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Coopération en matière de défense avec le Nigéria (MRP)

L’accord relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces entre la France et le Nigéria soulève un double enjeu fondamental : celui des accords de défense en tant que tels et celui de l’usage des forces armées en Afrique.
Les accords de défense permettent à notre pays de s’intégrer dans le jeu politico-militaire régional en Afrique et, de ce fait, interrogent les députés communistes sur les véritables intentions de tels accords. L’accord avec le Nigéria, signé le 16 juin 2016, porte sur la coopération en matière de défense et sur le statut des forces. Il a pour objectif de fournir un cadre juridique aux actions conjointes des armées nigériane et française, notamment sur la question du renseignement et de la formation des cadres militaires. Ce type d’accord est similaire à celui signé avec d’autres pays africains dont Paris est très proche, comme les Comores, le Togo, le Sénégal, Djibouti, la Côte d’Ivoire, la Guinée et le Mali.
Depuis quelques années, la France souhaite redonner un coup de neuf à ces accords de défense. La grande question que l’on se pose est la suivante : ces nouveaux accords sont-ils le faux nez des anciens, directement issus de la période post-coloniale, ou s’agit-il sincèrement d’un nouveau départ pour la France en Afrique ? Il semble utile de s’interroger aujourd’hui parce que, vous le savez tous, les accords de ce type posent deux questions : la philosophie même du bilatéralisme, qui fait peser sur les accords le poids de l’asymétrie entre les deux pays et du rapport de forces ; et la question du rapport de notre pays à l’Afrique.
Prenons le problème du bilatéralisme. Quel est son avantage ? Pourquoi, par exemple, le président américain tente-t-il méticuleusement de détruire le multilatéralisme à son profit ? Parce que les États-Unis, plus grande puissance militaire du monde, ont un rapport de forces qui leur est toujours favorable lorsqu’il s’agit de discuter en tête-à-tête avec un autre État, alors qu’il est en grande partie perdu au sein des instances internationales. Donald Trump utilise cet avantage lié au rapport de forces dans tous les secteurs, ce qui implique d’affaiblir continuellement l’architecture multilatérale mondiale en même temps que les souverainetés réelles des États.
Dans le cas d’un accord entre la France et une puissance africaine, c’est nécessairement la France, l’une des plus grandes puissances militaires du monde, qui a la main sur la négociation. Les accords bilatéraux relatifs à la coopération de défense et au statut des forces résultent de négociations asymétriques entre la France et certains pays africains, dont presque toutes ses anciennes colonies.
Avec le Nigéria, cet accord se veut offensif : la France s’intègre dans l’espace anglophone du golfe de Guinée et démontre aux États-Unis et à la Grande-Bretagne qu’elle a encore des ambitions en Afrique. À ce titre, il semble que la France, comme d’autres puissances, ait envie de se positionner pour partager le grand gâteau nigérian, qui contient de gigantesques réserves de pétrole et d’hydrocarbures, principalement situées en mer et nécessitant d’être sécurisées avant d’envoyer les entreprises françaises les exploiter – cette zone est l’une des plus fréquentées au monde par les pirates. Les ambitions de la France en Afrique ne manquent donc pas, tout comme elles ne manquaient pas hier. Les accords de défense d’hier étaient le prolongement de la France dans ses anciennes colonies, par le biais d’une présence militaire de Paris sur place, disposant, en échange d’une protection du régime politique, de la formation des cadres militaires et de la fourniture d’armes, d’un monopole à l’accès aux ressources naturelles.
La présence militaire française en Afrique a perduré au-delà de la colonisation du fait de ces accords : la France est intervenue soixante fois dans vingt-quatre pays en soixante ans, pour le plus grand bien des potentats africains et pour la préservation des ressources naturelles jugées indispensables à l’économie française. C’est cela, la Françafrique ! Et tout cela perdure malgré les vœux hypocrites de chaque Président de la République française d’en finir avec les liens opaques qui unissent la France aux dirigeants de ses anciennes colonies. Et si d’aventure un pouvoir africain montre ne serait-ce que quelques velléités d’indépendance, comme cela a été le cas en Côte d’Ivoire à l’issue des élections de l’an 2000, l’assurance vie de la présence militaire française se transforme en facteur de déstabilisation et d’affaiblissement pour ce pouvoir.
