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Culture : archives

Comme je l’ai indiqué en soutenant la motion d’irrecevabilité, ce texte aurait pu obtenir le soutien des députés communistes et républicains si les sénateurs de la majorité ne lui avaient pas ôté son caractère d’ouverture. Il était attendu par les historiens et, plus généralement, par les utilisateurs des archives. Or le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ont été déçus ! Un appel a été lancé par les utilisateurs des archives. La communauté des historiens et des salariés de l’administration des archives s’est mobilisée. Tous dénoncent un texte conservateur et dangereux pour les libertés publiques. Loin de s’en inspirer, le projet de loi amendé jette aux oubliettes les conclusions du rapport du conseiller d’État Guy Braibant.
Déjà en 1996, celui-ci constatait une situation alarmante : problématique des archives publiques des personnalités politiques ; pertes et destructions volontaires ou non d’archives ; insuffisante attention portée aux archives économiques et sociales, notamment des entreprises, dispositif restrictif d’accès aux archives.
Le projet de loi voté par le Sénat ne réglera pas ces problèmes. Pourtant, notre pays aurait eu besoin d’une grande loi d’ouverture libéralisant l’accès aux archives. Il y a toujours eu, en France, une certaine omerta autour de dossiers « jugés » sensibles. Sonia Combe, dans son livre Archives interdites, dénonce des pratiques incohérentes et opaques autour des archives relatives à l’affaire Dreyfus, aux mutins et déserteurs des deux dernières guerres mondiales, à la Gestapo, aux camps d’internement français pour les étrangers et à la guerre d’Algérie, à tout ce qu’a rappelé tout à l’heure mon collègue et ami Jean-Pierre Brard.
Il est très difficile d’avoir accès à des documents sur ces sujets. Or le texte qui nous est soumis aujourd’hui est loin de répondre aux attentes légitimes des chercheurs et des utilisateurs des archives. Il contient des dispositions qui portent atteinte à la liberté d’écriture et à la recherche historique. Il restreint de façon arbitraire le droit d’accès des citoyens aux archives publiques contemporaines. Il renforce et rallonge les régimes d’exception, et crée une catégorie d’archives incommunicables. Ce texte renoue avec la culture du secret : le mot « secret » est employé quatorze fois dans le texte.
Mes chers collègues, nous ne devons pas craindre le travail des historiens. Ce sont des documents déposés dans les fonds du département de la Gironde, envoyés au Canard enchaîné, qui ont lancé le processus ayant conduit à la condamnation de Maurice Papon. La France doit assumer son histoire contemporaine et, pour cela, faciliter la consultation des archives et limiter les régimes d’exception. C’est le sens des amendements déposés par mes collègues communistes et moi-même.
Je reconnais le travail de la commission des lois et de son rapporteur, mais les modifications apportées au texte restent insuffisantes.
Enfin, comme le dénonce l’association des archivistes français, aucune étude d’impact n’a été menée concernant l’application de la loi. Il est probable que l’instauration du principe de libre communicabilité, principale avancée du texte, engendre une augmentation de la fréquentation des lieux d’archivages. Or aucun moyen supplémentaire n’est prévu pour répondre à cette future demande.
Comme l’ensemble de la fonction publique, les archives subiront le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux. Pis, la fusion de la direction des archives de France au sein d’une super direction du patrimoine fait planer la menace d’une perte de moyens pour le stockage des archives et d’une dégradation des conditions de travail pour les salariés. Nous ne devons pas sacrifier notre service public d’archives. Les archives doivent être au cœur de la cité. Elles sont la mémoire de l’État et les remparts indispensables contre l’arbitraire.
En conclusion, les députés communistes et républicains conditionnent leur vote sur ce texte au sort que connaîtront leurs amendements. En l’état, ils ne peuvent que s’opposer à son application.
 

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Pierre
Gosnat

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