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Couverture numérique du territoire

Ce débat sur la couverture numérique traite d’un véritable enjeu de société qui recouvre tout à la fois l’inclusion pour tous nos concitoyens, le développement économique et social et l’égalité des chances entre les territoires et les populations. Dans une société inévitablement numérique, où la machine est – tout au moins le souhaite-t-on – au service de l’intérêt commun, l’enjeu est également de rendre le numérique accessible partout et pour tous. Encore faut-il que les infrastructures le permettent.
Or, aujourd’hui, cette condition préalable est loin d’être remplie. La situation actuelle montre l’étendue du chemin qu’il reste à parcourir afin que tous, notamment dans les zones peu denses, enclavées ou isolées, accèdent au numérique. Le récent rapport de la Cour des comptes relatif à l’accès aux services publics dans les territoires ruraux a retenu, dans ses pistes d’investigation, deux points incontournables : l’évaluation des difficultés de l’accès à internet dans les territoires ruraux, et l’importance du développement des usages numériques pour un accès aux services publics.
Sans surprise, l’institution pointe que « les infrastructures numériques dans les zones rurales restent marquées par des insuffisances persistantes. La couverture y est de qualité inférieure à celle des zones urbaines, tant pour le numérique mobile que pour la fibre. » Il y a là une forme d’inégalité dommageable devant le service public. En l’absence d’une amélioration des infrastructures et d’un accompagnement efficace et anticipé de la population vers le numérique, la dématérialisation ne peut constituer une solution spontanée aux difficultés d’accès aux services publics constatées dans ces territoires. Au contraire, insuffisamment anticipée et expliquée, elle risque de renforcer le sentiment d’exclusion parfois ressenti par leurs habitants.
Pour la Cour des comptes, le constat est sans appel : « Cette digitalisation complète pose toutefois deux difficultés : l’insuffisante couverture numérique des territoires ruraux et le risque d’exclusion par rapport à des démarches administratives essentielles. » Le développement du numérique devrait faciliter l’accès du plus grand nombre aux services publics mais, à ce jour, c’est tout le contraire : une dématérialisation mal préparée ou prématurée a conduit à des inégalités d’accès encore plus grandes, notamment dans les territoires ruraux. Favoriser l’accès numérique aux services publics, mais aussi à tout autre service, doit être, pour ces territoires, un instrument d’égalisation des chances. Comme je le disais au début de mon propos, c’est un véritable enjeu de développement économique et social pour les territoires vulnérables.
Il n’est plus acceptable que certaines entreprises ou habitants renoncent à s’installer en zone rurale en raison du manque de couverture numérique. Dans ma circonscription, par exemple, la société Integra MicroFrance, installée sur la petite commune de Saint-Aubin-Le-Monial, doit débourser 150 000 euros pour disposer de la fibre indispensable à son activité et à son développement.
Dans les zones urbanisées, cette question ne se pose pas : les opérateurs s’y bousculent même pour assurer une meilleure desserte des réseaux.
Comment expliquer aux populations et aux entreprises des zones rurales que leurs chances ne sont pas les mêmes que celles offertes dans les métropoles ? On ne peut pas se satisfaire d’une France à deux vitesses et condamner un peu plus des territoires déjà en souffrance.
Nous savons aujourd’hui que, dans les zones défavorisées, la question démographique et le développement économique dépendent aussi d’un bon niveau de couverture numérique. On ne peut donc que soutenir les plans de déploiement que sont France très haut débit, pour le réseau fixe, et le New Deal mobile, pour le réseau mobile. Au-delà des effets d’annonce, il faut rester plus que jamais vigilants et mesurer les résultats concrets de ces plans.
Le plan France très haut débit repose, pour les territoires peu denses, sur la volonté des collectivités de s’engager dans des réseaux d’initiative publique. Bien que cofinancée par l’État, cette méthode reste inéquitable au regard des moyens limités dont disposent ces territoires déjà défavorisés. Pour ceux-là, en quelque sorte, c’est la double peine.