À ce sujet, permettez-moi de vous interroger sur le rôle exact de la France dans le bombardement de Bouaké en 2004 et des événements qui se sont ensuivis. Je note à ce sujet que dans la procédure concernant le bombardement, la juge d’instruction, Sabine Kheris, demande le renvoi des ministres de l’époque, Dominique de Villepin, Michèle Alliot-Marie et Michel Barnier, devant la Cour de justice de la République. Avons-nous affaire à une barbouzerie qui a mal tourné et qui, cette fois-ci, mêlerait le sang de nos soldats à celui de citoyens ivoiriens ? Comptez-vous ouvrir les archives pour qu’éclate enfin la vérité dans cette affaire ?
Toutes ces méthodes sont d’ailleurs les racines de l’image déplorable de la France sur le continent africain et la raison de notre manque de crédibilité en Afrique. Avec le passé qui est le nôtre, c’est le principe de non-ingérence qui devrait être la ligne de conduite de notre pays qui, parmi d’autres, a commis les pires crimes et les pires horreurs sur le continent africain. Il lui a pillé ses habitants, ses ressources, son argent, et cela dure depuis des décennies. Il faut que cela cesse !
Mais ce n’est pas le chemin que prend la présidence Macron. L’habitude coloniale de la France est encore largement préservée dans certains pays d’Afrique, comme nous avons pu le voir encore en 2019 au Tchad, à Djibouti ou en Côte d’Ivoire, pour ne citer que ces trois exemples. On a pu remarquer en effet de très fortes rémanences de ces principes françafricains au Tchad, où l’armée française a bombardé, en février dernier, une colonne de véhicules appartenant à des opposants au dictateur tchadien Idriss Déby. Ce chef d’État zélé est protégé, contre toute logique, par la France, qui le remercie en lui permettant de rester à son poste sans être dénoncé, alors qu’il y est depuis 1990. Un pays comme le nôtre peut-il se permettre de protéger un homme qui dirige un État comme s’il était sa propriété, qui n’hésite pas à supprimer ses opposants, à pratiquer la torture et les enlèvements ? Nous sommes toujours dans l’attente de précisions sur ce dossier. Peut-être est-ce inavouable ? Nous continuerons à demander des comptes !
Mais le Tchad n’est pas le seul pays à être encore sous protection française. Comme le dit son chef d’État, Ismaïl Omar Guelleh, malgré les changements dans la région, rien ne bouge à Djibouti. Lorsqu’il s’agit de faire de petits gestes pour Djibouti, l’État français ne se prive pas. Récemment, Mohamed Kadamy, un opposant djiboutien disposant du statut de réfugié politique en France, a été mis en examen et risque d’être renvoyé à Djibouti au mépris du droit français afin de satisfaire le régime djiboutien, voire de l’échanger avec un prisonnier djiboutien qui aurait un rôle dans l’affaire Sarkozy-Kadhafi.
Prenons un troisième exemple de la protection de la France envers ses fidèles : la Côte d’Ivoire. Après avoir acté ce que l’on peut qualifier de coup d’État d’Alassane Ouattara en 2011, la France a permis au nouveau chef d’État d’envoyer Laurent Gbagbo devant la Cour pénale internationale. Après sept ans de procédure, pendant lesquels Laurent Gbagbo était en détention provisoire, en contradiction totale avec les recommandations en la matière de la Cour européenne des droits de l’homme, celui-ci est maintenu en liberté conditionnelle sans pouvoir retourner en Côte d’Ivoire après son procès alors qu’il a été acquitté, ce qui est en contradiction avec tous les principes du droit ! Il semble que les pressions ivoiriennes et surtout françaises aient encore permis de mettre des bâtons dans les roues du principal opposant d’Alassane Ouattara, l’empêchant de revenir dans son pays à la veille des élections présidentielles de 2020. L’ingérence française dans les affaires internes des pays comme Djibouti, le Tchad ou bien la Côte d’Ivoire est insupportable et n’est pas digne de notre pays.
Les accords de défense bilatéraux, s’ils ont changé dans la forme depuis les années 1970, permettent donc à la France de maintenir une présence dans ses anciennes colonies, ce qui pose de graves problèmes de probité dans l’usage de nos forces armées.
Personne ne s’est grandi dans cette histoire, et la France ferait mieux de travailler autrement en Afrique que d’utiliser son armée pour garantir aux dictateurs une stabilité propice aux affaires et destructrice des peuples.
