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Culture : délais de paiement des fournisseurs dans le secteur du livre

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je me réjouis que les députés de la majorité aient pris conscience – certes tardivement ! – des graves problèmes posés par la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, votée dans cette assemblée juste avant la crise mondiale. Ce texte portant la libéralisation tous azimuts des pans entiers de notre économie se caractérisait par l’outrance ultralibérale de chômeurs supplémentaires par mois. Ainsi, cette loi a détricoté les acquis unanimement salués de la loi de 1981 sur le prix unique du livre, qui prévoyait que les délais de paiement des fournisseurs soient fixés selon un système conventionnel pour les plafonner à quarante-cinq jours.
Mais, avec cette loi, s’est révélée l’inanité du raisonnement ultralibéral, qui privilégie l’accélération de la circulation du capital et l’impératif de rentabilité immédiate aux équilibres des secteurs économiques. La loi de modernisation de l’économie à peine entrée en vigueur, Hervé Gaymard et des députés de diverses sensibilités déposaient cette proposition de loi visant à abroger certaines de ses dispositions.
Un constat est largement partagé : le secteur du livre n’est pas un secteur comme un autre et la diffusion de la culture, de l’art, de la littérature nécessite une autre régulation que celle qui prévaut sur les autres marchés. Nicolas Sarkozy, pourtant expert en dérégulation et en libéralisation, l’a lui-même affirmé dans son discours du 12 novembre. À titre exceptionnel, je le cite : « La littérature est un élément de l’identité nationale française. En ce sens, le prix unique du livre, pour sauver le livre et les libraires, exprime une part profonde de notre identité nationale. »
Nous considérons qu’il est impératif de défendre les librairies, et notamment les plus petites, indépendantes des grands groupes, qui assurent la diffusion des livres à faible tirage. Les librairies doivent être préservées de la concurrence de plus en plus difficile qu’elles subissent de la part des multinationales de la diffusion culturelle. Aussi, si la fixation conventionnelle des délais de paiement des fournisseurs devrait permettre de mieux protéger les petites librairies, elle peut à l’inverse désavantager les petites maisons d’édition.
L’exposé des motifs s’attarde longuement sur la description des grands groupes de l’édition et sur leur chiffre d’affaires, mais il fait totalement l’impasse sur les géants de la distribution du livre comme la Fnac ou Virgin Megastore. Cette approche unilatérale occulte des données essentielles. Ainsi, en 2007, le chiffre d’affaires de la Fnac a progressé de 7,4 % : il est de 4,58 milliards d’euros, à mettre en regard des deux chiffres d’affaires des géants de l’édition, qui s’élèvent à 2,16 milliards pour Hachette-Lagardère et à 760,2 millions d’euros pour Editis. Les gros opérateurs de la distribution ne jouent pas dans la même cour que les géants de l’édition.
S’il est évident que le monde de l’édition a ses poids lourds, véritables multinationales de l’industrie culturelle, les auteurs de ce projet de loi et les syndicats qui promeuvent cette industrie culturelle sont trop discrets, voire silencieux, sur les centaines de toutes petites maisons d’édition indépendantes. Elles assurent pourtant la diversité de l’offre de livres et défendent l’art et la culture à leurs niveaux les plus exigeants. Il importe en effet de défendre les petites librairies, mais tout autant les petites maisons d’édition. Ce sont ces deux types d’acteurs qui sont la clé de la diffusion de la culture.
Comme l’indique Hervé Gaymard dans son rapport sur la situation du livre de mars 2009, « priver le secteur de délais de paiement suffisamment longs conduirait à réduire la durée de vie des livres en librairie et en grande surface spécialisée et à favoriser les titres à grande diffusion au détriment des ouvrages à tirage plus réduit ». Voilà une belle et juste phrase ! (Sourires.)