Malgré les investissements volontaristes conduits en région Auvergne-Rhône-Alpes, auxquels ma collègue Christine Pires Beaune a fait allusion tout à l’heure, de nombreux habitants de l’Allier, comme tant d’autres, attendent la fibre avec impatience. Ils expriment de plus en plus un sentiment de relégation. Les collectivités se battent pour une meilleure couverture numérique, mais elles ne peuvent pas tout. Le désintérêt ou le manque d’intérêt des pouvoirs publics est important, alors même que l’État devrait être le garant et le maître d’œuvre d’un déploiement équitable pour tous.
S’agissant de la couverture du réseau mobile, beaucoup de chemin reste à parcourir et les inquiétudes quant aux effets du New Deal Mobile sont fortes. Il est de bon ton, pour le Premier ministre, de multiplier les annonces à cet égard. Ainsi a-t-il, lors de son déplacement dans le Gers, le 22 mars dernier, annoncé le déploiement de 4 000 pylônes équipés en 4G depuis janvier 2018, et assuré qu’en 2019, chaque opérateur devra couvrir 700 sites. Or l’audition récente des opérateurs par nos collègues de la commission des affaires économiques a mis en lumière le manque de transparence sur l’état d’avancement du déploiement de la 4G : son calendrier pourrait nous amener jusqu’en 2029 !
On entend parler de la 5G alors que certains n’ont pas encore accès à la téléphonie et à internet ! Avec le passage à la 4G, l’itinérance dans les territoires ruraux s’est dégradée. Ce sera pire avec la 5G, qui porte moins que la 2G ou la 3G. Résultat, des zones couvertes hier ne le sont plus aujourd’hui.
Il serait pourtant facile, dans l’attente d’une véritable couverture, d’y remédier en partie et à très court terme. Dans ces secteurs peu denses où la couverture d’une partie du territoire est assurée par au moins un opérateur, l’utilisation du roaming, c’est-à-dire de l’itinérance, permettrait d’assurer la continuité du réseau. Dans un contexte de libre concurrence qui nuit inévitablement aux zones peu denses, il faut que l’ARCEP impose ce principe afin de débloquer la situation.
Il faut également que les conditions du déploiement de la 4G soient plus contraignantes pour les opérateurs. Il ne suffit pas de leur imposer de couvrir des zones blanches pour qu’ils le fassent en offrant le service attendu. J’en prendrai pour exemple la couverture d’une zone blanche dans mon département de l’Allier : après la mise en service d’un pylône, nous avons constaté que certains ne pouvaient accéder au réseau, car le choix de fréquence fait par l’opérateur n’était pas compatible avec tous les téléphones, et que la 4G était inopérante puisqu’il n’est pas obligatoire de l’activer dès la mise en service. Il faut absolument corriger le tir en imposant un accès universel au réseau et le fonctionnement de la 4G dès la mise en service des équipements concernés.
Des solutions existent. Une attention particulière doit également être portée aux moyens de desserte garantissant un accès suffisant. En effet, l’utilisation de technologies telles que l’hertzien pour alimenter les réseaux posera à court terme des problèmes d’accès face à la croissance du nombre d’utilisateurs et au volume grandissant de données échangées. Au risque de voir des réseaux rapidement saturés et donc inopérants, le déploiement de la fibre doit, là encore, se faire partout, pour tous et le plus rapidement possible.
Enfin, en matière numérique, l’éclatement des responsabilités résultant du dédoublement du portage des plans – l’Agence du numérique gérant France très haut débit et l’ARCEP, le New Deal mobile, chacune visant le même objectif d’une couverture numérique de l’ensemble du territoire selon le même calendrier – n’est pas gage d’efficience. Une approche globale devrait s’imposer, mais elle suppose la désignation d’un pilote reconnu, référent sur les sujets ayant trait à la cohésion territoriale. Espérons que l’Agence nationale de la cohésion des territoires jouera ce rôle. Un tel positionnement irait dans le sens souhaité par la Cour, que je partage, celui d’un pilotage efficace.
Bien entendu, nous voterons cette proposition de résolution qui a le mérite de braquer les projecteurs sur un sujet essentiel pour l’avenir des territoires, notamment ruraux, et de rappeler au Gouvernement sa responsabilité dans ce dossier. Même si nous reconnaissons qu’une accélération est en cours, le chemin est encore long.

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