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Discussions générales

Débat emploi des jeunes en Europe

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous réjouissons qu’un débat se tienne dans notre hémicycle sur un sujet aussi éminent. L’emploi des jeunes est en effet un enjeu prioritaire, qui engage l’avenir de l’Europe, comme celui de la France.
Le constat dressé par le rapport d’information de notre collègue Philip Cordery pose d’emblée les données statistiques du problème. À l’échelle de l’Union européenne, le taux de chômage des jeunes représente plus du double de celui des adultes, soit 21,9 %, contre 10,3 % au deuxième trimestre 2014, avec des situations contrastées en fonction des États membres. Dans un marché du travail touché par la crise économique depuis 2008, les jeunes, particulièrement les moins qualifiés, ont de plus en plus de difficultés à s’insérer professionnellement et sont menacés de paupérisation dans un contexte général d’augmentation constante de la pauvreté en Europe.
Un avis du Conseil économique, social et environnemental – CESE – voté lors de la séance plénière du 25 mars 2015, dresse le portrait d’une jeunesse en voie de précarisation et d’appauvrissement. La crise, conjuguée à un chômage structurel, a aggravé les conditions de vie des jeunes et de l’insertion sociale et professionnelle des 15-29 ans. Les chiffres sont parlants : un jeune sur cinq est toujours à la recherche d’un emploi trois ans après sa sortie du système scolaire, et près de 2 millions de personnes âgées de 18 à 29 ans vivent sous le seuil de pauvreté. Le CESE estime également entre 1,6 et 1,9 million le nombre de ces jeunes sans emploi, éducation ou formation.
Derrière ces chiffres, il y a une crise vécue par nos jeunes concitoyens. Sur fond de transformations économiques, sociales et politiques, les inégalités entre les adultes et les jeunes, mais aussi entre les jeunes eux-mêmes, ne cessent de croître. La compétition est à la fois intergénérationnelle et intragénérationnelle : telle est la loi du marché, et le marché de l’emploi n’y échappe pas. Les jeunes peu ou pas diplômés peinent toujours davantage à accéder au marché du travail, lequel fait fortement reposer la précarisation de l’emploi sur les entrants. Évincée de l’emploi ou occupant des emplois précaires, une fraction croissante de la jeunesse est exposée au risque de pauvreté. Les jeunes diplômés eux-mêmes sont confrontés à une dégradation de la qualité de l’emploi et peinent davantage qu’auparavant à réaliser leur indépendance résidentielle.
Nos jeunes payent cher les orientations politiques et les décisions technocratiques d’ordre libéral prises à Bruxelles, à Paris, à Berlin et ailleurs. Car il faut bien dire que les plans européens pour l’emploi des jeunes et les nombreuses autres mesures mises en œuvre n’ont rien changé. Au contraire, la situation se dégrade depuis le déclenchement de la crise en 2008, et même, monsieur le ministre, depuis l’alternance de 2012. Et ce, malgré l’énergie et le volontarisme de tant de structures locales – je pense en particulier aux missions locales.
Quant à la prolifération d’emplois précaires ou de survie, elle n’est pas une réponse acceptable : on ne construit pas sa vie sur de l’insécurité sociale. Nos jeunes refusent aussi cette donnée fondamentale des politiques européennes et nationales, menées soi-disant en leur faveur, mais trop souvent pensées, en réalité, pour d’autres intérêts que les leurs, dans la course à la compétitivité mondiale et au rendement. La prise de conscience de nos jeunes est une source de malaise. Nombre de jeunes sont convaincus qu’ils auront une vie moins facile que leurs parents ; ils ont le sentiment d’un déclassement social, conjugué à un sentiment d’insécurité quant à leur avenir. Dans notre pays, une partie grandissante des adolescents et des jeunes adultes, quelle que soit leur catégorie sociale ou leur origine, est confrontée à une perte de sens. La colère ne s’exprime pas toujours, mais elle grandit.
Les jeunes Français âgés de 18 à 25 ans se voient même comme une génération sacrifiée. Ils ne méritent pas un tel sort. Ils ne sont pas responsables de la situation de crise qui frappe les peuples d’Europe et de France. Notre propre destin collectif dépend d’eux. C’est pourquoi il est temps de relancer une véritable politique européenne en faveur de l’insertion sociale des jeunes. Malheureusement, une telle ambition relèvera toujours de l’utopie, tant que les dogmes et les hommes qui dominent aujourd’hui l’Europe seront mus davantage par l’intérêt des marchés que par celui des peuples. Ces propos, je les prononce dix ans après que la majorité de notre peuple a dit non au traité constitutionnel. Un non qui n’a pas été écouté, et qui a même été méprisé. Des politiques qui sont mises en œuvre aujourd’hui, avec les résultats désastreux que l’on sait, les jeunes sont les premières victimes.
