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Convention sauvegarde des droits de l’homme

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, je suis assez heureux de la tenue, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, d’un débat sur les droits de l’homme et surtout sur l’institution garantissant leur respect. Aux yeux des membres de notre groupe, il était en effet nécessaire, voire indispensable, d’examiner ce texte en séance publique, afin de pouvoir échanger nos opinions sur le sujet. Tel est le cas, ce qui est une bonne chose ; nous avons ainsi entendu plusieurs messages. Madame la présidente de la commission, chers collègues de la majorité, il serait bon que cela dur, que nous puissions débattre systématiquement des sujets abordés en commission des affaires étrangères et des principes qui guident notre réflexion. Je reste en effet persuadé que nous souscrivons globalement, sur presque tous les bancs de l’Assemblée, à des valeurs semblables en matière de droits de l’homme. En outre, ce débat permettra d’améliorer l’information de nos concitoyens à propos de l’esprit du protocole no 16.
Issue en droite ligne du traumatisme causé par la violence de la Seconde Guerre mondiale, la construction d’organisations garantes du respect des droits de l’homme à l’échelle internationale s’est imposée comme une nécessité à nos aînés. L’ONU – l’Organisation des Nations unies – et le Conseil de l’Europe, puis la Communauté économique européenne, pour ne citer qu’eux, ont été placés, à partir des années 1950, sous le signe de la culture de paix et du rapprochement entre les peuples.
En Europe, le système repose sur la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, sur laquelle veillent les quarante-sept États membres du Conseil de l’Europe, en matière politique et diplomatique, notamment par le biais de son Assemblée parlementaire, et, en matière juridique, par celui de la Cour européenne des droits de l’homme. Ce duo constitue l’alpha et l’oméga du respect des droits de l’homme dans toute l’Europe, de la Russie au Portugal et de l’Islande à Chypre.
Nous devons en être fiers et ne jamais hésiter à valoriser, partout où nous allons, le fait que notre pays accueille sur son sol, à Strasbourg, à la fois le Conseil de l’Europe, son assemblée parlementaire et la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci n’a pas été implantée en France par pur hasard : la France est un pays pivot de la construction européenne, et son histoire intellectuelle fait de notre pays l’un des porte-étendards des droits de l’homme.
Le protocole no 16 à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales est un texte concret qui permettra à la Cour européenne des droits de l’homme de voir sa mission renforcée et mieux reconnue, tout en respectant le principe de subsidiarité, qui est au cœur de la construction juridique européenne et respecte les États membres – notion importante, souvent évoquée dans cet hémicycle. Grâce à ce protocole, les pays membres du Conseil de l’Europe vont pouvoir demander à la CEDH de rendre des avis consultatifs sur des dossiers. Le dialogue entre les juges nationaux et les juges de la CEDH s’en trouvera renforcé. En allégeant sa charge, ce protocole permettra aussi d’accélérer les jugements de la Cour. C’est une bonne chose pour faire valoir les droits des citoyens.
Mais le vote de ce protocole ne doit pas nous faire oublier que la situation de cette juridiction est complexe et reste précaire. La paix se construit au quotidien, et ses instruments doivent être sans cesse surveillés, sans cesse soutenus. Totalement engorgée, la CEDH a subi une explosion du nombre de requêtes, dont le nombre est passé de 5 000 en 1989 à près de 130 000 en 2013. Ces chiffres, au-delà des problèmes d’organisation qu’ils posent, montrent aussi la grande confiance que les citoyens ont dans cette institution, devenue incontournable pour les problèmes liés aux droits de l’homme.
C’est une bonne chose, car la Cour est durablement installée dans un contexte géopolitique défavorable à son épanouissement. Plusieurs événements affaiblissent la CEDH et le Conseil de l’Europe : la Russie est en crise ouverte avec le Conseil de l’Europe depuis l’annexion de la Crimée et a même drastiquement réduit sa contribution financière à l’institution ; la Turquie a fait valider une Constitution taillée sur mesure pour l’autocrate Erdogan, qui porte un coup violent aux principes mêmes de la CEDH, malgré de réguliers rappels du Conseil de l’Europe ; la situation des réfugiés en Europe, rappelée par mon collègue Coquerel, soulève la question des droits de l’homme dans les pays qui considèrent ces réfugiés comme des problèmes – ces temps-ci, la France ne s’honore pas systématiquement sur le sujet.
L’époque est à la culture de guerre et non pas à la culture de paix, et ce qui est fort dommageable. L’après-guerre et la volonté d’en finir avec la violence guerrière semblent malheureusement lointaines. Il appartient à la Cour d’être la garante de nos principes, et il nous appartient de la valoriser pour continuer à faire triompher la discussion et la diplomatie sur la poudre et les canons.