Lorsqu’il s’agit de la Françafrique, la France pratique un « deux poids deux mesures » intenable sur le long terme. Ainsi, l’armée française n’est pas intervenue pour mettre fin au massacre à Duékoué, en Côte-d’Ivoire, de plusieurs milliers de personnes par les partisans d’Alassane Ouattara, le président actuel – massacre qui a été commémoré hier. Par contre, lorsqu’Idriss Déby demande à la France d’attaquer ses opposants, nous fonçons les bombarder. Lorsqu’une attaque fait près de 160 morts dans un village malien, la France ne bouge pas. Pourtant, nous avons signé avec le Mali un accord de coopération en matière de défense qui a été ratifié en 2015.
Que fait la France ? Pourquoi a-t-elle été si rapide à attaquer des opposants tchadiens ? Pourquoi ne réagit-elle pas lorsqu’il s’agit de massacres de Maliens ou d’Ivoiriens ? Pourquoi s’entête-t-elle au Mali dans une stratégie qui est en échec ?
Je pense que le Gouvernement se fera fort de nous éclairer sur cette situation et sur ce qu’a récemment dit la ministre des armées Florence Parly : « Serons-nous amenés à intervenir chaque fois qu’on nous le demande ? Non. La décision relève, in fine, de l’appréciation du Président de la République. En l’espèce, il n’était pas souhaitable qu’un pays fortement contributeur à la lutte contre le terrorisme et présent sur d’autres fronts soit déstabilisé, avec pour conséquence ultime une augmentation de nos engagements en OPEX. » Voilà qui est dit.
S’agissant du Nigéria, puisqu’il ne s’agit pas d’une ancienne colonie française, mais d’une ancienne colonie britannique, c’est l’influence française qui importe – preuve tout de même qu’un accord de défense reste un instrument fort pour s’intégrer dans un territoire, notamment pour faire marcher la vente d’armes dans le pays en question, la rapporteure nous l’a confirmé à mots à peine couverts. N’oublions pas que l’actuel ministre des affaires étrangères a été le ministre de la défense qui a le plus vendu d’armes.
Le problème de l’obsession sécuritaire et militaire de la France en Afrique de l’Ouest, c’est qu’elle passe à côté des vrais sujets. En insistant sur les forces armées, vous semblez oublier que les violences ne sont jamais aux racines d’un problème ; elles en sont plutôt une conséquence. J’irais même plus loin : si les violences sont les conséquences de problèmes profonds, tenter de résoudre les violences par d’autres violences sans s’attaquer à leurs racines ne fait généralement qu’empirer les choses.
S’agissant de la bande sahélo-saharienne, nous voyons qu’aucune action militaire n’a pu répondre de manière satisfaisante à une question d’ordre politique et social. Cette zone est constellée de conflits entremêlés : religieux, territoriaux, d’accès aux ressources primaires comme la nourriture et l’eau et aux services publics.
L’accès à l’éducation et à la santé a été, il faut le dire, ruiné par les différentes politiques d’ajustement structurel des années 1980 et 1990 imposées par le Fonds monétaire international suite à la crise de surendettement des pays du Sud, crise provoquée par l’architecture même du système économique mondial, comme l’indique le Comité pour l’abolition de la dette du Tiers monde. Peut-on imaginer que des peuples se laissent mourir sans éducation ni santé parce que les dogmatiques du libéralisme leur en interdisent l’accès ?
Ces politiques destructrices ont laissé des traces. Ces pays saignés à blanc ont dû délaisser leurs services publics pour mieux rembourser leurs dettes sur ordre des pays riches : une colonisation économique, en somme. Les frustrations et les haines, pour certaines créées par la colonisation, pour d’autres antérieures, ont pu être instrumentalisées et ont contribué à la déstabilisation et au sous-développement de beaucoup de pays d’Afrique.
Au-delà des problèmes des services publics, très souvent défaillants, voire inexistants, la question de la concurrence pour les ressources entre les différents usagers des sols nous permet de constater concrètement l’absence de régulation étatique de ces problèmes. La faiblesse, voire la corruption de ces États nourrissent aussi ce genre de violences, surtout dans le contexte du changement climatique.
Certains spécialistes considèrent ainsi qu’au Mali, du fait de la désertification due au dérèglement climatique, les éleveurs sont bien plus qu’auparavant en concurrence avec les agriculteurs – la rapporteure l’a dit. Cette concurrence engendrée par les désastres écologiques nourrit la haine à son tour. Les éleveurs étant issus majoritairement d’une ethnie autre que celle des agriculteurs, avec des différences religieuses en toile de fond, la cohabitation est mise à mal et le corps social déchiré.
