploi ont atteint un niveau record ces deux dernières années. Mais pouvez-vous démontrer un lien de causalité direct entre ces résultats et les réformes fiscales conduites depuis 2018 ? Lors de l’examen en commission, on m’a cité le rapport du comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital. Or ce rapport ne propose que des évaluations ex ante. Ses rédacteurs indiquent même en introduction qu’ils ont renoncé a évalué ex post l’impact des réformes, pour se contenter de « poser le paysage ».

En revanche, il est indiscutable que l’assiette de l’IFI a été mal construite. Censé taxer le capital dit improductif, il frappe l’investissement locatif, qui demeure un secteur économique important dans notre pays, alors qu’il exonère les particuliers plaçant leur épargne dans des obligations étrangères, ce qui ne génère aucun effet positif pour l’économie réelle.

Toutefois, dans un contexte d’urgence, ce que je propose est un rétablissement simple de l’ISF, qui ne purge pas ce dernier de tous ses défauts, au premier rang desquels se situe son assiette fortement réduite. Cette question devra être abordée lors du prochain projet de loi de finances – PLF.

L’article 2 de la proposition de loi prévoit de supprimer le prélèvement forfaitaire unique – PFU –, la fameuse flat tax.

L’Institut des politiques publiques démontre que l’efficacité économique de cette réforme n’a rien d’évident non plus. Il nous a été dit que la baisse de la fiscalité frappant les dividendes devait réduire le coût du capital pour les entreprises. Cette hypothèse n’a pas de fondement car le renforcement de l’imposition des dividendes peut inciter ces mêmes entreprises à mobiliser leurs bénéfices pour alimenter leurs capacités d’autofinancement. De plus, le PFU a participé à l’accroissement des inégalités de revenus : les gains de la réforme sont concentrés sur les 5 % des ménages les plus aisés.

Vous me rétorquerez sûrement que le PFU a rapporté plus que prévu en 2018 et 2019. Ces premiers résultats masquent cependant le coût abyssal à venir de cette réforme. Censé renforcer la neutralité du système fiscal français, le PFU génère pourtant des distorsions économiques majeures. Conjugué à la baisse du taux d’impôt sur les sociétés, il aboutira à un écart inédit de 13,4 points entre l’imposition des revenus salariaux et l’imposition des dividendes. Les prévisions réalisées par Gabriel Zucman, anticipant un coût pour les finances publiques de près de 10 milliards d’euros par an, ont été ignorées par le Gouvernement.

Enfin, l’article 3 de la proposition de loi prévoit de relever les taux applicables à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus à 8 et 10 %. Pour mémoire, cet impôt avait été créé en 2012 par le gouvernement de François Fillon, afin de faire participer les plus fortunés au redressement du pays.

L’urgence du moment exige que nous mobilisions à nouveau cet outil.

En guise de conclusion, je souhaiterais vous rappeler que nous devrons, dans les prochaines années, faire face à des défis inédits. Dans un contexte de dégradation exceptionnelle des finances publiques, qui incitera certains à prôner davantage de rigueur, la sauvegarde de la planète ou la protection de la santé publique nous appellent à renforcer nos moyens, à ne pas seulement faire le pari – qui peut être risqué – de la croissance.

Pour ma part, je n’entends pas vous offrir une solution se suffisant à elle-même face à la tâche qui s’annonce. Néanmoins, la proposition de loi que nous examinons constitue une première étape pour restaurer la justice fiscale qui nous fait défaut, et bâtir une société plus juste et solidaire. Afin d’y parvenir, nous devons appeler à la mobilisation de tous – j’ai bien dit de tous.

Et nous y parviendrons, car vos certitudes sont ébranlées. Au sein même de votre majorité, le doute s’est installé, certains me l’ont dit. Rassurez-vous, je ne citerai personne.

Même le président de notre assemblée n’a pas rejeté l’idée d’une contribution exceptionnelle. Ça veut dire que ça pousse derrière ! Le fait que le Président de la République se sente obligé d’en parler dimanche, même pour la repousser, est aussi un signe.

J’ai l’impression qu’en quelques mois, vous avez pris un sacré coup de vieux (Sourires)… et nous, un sacré coup de jeune ! (Rires et applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et FI.)
Nos propositions, hier balayées d’un revers de manche, sont aujourd’hui d’une criante actualité et largement soutenues par une majorité de Français. Rejoignez-nous enfin ! (Sourires et applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC, FI, EDS et LT.)

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Jean-Paul
Dufrègne

Député de l' Allier (1ère circonscription)

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