Mais il convient de rappeler qu’à l’inverse, des délais trop longs désavantageraient les petites maisons d’édition, celles qui, justement, publient des livres à tirage restreint et sont spécialisées, par exemple, dans le théâtre, la poésie, la recherche littéraire, les livres d’art.
Si le monde de l’édition compte en France des centaines d’acteurs, seule une dizaine d’entre eux présente des chiffres d’affaires supérieurs à 160 millions d’euros. C’est dire que l’immense majorité de ces acteurs sont des structures beaucoup plus restreintes.
Défendre la culture, ce n’est pas défendre les intérêts des groupes multimédias qui fabriquent les best-sellers ; c’est surtout défendre les chefs-d’œuvre publiés par les petites maisons d’édition qui, avant de rechercher la rentabilité, privilégient la qualité de leur catalogue.
Or, reconnaissons-le, les petites maisons d’édition sont quelque peu oubliées par cette proposition de loi.
Le système conventionnel pose un problème, dans la mesure où les grosses centrales de diffusion ont nécessairement plus de poids dans la négociation des délais de paiement des fournisseurs que les petites librairies. À l’inverse, les gros éditeurs peuvent plus facilement négocier des délais de paiement courts que les très petites maisons d’édition. En un mot, le principal défaut du système conventionnel est qu’il avantage par nature les gros acteurs au détriment des petits.
Pour défendre véritablement le secteur du livre, il nous semble important de mettre fin à la précarité galopante qui règne pour les salariés de ce secteur.
Du côté de la diffusion, les libraires indépendants pâtissent en effet de la concurrence des rouleaux compresseurs que sont la Fnac ou Virgin, et du taux de marge particulièrement faible du secteur, ce qui porte le salaire moyen d’un libraire indépendant à 1 600 euros brut, d’après le syndicat de la librairie française.
Du côté de l’édition, les difficultés structurelles du secteur du livre sont connues de tous et poussent les maisons d’édition à la concentration, au recours systématique aux contrats précaires, sous-payés, ou à l’utilisation abusive de stagiaires en grand nombre.
Pourtant, si les deux géants que sont Hachette-Lagardère et Editis se partagent 35 % du marché des ventes de livres, ils sont loin de représenter l’ensemble du secteur !
Plutôt que de tabler sur un énième abaissement des cotisations sociales patronales réclamé par les représentants patronaux, il conviendrait, monsieur le ministre, de créer des aides massives au secteur, conditionnées à la réalisation d’objectifs d’amélioration qualitative de l’offre d’emploi dans les maisons d’édition et dans les lieux de diffusion. Il faudrait inciter les acteurs à la pérennisation des contrats et à l’amélioration des conditions de travail et de rémunération.
Les politiques publiques doivent également s’orienter vers la promotion de la diversité des publications. Le marché concurrentiel du livre pousse en effet à la concentration des acteurs, et la recherche de la rentabilité immédiate pousse à l’uniformisation. Si les chaînes de la grande distribution culturelle présentent à peu près le même catalogue, il n’en est pas de même pour les petites librairies qui peuvent se spécialiser.
Il s’agit donc de comprendre que le sort des petites librairies est lié à celui des petites maisons d’édition. Il faut trouver le moyen de concilier les intérêts de ces deux types d’acteurs pour que l’exception culturelle française et la diffusion du livre perdurent. Je tenais, monsieur le ministre, à vous faire passer ce message.
Si ce texte présente une amélioration, il ne réglera certainement pas le problème de fond du secteur du livre, qui est la précarisation constante des salariés. Dans ce domaine, nous proposons d’instituer des aides conditionnées à l’amélioration qualitative des emplois du secteur.
Avec toutes les réserves que j’ai évoquées, les députés communistes, républicains et du parti de gauche voteront pour ce « mea culpa » de la majorité qui revient sur la loi de modernisation de l’économie.
Mais au-delà, je saluerai l’attachement à l’appropriation du patrimoine culturel qu’exprime ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
 

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)
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