Les ressources comme l’eau sont aussi de plus en plus source de conflits. Dans le bassin hydrogéographique de l’Afrique de l’Ouest, l’agriculture utilise environ 75 % des ressources en eau ; mais le développement commence à créer des conflits d’usage. Ce sont des sujets qu’il est nécessaire de prendre en compte pour le développement des États.
Par ailleurs, l’exploitation de l’énergie hydroélectrique, qui a un énorme potentiel en Afrique, doit être réfléchie et mise en œuvre de manière concertée et mutuellement avantageuse, faute de quoi la multiplication des barrages pourrait entraîner des problèmes dans les territoires et les pays en aval. Ces questions énergétiques sont d’autant plus importantes que le Niger, par exemple, dépend à 80 % du Nigéria pour son énergie. L’aide de la France à la construction d’un barrage sur le fleuve Niger doit prendre en compte ces risques de tensions entre les deux pays.
Plus largement, la souveraineté énergétique de pays comme le Nigéria devra être fortement améliorée. L’objectif des pays riches est comme toujours de maintenir leurs sources d’approvisionnement énergétique, ce qui se fait au détriment des pays détenteurs de ces ressources. C’est de cela que le Nigéria pâtit, alors qu’il est le premier producteur pétrolier d’Afrique et qu’il dispose des plus abondantes réserves d’Afrique après la Libye.
Le Nigéria est par ailleurs l’un des cinq plus grands exportateurs de gaz naturel liquéfié au monde. Pourtant, ce pays a l’un des plus faibles taux de production électrique par habitant au monde, seuls 40 % de ses habitants ayant accès à l’électricité – quand l’approvisionnement est assuré. Le contrôle des ressources n’est donc pas nigérian, mais géré par des compagnies multinationales qui les exploitent pour l’export.
Si les pipelines pétroliers et les gazoducs sont fréquemment attaqués, c’est parce que les attaquants savent très bien que ces tuyaux vont directement en Occident et qu’ils ne verront jamais la couleur de l’argent que cela rapporte. Et ce n’est pas en les bombardant qu’on résoudra le problème de la captation des richesses naturelles par les pays riches ! Il est temps de comprendre que les opérations militaires accroissent le risque terroriste plus qu’elles ne l’éliminent.
Jean-François Bayart, professeur à l’Institut de hautes études internationales et du développement, le disait récemment sur une radio publique. Il citait l’exemple du Kenya qui, en intervenant en Somalie, a importé le terrorisme sur son territoire, ou celui du Tchad et du Cameroun, qui ont amplifié le phénomène terroriste en tentant de combattre Boko Haram au nord du Nigéria. Il évoquait encore l’extension des phénomènes terroristes au Burkina Faso à cause de l’intervention militaire au Mali.
La haine engendrant la haine, la guerre n’a jamais résolu quoi que ce soit. C’est la paix qui permet que les peuples prospèrent.
L’exemple le plus probant restera celui de la Libye, pays qui abrite les plus grandes réserves de pétrole d’Afrique. Ce pays, crucifié par Sarkozy pour des raisons encore obscures, mais qui ne laissent aucune ambiguïté quant au cynisme de cette sale guerre, est devenu le terreau du terrorisme, hébergeant maintenant les restes de Daech et toutes les mafias du monde, qui viennent y pratiquer librement le trafic d’êtres humains, l’esclavage, le trafic d’armes et de drogue. Les migrants issus de l’Afrique de l’Ouest sont nombreux à passer par la Libye et les horreurs qu’ils y subissent font froid dans le dos, surtout lorsque l’on sait que cette guerre est l’œuvre de la France, et que l’Union européenne paie des milices libyennes pour endiguer les migrations. Ces horreurs ravivent également les souvenirs de la traite humaine transsaharienne de triste mémoire.
Nous devons donc en finir avec l’ingérence. Aider ces pays à retrouver leur souveraineté politique, sociale, économique, industrielle en vue de soutenir la mobilisation de leurs ressources intérieures, soit, mais arrêtons de faire la police pour nos seuls intérêts. Même l’aide publique au développement devra être pilotée de manière plus ouverte et moins cynique par l’Agence française de développement, l’AFD.
