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Débat d’orientation des finances publiques

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure générale, chers collègues, le débat d’orientation des finances publiques constitue l’occasion d’interroger la représentation nationale sur la trajectoire de notre pays en matière de politique économique, financière et monétaire. Vous conviendrez que nous l’abordons dans des circonstances particulières. Comment ne pas évoquer, à l’orée de mon propos, le contexte politique européen et la situation de la Grèce ? Les négociations semblent patiner. Si la Grèce était privée de liquidités, elle se dirigerait vers une faillite financière et une sortie inacceptable de l’euro, que certains appellent néanmoins de leurs vœux.
Dimanche dernier, les Grecs nous ont offert une bouffée d’oxygène en s’opposant de manière ferme et incontestable à une nouvelle cure d’austérité aussi injuste qu’inefficace que les créanciers entendaient leur imposer. Ils nous ont donné une leçon de démocratie en organisant un référendum dans des conditions ô combien difficiles, et ce au nez et à la barbe de toute l’oligarchie financière, économique, politique et médiatique de notre continent, qui ne voulait pas que la parole soit donnée au peuple. Victimes des désastreuses politiques d’austérité, les Grecs nous donnent également une leçon de courage et montrent qu’il est possible, avec de l’audace et de l’ardeur, de changer le cours des choses et de respecter les engagements pris envers les électeurs et la population.
En replaçant la démocratie au-dessus des marchés et de la finance et en plaçant l’humain au cœur d’un projet de société en lieu et place des ratios et autres chiffres comptables, les Grecs montrent aussi un chemin d’exigence aux décideurs politiques que nous sommes vers davantage de démocratie et de respect de la parole politique. Le non massif du peuple grec exprimé par référendum éclaire d’un jour nouveau la situation grecque mais aussi celle de l’Europe. Les positions prises ici même hier par M. le Premier ministre et par tous les groupes de gauche défendant le maintien de la Grèce dans la zone euro le confirment. La dette publique est une question primordiale en Grèce mais elle l’est aussi dans les autres pays européens, dont la France.
Depuis l’éclatement de la crise des subprimes, l’endettement public a considérablement augmenté et atteint dans nos économies occidentales des niveaux insupportables. La France n’échappe pas à ce constat dramatique. La dette publique dépasse désormais le montant vertigineux de 2 000 milliards d’euros. Cette année encore, elle augmentera. Il est prévu un déficit public de l’ordre de 3,8 % du PIB, en amélioration nette mais qui reste à un niveau bien supérieur à la croissance attendue. Outre la question primordiale du montant total de la dette et des déficits publics, il faut évoquer la question spécifique des intérêts de la dette et tirer la sonnette d’alarme. En raison de la faiblesse des taux d’intérêt et de l’hypothèse d’une inflation nulle, le programme de stabilité pour 2015 prévoit une réduction d’environ 2 milliards d’euros de la charge des intérêts des administrations publiques. Nous nous réjouissons d’une telle évolution.
Certes, la France bénéficie actuellement de conditions de financement tout à fait favorables grâce auxquelles elle finance ses déficits à moindres frais, mais pour combien de temps ? Compte tenu de la situation en Europe et de l’état des marchés financiers, il n’est pas exclu et il est même plutôt probable que notre pays soit confronté très prochainement à une remontée des taux qui pourrait s’avérer particulièrement douloureuse. Je citerai afin d’illustrer mon propos les chiffres de l’Agence France Trésor selon laquelle une hausse de 100 points de base de tous les taux d’intérêt en 2015 entraînerait une augmentation de la charge des intérêts de 2,4 milliards d’euros cette année, de plus de 5 en 2016, de plus de 7 en 2017 et de près de 13 en 2020 ! Ces chiffres font en effet froid dans le dos.
M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Il ne faut pas jouer à se faire peur, monsieur Charroux !
M. Michel Sapin, ministre. D’autant moins que c’est l’inverse qui se produit !
M. Gaby Charroux. Certains invoquent ces hypothèses pour arguer de l’urgente nécessité de continuer à réduire les dépenses publiques afin de réduire les déficits. Une telle démarche nous semble peu responsable et contre-productive. Pour nous, députés du Front de gauche, la conclusion tirée de ces hypothèses n’est pas la bonne. Ces chiffres montrent avant tout que notre pays est intoxiqué par les marchés financiers. Nous devons nous « désidérer » de la dette publique, selon les termes du philosophe Patrick Viveret. La dette ne doit plus être un instrument de chantage et d’asservissement des États. Nous devons prendre des mesures fortes.