J’évoquerai à nouveau l’initiative pour l’emploi des jeunes, l’IEJ. La France a été l’un des premiers États membres de l’Union européenne à mobiliser les fonds européens disponibles dans le cadre de ce dispositif, adopté par le Conseil européen de juin 2013. Il s’agit d’une dotation importante, qui atteint 3,2 milliards d’euros au niveau européen, sur un budget spécifique, avec 310 millions d’euros pour la France – ce n’est pas rien non plus.
Comme cela a été dit, cette initiative NEET concentre son aide sur les régions enregistrant un taux de chômage des jeunes supérieur à 25 % en 2012 et cible les jeunes sans emploi ne suivant ni enseignement, ni formation. En France, comme cela a également été dit, l’IEJ cible plus particulièrement tous les jeunes âgés de moins de 26 ans sans emploi, ne suivant ni études, ni formation, résidant dans les régions éligibles, inactifs ou chômeurs, qu’ils soient ou non inscrits en tant que demandeurs d’emploi. Elle concerne donc autant les jeunes chômeurs indemnisés, qui peuvent être diplômés, que les jeunes décrocheurs qui ne fréquentent pas le service public de l’emploi.
Se posent les questions de l’accès aux financements de l’IEJ. Vous y avez répondu, puisque ce dispositif est réservé à certaines régions françaises, en fonction de certains critères, mais les députés du Front de gauche s’interrogent surtout sur l’efficacité du programme opérationnel national pour la mise en œuvre de l’initiative pour l’emploi des jeunes, au regard notamment de la sous-consommation, constatée sur le terrain, des moyens alloués.
Les causes de cette sous-consommation sont pourtant connues. La première est la multiplicité des dispositifs en faveur des jeunes sans emploi – on pourrait même parler d’un millefeuille dont les acteurs de terrain regrettent la complexité. Une autre cause est la lourdeur des dossiers à constituer pour l’IEJ, nécessitant, pour beaucoup de structures, un appel coûteux à des cabinets de consultants.
Se pose aussi la question du paiement différé de deux ou trois ans, comme pour toutes les actions relevant d’un plan de sauvegarde de l’emploi – PSE –, avec des conséquences financières pour les budgets des missions locales. Les contrôles, quant à eux, ne sont pas différés, mais bien réguliers.
Monsieur le ministre, quelles actions comptez-vous mettre en œuvre pour rendre plus efficace votre politique en faveur de l’emploi de jeunes dans notre pays, en particulier le dispositif de l’initiative pour l’emploi des jeunes ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Rebsamen, ministre. Monsieur Chassaigne, vous évoquez un sujet à propos duquel nous nous battons. Nous avons en effet la conviction forte qu’il faut agir pour la jeunesse. En effet, 6 millions de jeunes de moins de 25 ans sont sans emploi. C’est l’ampleur de la détérioration de l’emploi des jeunes au niveau européen qui a conduit l’ensemble de l’Union européenne à se mobiliser en faveur d’une initiative européenne visible et lisible, pour venir en appui aux actions des États membres et favoriser ainsi l’insertion des jeunes dans l’emploi. C’est là l’origine de la garantie européenne pour la jeunesse et l’initiative pour l’emploi des jeunes est l’armature financière de cette démarche.
Le pari de l’IEJ consiste à concentrer les financements dans le temps : 6 milliards d’euros sont prévus sur la période de 2014 à 2020, et cela sur des zones géographiques prioritaires car, comme vous l’avez rappelé, cette action est ciblée sur les régions où le taux de chômage des jeunes est supérieur à 25 %.
Cependant, monsieur Chassaigne, la consommation des crédits en France est bonne, avec 100 % des crédits engagés au niveau national et 60 % des crédits déconcentrés. Avec 310 millions d’euros sur deux ans, la France est le troisième État membre bénéficiaire, derrière l’Espagne et l’Italie. Nos amis espagnols sont du reste venus voir comment nous faisions concrètement, avec les premiers résultats de la garantie jeune, mais aussi avec des dispositifs complémentaires financés par l’IEJ, comme la formation des jeunes en emploi d’avenir, pour 20 millions d’euros, ou la lutte contre le décrochage scolaire, pour 24 millions d’euros. Le dispositif commence à faire la preuve de son efficacité.
Nous devons cependant, j’en conviens, aller plus loin et plus vite. Il faut pour cela que les moyens financiers de l’IEJ soient pérennisés jusqu’en 2020. C’est la demande que nous adresserons à la Commission européenne avec ma collègue allemande, qui nous soutient sur ce point – avec d’autres pays, je l’espère.
Il est enfin nécessaire de réfléchir à une meilleure prise en compte de certaines situations en amont du décrochage, pour que l’aide ne soit pas limitée à ceux qui ont déjà décroché, mais qu’elle bénéficie aussi à ceux qui pourraient décrocher et que nous allions – mais c’est bien souvent la croix et la bannière – vers plus de simplicité dans les modalités de gestion.

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