Florence Parly, auditionnée par le Sénat il y a quelques semaines, a dit que « pour se prémunir autant que possible contre le risque de rejet de la présence militaire étrangère, il faut aussi mener des projets de développement. » Elle ajoutait qu’à cet égard, « nous souhaitons articuler de manière plus efficace l’action de Barkhane et les actions de l’Agence française de développement, pour que le rétablissement de la sécurité bénéficie directement aux populations. C’est ainsi que la présence militaire sera mieux tolérée. »
Ces propos sont très inquiétants : pour Mme la ministre des armées, l’AFD est le masque derrière lequel se cache l’armée française. Cela inquiète aussi parce que cela signifie que notre aide publique au développement ne traduit pas une volonté relativement désintéressée de développer des pays parmi les plus pauvres, en rupture avec la colonisation et le néocolonialisme, mais uniquement celle de faire avaler aux populations une présence militaire étrangère. C’est un pur scandale et on ne devrait pas tolérer de tels propos dans la bouche d’une ministre.
Il faut le dire : la France se grandirait si elle prenait la tête d’une diplomatie d’un nouveau type, quittant le camp des puissances militaristes et suivistes des positions américaines pour adopter un statut de puissance servant les intérêts des peuples. Mais pour cela, il faut tout changer, car la France ne prend pas le chemin de cette ambition, bien au contraire.
Une diplomatie ambitieuse à tous les niveaux supposerait d’abord d’arrêter de faire des économies sur le dos du Quai d’Orsay à chaque projet de loi de finances ; de refaire des ambassades le véhicule des valeurs et de la culture française, et non des VRP des entreprises françaises ; de remettre la France au centre des organisations internationales ; de respecter ses engagements internationaux en consacrant 0,7 % de son PIB annuel à l’aide publique au développement ; de distribuer ces aides de manière plus responsable, en partenariat avec les ONG, les organisations de la société civile, et à des pays qui ont un véritable besoin de financements.
Cela supposerait d’agir beaucoup plus fermement au sein du Conseil de sécurité de l’ONU pour faire respecter les résolutions qui y sont votées. C’est valable pour le Sahara occidental comme pour le conflit israélo-palestinien et pour tous les conflits gelés du monde. Plutôt que de s’épuiser à obtenir un siège de membre permanent du Conseil de sécurité pour un autre pays européen, la France devrait faire en sorte que l’Union africaine devienne membre permanent du Conseil de sécurité.
La France pourrait aussi mener une réflexion approfondie et multilatérale pour sortir enfin du système du franc CFA, anachronisme colonial dangereux pour la souveraineté politique, monétaire et financière des pays africains qui l’utilisent et un instrument monétaire entravant le développement. Trouver, par le débat avec les Africains, une alternative crédible à cette monnaie devrait être un de nos devoirs diplomatiques.
La France pourrait aussi utiliser son influence pour tenter de modifier la gouvernance de la Banque mondiale, instance où un dollar donne une voix. Il n’est pas possible de continuer de cette façon ni d’accepter que la présidence en soit réservée à un Américain. Il faut en finir avec ce que Bertrand Badie appelle une diplomatie de connivence.
Elle pourrait aussi inciter l’Union européenne à sortir du dogmatisme anti-immigration en travaillant à d’autres politiques d’aide au développement, visant à l’établissement d’une économie équilibrée satisfaisant les besoins des populations et créatrices d’emplois susceptibles de leur donner des perspectives de vie. Bref, le contraire de ce que nous faisons actuellement.
Il n’est en effet de situation d’urgence que sociale. Il est faux de croire que les humains aiment se faire la guerre. Certains y trouvent leur intérêt, certes, mais la plupart se contenteraient d’une vie meilleure sans avoir à combattre, à tuer et à mourir.
Les députés communistes restent donc persuadés que, si cet accord militaire peut protéger éventuellement le pays contre des drames, il ne permettra pas d’éviter la guerre.
Ce n’est pas en envoyant sur le terrain notre armée et notre savoir-faire militaire que nous ferons disparaître les conflits comme par enchantement. C’est en travaillant avec les populations à une meilleure allocation des ressources naturelles ; à la mise en place à grande échelle d’une agriculture locale, productive et respectueuse de l’environnement et indépendante – Mme la présidente de la commission des affaires étrangères y est sensible, je le sais – des grandes entreprises agro-industrielles qui pillent les terres et les ressources des États les plus fragiles, dont les législations foncières sont bien souvent issues de la colonisation ; à la remise en état des services publics ; au soutien des efforts des États et des populations pour résoudre ces problèmes par le biais d’une aide publique au développement tournée vers la mobilisation des ressources internes, pour le bien des peuples ; plus largement, en travaillant à protéger ces pays des affres des traités de libre-échange et du moins-disant fiscal.
Lorsque l’on parle de fiscalité, on pense souvent ici à l’évasion fiscale des pays du Nord, qui est un véritable drame pour les populations. Le dumping fiscal en Afrique est un mal absolu. Les multinationales jouent avec ce levier pour exploiter les ressources sans s’acquitter d’impôts justes.