Je veux pour preuve de ces difficultés du protocole que nous nous apprêtons à ratifier qu’il n’a été signé que par dix-huit membres du Conseil de l’Europe, qui en compte quarante-sept. Heureusement, la France, l’Italie et les Pays-Bas s’apprêtant à rejoindre les huit pays qui l’ont déjà ratifié, la barre des dix sera franchie, ce qui fera entrer le protocole en vigueur pour ces États.
Le protocole no 16 est donc une nouvelle pierre apportée à l’édifice ambitieux de construction concrète d’un espace du respect des droits de l’homme, avec des garde-fous à l’échelle de l’Europe continentale.
Je veux cependant redire ici le problème de représentation politique de la délégation française à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Pour les parlementaires, il semble que le respect des droits de l’opposition soit fondamental. Pourtant, l’opposition de l’Assemblée nationale n’est pas représentée correctement dans l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Je redemande ici officiellement le droit, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine et le groupe La France insoumise, de disposer d’un siège, d’une suppléance, dans cette assemblée. La situation actuelle constitue une atteinte à la pluralité de la représentation nationale que je me devais de dénoncer ici. M. Jean-Claude Mignon, ancien député du groupe Les Républicains et président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe entre 2012 et 2014, m’a d’ailleurs fait connaître sa surprise quant à l’attitude de l’Assemblée nationale à ce sujet. Il sait de quoi il parle : la France a toujours voulu démontrer, par le pluralisme de sa délégation, la force de sa démocratie. Mes chers collègues du groupe La République en marche, par votre choix, vous avez, cachés derrière le fait majoritaire, affiché un réel sectarisme. Mais il n’est pas trop tard pour revenir sur cette erreur. La majorité de notre chambre, qui a su rectifier certaines erreurs eu égard au respect de la pluralité, notamment pour la questure, devrait s’en inspirer pour revoir la distribution des sièges dans l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Au-delà du cas français, évidemment mineur par rapport à certaines violations des droits de l’homme au sein d’autres États membres du Conseil de l’Europe, le Conseil et son bras juridique, la CEDH, ont du mal à faire respecter leurs décisions. J’en veux pour preuve la situation de la Turquie, qui fait actuellement l’objet d’une procédure de suivi par le Conseil de l’Europe mais qui possède peu de marges de pression sur le régime d’Ankara. Des députés déchus de leur poste, comme cela arrive de plus en plus en Turquie, d’autres à qui l’on confisque leur passeport afin d’entraver leurs déplacements à Strasbourg ou à Bruxelles, comme ce fut le cas pour la députée Feleknas Uca : c’est une honte pour l’Europe et un échec pour la diplomatie parlementaire !
Les droits de l’homme concernent aussi les parlementaires. Dans les pays peu regardants sur le respect de ces droits, les parlementaires prennent d’énormes risques. C’est dans ce cadre que je me suis déplacé en Turquie, en novembre dernier, pour aller assister au procès de deux députés turcs du parti progressiste HDP. Il faut valoriser le rôle de la France dans ces actions. La diplomatie parlementaire, lorsqu’elle n’est pas collée à la diplomatie de l’État, peut l’enrichir. Détachée de certaines problématiques encombrantes, inhérentes au dialogue d’État à État, la diplomatie parlementaire se construit sur des relations plus personnelles. Même si elle est moins visible que la diplomatie d’État, elle est efficace, j’en suis convaincu.
Il serait ainsi intéressant de s’appuyer sur la diplomatie parlementaire pour ouvrir le chantier de la responsabilité sociale des multinationales au Conseil de l’Europe, en vue de faire respecter les droits humains et environnementaux dans les chaînes de sous-traitance. Hier après-midi, avec mes collègues Dominique Potier et Mireille Clapot, nous avons tenu un colloque sur ce sujet. La France a voté une loi ambitieuse l’année dernière à ce propos. La diplomatie parlementaire et étatique française s’honorerait à soulever cette question au sein du Conseil de l’Europe. Construire un monde plus juste fait partie de la mission du Conseil européen et de la Cour européenne des droits de l’homme. Ce chantier est fondamental pour l’amélioration des conditions de vie des salariés d’entreprise comme pour l’avenir de notre planète.
Les députés communistes et le groupe de la Gauche démocrate et républicaine souhaitent réaffirmer leur engagement en faveur de la Cour européenne des droits de l’homme et du Conseil de l’Europe. Je profite de ma présence à cette tribune pour exprimer notre solidarité envers tous les parlementaires et plus largement tous les citoyens qui voient leurs droits bafoués. (Applaudissements sur les bancs des groupes NG et FI ainsi que sur plusieurs bancs des groupes REM et MODEM.)

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)

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