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Convention d’entraide judiciaire en matière pénale avec les Comores

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, madame la rapporteure, en cette journée, j’ai été accusé d’antisémitisme et d’antisionisme. Mes adversaires, absents lors de l’examen du texte sur les Émirats arabes unis, n’ont pas pu dire que j’étais anti-arabe ; peut-être ceux qui parleront après moi me diront-ils anti-Français ?
Lorsque nous avons vu qu’une convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre la France et l’Union des Comores serait à l’ordre du jour de la commission, il nous a semblé, à mon groupe et à moi-même – tout comme à la présidente de la commission –, absolument nécessaire de le porter en séance publique, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, il est très important d’entendre, au sein de cet hémicycle, les arguments des uns et des autres sur les sujets concernant notre commission. Ensuite, dans notre volonté de faire sortir les débats de notre commission pour les amener en séance publique, le cas de Mayotte semblait parfait. Il s’agit en effet d’une zone géographique en tension extrême au niveau démographique, duquel découlent les autres niveaux : les enjeux de la place de l’État, de l’éducation ou encore de la santé publique sont plus que jamais mis en exergue.
Mais surtout, au niveau diplomatique, le statut de Mayotte pose de graves problèmes. Pour la France, l’île est française ; pour l’ONU, elle est membre de l’Union des Comores. Ce différend est une épine dans le pied de la diplomatie de notre État.
Pour comprendre cette tension sur le statut légal de Mayotte, permettez-moi de faire un petit rappel historique. Colonisés au XIXe siècle, les Comores deviennent des territoires d’outre-mer en 1946 et demandent leur indépendance. Deux décennies plus tard, conformément au droit d’autodétermination des peuples, se tient un référendum : l’indépendance, approuvée par environ 95 % des Comoriens, est votée par trois des quatre îles de l’archipel à une écrasante majorité. De son côté, la petite île de Mayotte, qui représente 8 % des suffrages exprimés dans le référendum, est la seule à se prononcer à 64 % pour le rattachement à la France.
Six mois plus tard, l’Union des Comores, forte de l’approbation obtenue par le référendum d’autodétermination, se déclare indépendante. L’Union des Comores est alors reconnue diplomatiquement par l’Union africaine, la Ligue arabe et l’ONU qui, dans sa résolution 3385, reconnaît le nouvel État souverain. L’archipel des Comores est désormais régi par l’Union des Comores, composée de quatre îles : Anjouan, Grande Comore, Mohéli et Mayotte.
Mais l’État français, mécontent du résultat et voyant que l’île de Mayotte s’est prononcée pour son rattachement à la France, décide, au mépris du droit international, de séparer cette île du reste de l’archipel et de la rattacher à la France en raison de son vote au référendum de 1975. Un second référendum est proposé par l’État français aux habitants de Mayotte un an plus tard, en 1976, pour qu’ils redonnent leur avis sur leur rattachement à la France. Après un résultat confirmant celui de l’année précédente, la France décide unilatéralement de détacher Mayotte du reste de l’archipel, ce qui est totalement illégal du point de vue du droit international.
Ainsi, la résolution 31/4 du 21 octobre 1976 de l’Assemblée générale des Nations unies déclare ce référendum nul et non avenu en application du point 6 de la déclaration sur l’octroi de l’indépendance de l’ONU portant sur l’intégrité territoriale des territoires décolonisés. Depuis, l’ONU a condamné vingt-deux fois la France pour cette occupation illégale.
Or la France s’obstine. Sa stratégie pour garder coûte que coûte Mayotte dans son giron répond à des objectifs militaro-économiques. La zone économique exclusive de Mayotte, qui fait 165 fois la superficie de l’île, permet à la France de prospecter de potentielles ressources dans l’océan Indien, notamment en hydrocarbures et en minerais, tout en surveillant militairement le canal du Mozambique, où passent deux tiers du pétrole provenant du Moyen-Orient. La problématique humanitaire de Mayotte est donc secondaire.
Ce choix est désastreux. Les aides de la métropole pour le développement de l’île ont fait monter le niveau de rémunération des Mahorais, tandis que celui des citoyens des autres îles de l’archipel a stagné. Cette situation a provoqué un appel d’air vers Mayotte. Les Comoriens, pour fuir la misère, pour visiter de la famille à Mayotte ou pour bénéficier de meilleures conditions sanitaires, se lancent donc vers ce petit bout de France à bord d’embarcations de fortune, les kwassas kwassas, en payant cher des passeurs. C’est donc au péril de leur vie que des Comoriens viennent sur l’île de Mayotte.
Les écarts de richesse et l’immigration ont également exacerbé des tensions ethniques, si bien que d’aucuns qualifient la situation d’insurrectionnelle, avec des expulsions manu militari de supposés migrants illégaux, des affrontements réguliers entre gens désœuvrés et des services publics au bord de l’explosion.
Pour faire face à cet afflux de population, et plutôt que de travailler au co-développement de Mayotte et des Comores, les responsables politiques français n’ont rien trouvé de mieux que de rendre les déplacements entre les îles de l’archipel extrêmement dangereux. L’instauration du « visa Balladur », en 1995, en est la plus immonde expression. Avec cette réforme, il devient quasiment impossible d’obtenir un visa lorsque l’on est un Comorien des trois autres îles. À cause de cela, les 70 kilomètres qui séparent l’île de Mayotte de celle d’Anjouan forment aujourd’hui l’un des plus grands cimetières marins du monde, avec plus de 10 000 morts en vingt-cinq ans.