L’ancien ministre du budget de Laurent Gbagbo, Justin Koné Katinan, l’explique parfaitement dans son ouvrage « Économie et développement en Afrique ». Je le cite : « L’idée d’une réduction de l’impôt sur les sociétés pour en favoriser l’implantation en Afrique est une belle escroquerie montée par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale [...] Tous les pays africains se sont lancés dans des politiques concurrentielles d’élaboration de codes d’investissement très souples en espérant attirer le maximum d’investisseurs. »
Mais lorsqu’on sacrifie ses recettes fiscales, il faut faire appel à l’endettement, et voilà le cercle vicieux enclenché !
Justin Koné Katinan indique par exemple que si la Côte d’Ivoire avait eu un taux d’imposition sur les sociétés similaire à la moyenne européenne, cela aurait rapporté environ 6 milliards de dollars supplémentaires aux caisses de cet État en 2015.
Le capitalisme est fou et on voit les conséquences de cette folie au Mali, un pays – un de plus ! – qui sombre dans le chaos libéral. Les députés communistes l’ont toujours dit, mais ces exemples permettent de bien comprendre dans quelle prison se trouvent les pays africains. La bataille pour que les grandes entreprises multinationales paient ce qu’elles doivent est internationale ; ce combat doit être mené tant chez nous qu’en Afrique. Les sommes en jeu sont colossales. Là encore, cela éviterait bien des guerres.
Cet accord de défense avec le Nigéria, vous l’aurez compris, ne suscite pas autant d’inquiétudes que ceux signés avec les dictatures de Djibouti et du Tchad, par exemple ; mais qu’en sera-t-il demain ?
À ce sujet, je voudrais profiter de notre débat pour que nous réfléchissions ensemble. Notre Parlement doit pouvoir se saisir des enjeux des traités internationaux non pas en aval, comme nous le faisons aujourd’hui, mais en amont. La représentation nationale aurait pu, comme nous le disons régulièrement en commission, proposer quelques points à inclure dans ce traité. À une époque, nous abordions dans nos traités la question de l’abolition de la peine de mort et nous aurions pu la poser pour le Nigéria, par exemple. Permettez-moi donc de proposer une évolution que notre commission pourrait collectivement soutenir.
Je précise que je ne souhaite pas ouvrir de débat sur la possibilité d’amender les traités, puisque la modification a posteriori d’un acte déjà signé constituerait une trahison envers l’autre partie et entraînerait un ralentissement de la procédure de ratification. Nous sommes néanmoins nombreux, régulièrement, à souligner qu’il aurait été intéressant de permettre à la représentation nationale de tracer des lignes rouges pour notre diplomatie et de formuler les principes intangibles que nous souhaiterions voir inscrits dans tel ou tel traité.
Nous pourrions par exemple demander que les nombreux accords de services aériens – dont nous avons encore discuté ce mardi en commission – incluent systématiquement le respect des accords de Paris, et qu’ils intègrent ainsi une mention explicite du respect de l’environnement ou des normes minimales de pollution, voire de sécurité.
Les accords commerciaux avec le Canada, le Japon, la Nouvelle-Zélande et l’Australie ont été pour beaucoup des traumatismes : ces espaces opaques de négociation créés volontairement loin du peuple n’ont fait qu’ajouter à la méfiance légitime que l’on peut avoir envers les traités de libre-échange.
Nous pourrions donc imaginer la mise en place d’une instance ou la rédaction d’un texte juridiquement contraignant : certains principes figureraient obligatoirement dans les textes soumis à la signature du chef de l’État. Je sais que ce serait une révolution dans notre manière de fonctionner, mais cela pourrait susciter une diplomatie à laquelle les représentants du peuple et le peuple lui-même seraient intéressés. Nous avons toujours intérêt à ce que le peuple, qui est souverain, puisse surveiller les agissements de ceux qui travaillent pour lui et en son nom, y compris sur les sujets internationaux.
Alors que, tous les samedis, des Français en gilet jaune – et d’autres – battent le pavé pour revendiquer un droit à une démocratie plus profonde et à une plus grande égalité entre les citoyens, je pense qu’il est intéressant de se pencher sur ce que nous pourrions faire à l’échelle de la commission des affaires étrangères et, plus largement, à l’échelle de la diplomatie, afin que les domaines réservés soient démocratisés.
Voici les raisons pour lesquelles je vous propose de voter cette motion de rejet préalable.

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)

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