M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Lesquelles ?
M. Dominique Lefebvre. Il faut faire défaut ?
M. Gaby Charroux. Il faut d’abord s’attaquer au stock, à ces 2 000 milliards d’euros qui plombent notre économie et notre avenir. Comment faire ? Nous proposons une solution européenne, avec l’organisation d’une grande conférence européenne sur la dette qui réunirait décideurs politiques et sociétés civiles afin d’envisager une restructuration des dettes publiques et d’alléger ce fardeau qui piège les populations et leurs représentants.
M. Michel Sapin, ministre. Cela coûtera cher !
M. Gaby Charroux. Il faut ensuite mettre en place des outils de financement de l’action publique autres que le recours aux marchés financiers, notamment le recours à l’épargne interne, afin de désintoxiquer notre économie de la finance. Dans le même ordre d’idées, il faut aussi reconsidérer le rôle de la Banque centrale européenne. En clair, il faut sortir du piège de la dette qui ne doit cesser d’être un prétexte pour mettre en place des politiques orthodoxes dans notre pays.
J’en viens au crédit d’impôt compétitivité emploi, parfait exemple de la politique exclusive de l’offre qui est menée en France. Il consiste en effet à réduire les prélèvements des entreprises de plusieurs milliards d’euros sans ciblage ni conditionnalité et sans effets visibles sur l’emploi. Quel coût, quel gouffre pour nos finances publiques !
Nous n’attendrons pas le rapport de France Stratégie pour faire progresser nos idées. Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2016, nous proposerons, en lieu et place de ce sinistre chèque en blanc offert au patronat, des mesures effectives accompagnant celles et ceux qui investissent et créent de l’emploi et de la richesse dans notre territoire, en particulier les TPE et les entreprises confrontées à une forte concurrence internationale, qui ont besoin d’être aidées. Le crédit d’impôt recherche fera également partie de nos priorités. Il coûte à nos finances publiques la bagatelle de quelque 6 milliards d’euros par an. Il nous semble profondément injuste de demander toujours plus d’efforts aux Français tout en conservant un tel dispositif dont les effets sur la recherche sont largement contestables.
La Cour des comptes a d’ailleurs très fermement critiqué en 2013 les dérives de cette immense niche fiscale qui coûte très cher à l’État. Comment expliquer que des enseignes de la grande distribution et des banques, dont la contribution à la recherche est peu probante, bénéficient d’importants montants de CIR ? Cela non plus n’est pas acceptable. Nous formulerons donc des propositions visant à inciter à remettre un peu d’ordre dans cette niche fiscale.
Par ailleurs, nous nous félicitons que notre camarade Nicolas Sansu ait été nommé rapporteur de la commission d’enquête parlementaire sur les effets de la baisse des concours de l’État aux collectivités locales, que nous n’avons cessé de combattre car réduire les moyens des collectivités, c’est réduire les moyens du premier investisseur public de notre pays !
M. Dominique Lefebvre. Les moyens des collectivités ne sont pas réduits, ils sont stabilisés !
M. Gaby Charroux. La réalité économique de notre territoire nous donne raison. L’activité se contracte et l’emploi est sous tension. Nous entendons donc faire toute la lumière sur les conséquences de la diminution de la DGF. En tout état de cause, nous proposerons une nouvelle fois de revenir sur cette baisse des moyens alloués à nos territoires.
Enfin, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale doit être considérablement renforcée. Nous proposerons donc le renforcement des moyens accordés aux services fiscaux et douaniers car ils sont loin d’être suffisants.
La filialisation dans des paradis fiscaux à laquelle ont recours les grands groupes doit également être combattue. Nous proposerons des mesures concrètes en matière de transparence, mais aussi de sanctions. D’autres propositions viendront compléter celles que j’ai évoquées, relatives en particulier à la taxe sur les transactions financières.
Les recettes libérales échouent dans notre pays et ailleurs en Europe. Nous participerons au débat budgétaire dans un esprit constructif mais animés de la profonde conviction qu’il est urgent que notre pays et le continent changent de cap au profit d’une croissance basée sur la transition écologique, l’amélioration du pouvoir d’achat et la justice sociale et fiscale.

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