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Débat et questions sur France Télévisions

Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, le 13 janvier dernier, notre commission des affaires culturelles et de l’éducation procédait à l’audition de M. le président du CSA sur le bilan des résultats de la société France Télévisions.
Ainsi, régulièrement, et je m’en félicite, l’activité et le devenir de l’audiovisuel public font partie des préoccupations et des travaux des parlementaires, notamment à l’occasion des débats sur les contrats d’objectifs et de moyens liant les sociétés de l’audiovisuel public et l’État, ou lors des débats que nous avons chaque année sur le budget de la culture et de la communication.
Aujourd’hui, nous avons souhaité, avec nos collègues du groupe Écolo, revenir sur la situation de France Télévisions pour mieux cerner la réalité et les enjeux existant autour de l’audiovisuel public.
Je voudrais ici mettre au jour une contradiction et l’éclairer par un exemple. La contradiction est la suivante : chacun s’accorde à dire que France Télévisions est un bel outil ; le rapport Schwartz parle d’un « acteur de référence » dont « la place est unique ».
France Télévisions reste le premier financeur de la création audiovisuelle française avec 402 millions investis en 2013. Je voudrais rendre hommage à l’énergie et au professionnalisme de ses équipes, sans lesquelles tout cela ne serait pas possible.
Chacun s’accorde également sur les exigences à l’égard du groupe en qualité, créativité, audience ou rayonnement. Mais, et c’est le deuxième terme de cette contradiction, le Gouvernement et notre assemblée ne prennent jamais les décisions financières lui donnant les moyens de ces ambitions.
Prenons l’exemple du sport, au moment où la candidature aux Jeux olympiques se précise. On demande aux chaînes de France Télévisions de couvrir la plus grande diversité de pratiques sportives et handisport, sans se limiter aux plus rentables d’entre elles ; on lui demande de donner la place due au sport féminin – je me félicite d’ailleurs de l’attribution récente de la coupe du monde de foot féminin à la France. Très bien ! Cette qualité et cette diversité en font des chaînes reconnues, voire « ressources » en matière sportive. Mais les téléspectateurs risquent de ne bientôt plus avoir accès gratuitement à de grandes épreuves sportives car la télévision publique ne pourra plus les acheter.
Le budget consacré aux retransmissions sportives est en baisse et les fédérations et les ligues privilégient parfois une rentrée d’argent plus importante au détriment de la visibilité de leur pratique. Face aux chaînes comme beIN Sports, la retransmission du Tour de France a été préservée, mais pour combien de temps ? Et le rugby ? Comment trouver l’équilibre entre la baisse des moyens et des effectifs et la demande d’excellence et de qualité ?
Chers collègues, nous le savons, le groupe public est aujourd’hui fragilisé, d’abord par les réformes successives qu’il a connues et les difficultés, notamment pour les personnels, pourtant compétents, à se projeter vers l’avenir en toute sérénité. Ceux-ci étaient d’ailleurs en grève la semaine dernière pour remettre l’humain et le social au cœur de la stratégie de France Télévisions.
Nous avons connu la restructuration en entreprise commune en 2009, la suppression de la publicité après 20 heures en 2010, quatre schémas organisationnels en quatre ans et enfin le rapprochement souhaité des rédactions nationales avec le projet « Info 2015 ».
Sur ce dernier point, le rapport d’expertise diligenté par les syndicats de l’entreprise en souligne les risques en termes de répercussions sur la santé et l’équilibre des personnels, notamment journalistes, mais aussi pour le devenir des différentes chaînes avec une fusion-absorption de la rédaction de France 3 au profit de France 2 et un déclassement des éditions de France 3.
L’État a contribué à cette fragilisation en imposant des objectifs multiples à France Télévisions, avec des COM souvent modifiés, tout en réduisant ses moyens au nom d’un contexte contraint des finances publiques, comme le souligne l’éditorial des quatre ministres présentant le rapport Schwartz.
Le groupe est aussi fragilisé par le nouveau contexte audiovisuel, avec la multiplication du nombre de chaînes gratuites, l’avènement du numérique et ses conséquences dans le rapport à la télévision et à ses modes de réception.
Aujourd’hui, seuls 31 % des foyers reçoivent la télévision par voie hertzienne et les supports mobiles – smartphones et tablettes – représentent 40 % du trafic internet. Cette situation est à relier à la perte d’audience de France Télévisions – 28,8 % en 2014 contre 40 % en 2003 – et au vieillissement de son public.
Enfin, le groupe est touché par les coupes claires opérées dans ses moyens financiers. Successivement, France Télévisions s’est vue privée de publicité après 20 heures et a vu baisser la subvention d’État. Lors de sa participation à notre commission, en novembre 2014, le P.-D.G. de France Télévisions nous indiquait qu’en 2013, France Télévisions avait perdu 26 millions d’euros de ressources publiques et 10 % de recettes publicitaires, soit 70 millions d’euros.
Dans ce contexte, comment comprendre le refus du Gouvernement d’une ouverture maîtrisée de nouveaux espaces publicitaires sur certaines plages horaires ou certaines cases spécifiques, avec par exemple des pages de publicité commerciale pendant les mi-temps de retransmissions sportives ?
Et quelle concrétisation de la proposition de modification de l’assiette de la redevance ? On ne pourra pas augmenter indéfiniment le montant de celle-ci en pénalisant toujours un peu plus les mêmes. Pourquoi ne pas imaginer une redevance étendue à tous les supports, établie sur la base des revenus du foyer ?
