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Création d’une Agence Nationale de la Cohésion des territoires

Vous entendez donc mettre sur pied une nouvelle agence participant à la cohésion du territoire.
Je commencerai par vous faire un compliment, madame la rapporteure : vous n’avez pas utilisé de mots anglais dans votre présentation.
Je vous en remercie car, dans ce que j’ai pu lire et entendre, les « task forces » et autres « project angels » sont revenus à plusieurs reprises, ce qui me gêne toujours quelque peu… (Sourires.)
Vous fusionnez donc le CGET, l’EPARECA et l’Agence du numérique. Nous considérons en premier lieu que la nature statutaire de la nouvelle agence devrait être spécifiée et que cette dernière devrait être définie comme un établissement public administratif.
L’agence cible son action prioritaire sur des territoires caractérisés par « des difficultés en matière démographique, économique, sociale ou d’accès aux services publics », sur des collectivités territoriales n’ayant pas les moyens d’expertise ni les leviers financiers suffisants pour conduire leurs projets. L’agence se tiendrait donc à disposition de ces collectivités. Il conviendrait de préciser à cet égard – nous y tenons – que les communes et leurs groupements sont explicitement reconnus comme des interlocuteurs. Ces acteurs locaux feraient remonter leurs projets du terrain vers l’agence, en même temps que cette dernière continuerait d’assurer la mise en œuvre de programmes nationaux territorialisés, conduits à l’initiative de l’État et intéressant autant les bassins de vie denses des métropoles que les villes moyennes et leurs périphéries, les bourgs ou les espaces ruraux. Vaste et ambitieux programme qui laisse immédiatement perplexe ! Madame la ministre, connaissez-vous un maire qui n’ait pas un projet innovant ? Où et à quel niveau pourrait se situer la plus-value pour les populations et les élus locaux ?
Compte tenu des différents types de « difficultés » évoquées à l’article 1er, le spectre des territoires ciblés est trop large pour distinguer véritablement les territoires auxquels vous voulez donner la priorité, au-delà des actions faisant déjà l’objet de programmes nationaux. S’agit-il plus particulièrement des territoires ruraux en déprise, des territoires enclavés dont le maillage urbain est faible, de ceux dont l’appareil de production est en déclin – je pense notamment aux petites industries et à l’artisanat – ou encore de ceux où le solde démographique, naturel et migratoire est négatif de longue date ? Rien n’indique une orientation territoriale à l’action de l’agence. Si vous prétendez qu’elle peut ainsi développer son action de manière universelle et souple, au service des acteurs de terrain, nous pouvons vous répondre qu’elle agira au mieux avec du saupoudrage, au pire avec une efficacité douteuse au vu des programmes nationaux qu’elle continuera de porter.
Certes, les thématiques retenues sont clairement partagées : aide aux services publics de proximité, aux petits commerces et à l’artisanat, liaison numérique, transition écologique, habitat et déplacements. Cependant, même si cette liste est déjà longue, les problématiques relatives à la précarité sociale, à l’éducation, à l’animation associative, sportive et culturelle, ou encore au foncier agricole et urbain, auraient pu trouver explicitement leur place parmi les objectifs des projets locaux à soutenir. Bref, les acteurs locaux risquent, à juste titre, de vous interpeller sur le caractère incomplet des missions prioritaires de l’agence. Il en est de même des partenaires qui seront associés aux éventuelles décisions d’agrément et de financement.
Si vous annoncez un budget dédié à l’ANCT dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020, rien n’indique qu’il ira au-delà de l’addition des moyens dont disposent aujourd’hui les établissements fusionnés.
En matière d’expertise, je veux d’abord parler des femmes et des hommes capables de venir en aide, sur le terrain, aux acteurs locaux. Nous défendons avant tout le principe du statut de salarié de droit public pour les agents affectés à ces missions. De plus, comme pour les autres opérateurs de l’État et d’ailleurs l’État lui-même, nous craignons les perspectives ouvertes par le programme action publique 2022, qui propose une réduction du nombre de fonctionnaires. Il y a un antagonisme flagrant entre l’intention affichée – une expertise en capacité de se projeter sur le terrain – et la réalité que nous observons déjà, à savoir la faible disponibilité des services de l’État et de ses opérateurs auprès des collectivités territoriales.
Dans de telles conditions, nous craignons des décisions précipitées, technocratiques ou au contraire ensablées, en rupture plus ou moins prononcée avec les projets initiaux des communes et de leurs groupements décidés démocratiquement.
En matière purement financière, la vingtaine de millions d’euros de l’EPARECA, les quelque 550 millions du CGET et les 3,3 milliards de l’Agence du numérique seront-ils en tout ou partie versés au pot commun de la nouvelle agence ? Si oui, à quelle hauteur ? Seront-ils abondés pour faire face aux projets nouveaux remontant du terrain ? Nous avons peu de visibilité sur cette question décisive.
Vous connaissez une autre de nos inquiétudes : le conventionnement avec des tiers opérateurs comme l’ANAH, l’ANRU ou l’ADEME ira chercher ailleurs des financements déjà tendus et, pour nombre d’entre eux, déjà contractualisés.
Enfin, la gouvernance de l’agence reste marquée par la confiance limitée que vous accordez à la représentation des élus des territoires, tant dans la diversité des réalités qu’ils représentent que dans leur faculté à conduire une politique de manière constructive avec l’État. En témoigne la composition du conseil d’administration de l’agence. Certes, vous étiez obligés de prendre une initiative politique après une séquence où le pouvoir a particulièrement maltraité les élus locaux. On a vu ces derniers mois – et même ces dernières semaines – que ceux-ci ont été rétablis dans leur importance, tant ils sont proches et efficaces pour défendre et promouvoir les intérêts de leurs administrés.
Dans ces conditions, la construction d’un outil de précision tel que devrait être cette agence ne peut pas être négligée, comme l’ont dit les sénateurs communistes lors de la première lecture de ce texte devant la Haute Assemblée, mais seulement si l’on est véritablement convaincu de son efficacité. Or les élus locaux sont dans une attente forte et légitime d’un outil qui leur permettrait de déployer leurs projets. En la matière, vous avez une obligation de résultat – sans résultat, cette agence susciterait les pires déceptions. Aussi les débats qui vont suivre nous permettront de trancher.
Vous observerez que nous n’affichons pas d’intention de vote à ce stade. Nous faisons confiance à votre capacité d’écoute. J’imagine que vous saurez prendre en compte les nombreux amendements que nous défendrons sur ces bancs pour progresser sur les questions cruciales que pose la création de cette agence.

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Hubert
Wulfranc

Député de Seine-Maritime (3ème circonscription)

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