Je le disais déjà il y a neuf ans, à cette tribune, lors du débat sur le changement de statut de Mayotte : « Tant que les contrôles de police institués par les autorités françaises continueront à empêcher la libre circulation des Comoriens sur leurs quatre îles et que l’énorme différence de développement économique entre Mayotte et les autres entités de la région sera maintenue artificiellement par la France néocolonialiste, nous aurons à déplorer d’autres drames humains. » C’était en 2009.
La départementalisation de 2011, vendue aux Mahorais comme réponse à tous leurs maux, a renforcé l’emprise française sur ce territoire. Mais cela n’a rien changé : même la Cour des comptes a écrit que la situation était intenable et que la départementalisation opérée par la droite avait été mal préparée. Les habitants de l’île se sentent coupés de leur métropole, méprisés par le pouvoir politique et abandonnés par la République.
L’actuelle grève générale, tout comme celles de 2011, 2015 ou 2016, en témoigne : les grandes enseignes françaises de commerce et le Gouvernement ne montrent aucun empressement à régler les problèmes des prix élevés des denrées alimentaires. De plus, l’État n’arrive pas à maintenir un niveau de service public digne de la République.
La véritable solution humanitaire, qui pacifierait les quatre îles de l’archipel des Comores, consisterait pour la France à développer très largement une coopération internationale, d’égal à égal, entre l’Union des Comores et la France, comme le rappelait notre rapporteure de manière très intelligente, le tout dans le cadre d’un plan de retour progressif de l’île de Mayotte au sein de l’Union des Comores, qui pourrait s’étaler sur plusieurs années, voire plusieurs décennies.
Ainsi, l’aide publique au développement pourrait être accordée à hauteur des aides actuelles pour Mayotte, afin d’aider la population et de permettre à l’Union des Comores de construire et d’entretenir les infrastructures de base. C’est la seule voie qui réglerait honorablement le contentieux territorial entre la France et l’Union des Comores. La coopération et le respect du droit international plutôt que la confiscation de territoires à son seul profit : voilà le chemin diplomatique à emprunter le plus rapidement possible !
Je crois d’autant plus indispensable que la France en finisse avec cette colonisation illégale qu’elle perd à cause de cela une partie de sa crédibilité internationale – ce n’est pas au ministère des affaires étrangères que je vais l’apprendre. En 2014, par exemple, le ministre des affaires étrangères de la Russie, Sergueï Lavrov, a justifié à l’ONU la position de la Russie sur la Crimée en se basant sur le non-respect du droit international par la France dans la question mahoraise.
Nous serons tous d’accord pour dire que la France serait plus forte si on ne lui rétorquait pas ce genre de chose lorsque notre diplomatie œuvre à calmer des conflits territoriaux.
Venons-en maintenant à la convention d’entraide en tant que telle. Je la pense plutôt bonne : les liens entre Mayotte et les Comores étant complexes, comme je viens de l’expliquer, une convention d’entraide pourrait aider les deux pays à mieux coopérer en matière pénale. La lutte contre les trafics d’êtres humains, de drogue et d’argent doit de toute façon s’intensifier. Les articles 15 et 16 portant sur les demandes d’informations bancaires et sur la perquisition, la saisie et le gel des avoirs sont très positifs et permettent de limiter l’évasion fiscale, ce que nous ne cessons d’appeler de nos vœux.
Toutefois, les articles 19 et 20 portant sur les livraisons surveillées et sur les opérations d’infiltration me semblent un peu plus délicats et me poussent à rejeter ce texte. En vue de lutter plus efficacement contre le trafic de stupéfiants et contre les réseaux d’aide à l’entrée et au séjour irréguliers, la convention permet, aux termes des articles 19 et 20, de recourir à des livraisons surveillées, ainsi qu’à des opérations d’infiltration dans l’État partenaire.
En droit français, ces techniques sont prévues à l’article 706-80 du code de procédure pénale. Celui-ci permet à des officiers de police judiciaire de surveiller des personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes ou des délits, notamment ceux concernant l’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d’un étranger en France, visés à l’article 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Cela permettra peut-être de lutter contre les réseaux illégaux de passeurs qui œuvrent entre les quatre îles des Comores.
Toutefois, ces articles 19 et 20 ne sont pas acceptables. Dans le but d’aider Mayotte à contenir l’immigration massive qui déstabilise toute la région, plutôt que de rééquilibrer les écarts de richesse et d’équipement, l’on criminalise encore plus les mouvements de populations, qui sont, du point de vue de l’Union des Comores, un simple droit de circulation entre les quatre îles de l’archipel comorien. Je trouve cela scandaleux.
Pour cette unique raison, et même si la convention permettrait de faciliter plusieurs procédures en matière pénale, il n’est pas envisageable que le groupe GDR vote pour ce texte. Nous nous abstiendrons donc sur ce projet de loi.

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)

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