Et l’on ne pourra pas non plus indéfiniment utiliser les personnels comme variable d’ajustement. Comment en effet résoudre ce dilemme entre exigence de qualité et insuffisance des moyens pour l’emploi ? Set cents emplois équivalent temps plein en moins entre 2012 et 2016 ! Jusqu’où ira-t-on avant que la qualité de l’offre n’en pâtisse ?
Je partage encore une fois l’opinion du rapport Shwartz indiquant : « Il est indispensable que France Télévisions bénéficie d’un soutien actif de son actionnaire, lui donnant une meilleure stabilité dans la mise en œuvre de sa stratégie. »
C’est pourquoi je voudrais vous inviter à débattre d’une question qui est à mes yeux essentielle pour l’avenir de France Télévisions : voulons-nous vraiment qu’existe et se développe un service de l’audiovisuel public ? Pensons-nous que l’information, la création, le divertissement, d’abord tournés vers le public et non la rentabilité, soient aujourd’hui dépassés ?
Nous avons agi pour intégrer les services audiovisuels dans l’exception culturelle au niveau de l’Union européenne. Allons-nous vraiment travailler à dégager la culture, et donc les services publics de l’audiovisuel, des griffes des marchands ? Ne faut-il pas réfléchir d’abord au rôle que peut jouer le service public pour participer à l’émancipation et à la liberté créative de notre peuple, contribuer à son esprit critique, à ses connaissances, à son plaisir, à sa curiosité – bref, à sa culture ?
On parle de développer la citoyenneté, mais le service audiovisuel ne joue-t-il aucun rôle dans ce domaine ? Et en nous interrogeant ainsi, ne posons-nous pas la question du type de société dans laquelle nous souhaitons vivre : une société faite pour l’argent ou une société faite pour l’être humain et son épanouissement ?
En débattant de cela, chers collègues, je suis certaine que nous pourrions donner un nouveau souffle à l’audiovisuel public. Nous pourrions ainsi envisager autrement le débat sur le nombre de chaînes, le contenu de chacune d’entre elles, leurs programmes, leur public et leur audience. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC, écologiste et RRDP.)
Madame la ministre, l’objectif initial des décrets Tasca était de doter la France d’un outil industriel susceptible de rivaliser avec les studios anglo-saxons. À cet effet, l’outil de production du service public a été amoindri, ses droits à produire restreints et l’obligation de financer la production privée sans cesse renouvelée dans les différents contrats d’objectifs et de moyens. En vain des voix se sont élevées pour que le service public, financeur, puisse obtenir des droits patrimoniaux sur la diffusion des œuvres.
Le système français d’obligation de commande à des producteurs français, sans intention stratégique, aboutit certes à une relative diversité, mais au détriment de la puissance d’investissement et de la visibilité désormais étendue à tous les modes de réception.
Du fait de leur taille, les acteurs en lice ne pourront longtemps résister à la puissance financière des studios anglo-saxons et des nouveaux acteurs, qui peuvent financer scénaristes, acteurs ou techniciens de renom.
Le paysage actuel de l’audiovisuel condamne le système hérité des décrets Tasca. Il est grand temps de changer les règles de la production audiovisuelle en France et de doter prioritairement le service public d’une capacité d’investissement et de retour sur investissement, à l’instar de la BBC, qui exporte ses programmes et qui génère, grâce à la détention des droits des programmes qu’elle finance, plus du quart de ses ressources.
Mme Barbara Pompili. C’est vrai.
Mme Marie-George Buffet. Madame la ministre, quel est votre plan d’action pour créer des acteurs majeurs dans le domaine audiovisuel français, aptes à rivaliser avec ces mastodontes américains qui, profitant de notre immobilisme, risquent fort de mettre à mal le principe de l’exception culturelle ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Fleur Pellerin, ministre. Vous avez raison, madame la députée : face à l’émergence d’acteurs mondiaux capables de distribuer leurs programmes directement sur tous les écrans, les producteurs et les diffuseurs français – de façon générale et pas seulement dans la sphère publique – doivent impérativement refonder leurs partenariats pour faire vivre l’exception culturelle à laquelle nous restons très fortement attachés.
France Télévisions doit évidemment jouer un rôle majeur et moteur dans la structuration de l’industrie de la création audiovisuelle. Avec le décret relatif aux parts de production, qui sera publié dans les prochains jours, le groupe sera davantage intéressé aux résultats.
À titre de comparaison, 30 % des recettes de la BBC sont des recettes commerciales issues de la vente de programmes. Il y a donc des marges de manœuvre à rechercher, pas nécessairement du côté de la redevance ou des dotations publiques, mais du côté de la valorisation de la capacité de production de France Télévisions, y compris à l’exportation. Cela vaut du reste aussi bien pour les programmes de flux que pour les fictions.
En modifiant la réglementation, donc, nous voulons permettre à l’entreprise publique de mieux mettre en valeur ses productions et de trouver un intérêt financier à produire des formats destinés à rencontrer davantage de succès en France et à l’étranger.
Vous le voyez, nous avançons bien sur cette question, ce qui doit également se traduire par un meilleur partage des risques au sein de la filière. Il faudra d’ailleurs réfléchir aux rôles respectifs du producteur délégué et du producteur exécutif. Mais c’est un autre sujet, soumis actuellement à concertation.

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