Interventions

Discussions générales

Débat industrie aéronautique

Je vais maintenant donner la parole à chacun de nos invités : M. Marwan Lahoud, directeur général délégué du groupe Airbus et président du groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales ; M. Frédéric Boccara, maître de conférences à l’université Paris XIII ; M. Jean-Jacques Desvignes, responsable de la filière aéronautique et spatiale de la Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT. Je remercie chacun d’eux d’être bref, afin que des questions puissent ensuite leur être posées.
La parole est à M. le directeur général délégué du groupe Airbus et président du groupement des industries aéronautiques et spatiales.
M. Marwan Lahoud, directeur général délégué du groupe Airbus et président du groupement des industries aéronautiques et spatiales. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, permettez-moi tout d’abord de vous remercier pour votre invitation, qui me donne l’occasion de vous exposer en quelques mots comment, en tant que président du GIFAS, le groupement des industries aéronautiques et spatiales, je vois la situation de la filière aéronautique française et son avenir. Nous sommes très sensibles à l’intérêt que porte la représentation nationale à l’industrie aéronautique, qui constitue un pôle d’excellence et un atout économique et social majeur pour notre pays.
L’industrie aéronautique et spatiale est un succès pour la France, c’est une filière solidaire très intégrée s’exprimant dans le cadre du GIFAS, qui regroupe aujourd’hui plus de 330 sociétés. Les succès d’Airbus, de Dassault et de SAFRAN, pour ne citer que les plus grands, c’est le succès de toute la filière, de la plus petite entreprise à la plus grande. Le GIFAS rassemble les maîtres d’œuvre, les équipementiers et systémiers, ainsi que des PME, en une filière où les relations sont caractérisées par la solidarité et le dynamisme, une filière de haute technologie qui concerne tous les segments de l’activité aéronautique et spatiale – un cas de figure assez rare dans le monde –, qu’il s’agisse d’avions, d’hélicoptères, de moteurs, d’engins et de missiles, de satellites ou encore de lanceurs spatiaux – et cette énumération n’est pas exhaustive.
Le succès de notre secteur repose d’abord sur un partenariat solide et historique avec l’État, que l’on présente habituellement comme une implication de l’État au moyen des investissements effectués par celui-ci, mais que l’on pourrait également décrire comme un co-investissement permanent de l’État et des entreprises, qui permet d’anticiper les grandes décisions stratégiques. Les meilleures illustrations de cet aspect sont les décisions prises, l’une au début des années 2000 au sujet de l’A380, l’autre au milieu des années 2000 pour le lancement de l’A350.
La représentation du secteur aéronautique et spatial dans des structures créées et supervisées par l’État permet d’anticiper les grands enjeux d’avenir de notre industrie. Je citerai par exemple le CORAC – le Conseil pour l’aéronautique civile –, qui favorise des échanges et une démarche volontariste pour trouver les domaines de collaboration en matière d’aéronautique au sens large, puisque cela concerne aussi bien les avions eux-mêmes que le trafic aérien. Dans notre secteur d’activité, efficacité économique et efficacité environnementale vont de pair et constituent les principales préoccupations du CORAC. Créé plus récemment, en 2013, le COSPACE – Comité de concertation entre l’État et l’industrie – est, lui, spécifiquement dédié au secteur spatial.
Le succès du secteur repose également sur le fait que l’industrie aéronautique et spatiale est duale, c’est-à-dire qu’elle est à la fois civile et militaire, et porte les fruits de la fertilisation mutuelle de ces deux secteurs. Les apports allant dans le sens du civil vers le militaire – je pense notamment à l’utilisation à des fins militaires de composants trouvés sur le marché civil – sont ceux qui se font le plus rapidement, ce qui est assez logique dans la mesure où les développements réalisés dans le secteur militaire sont à haut risque On cite toujours l’exemple du GPS, application militaire arrivée vingt ans plus tard sur le marché civil ; si je devais faire une prédiction, je dirais que le vol autonome, c’est-à-dire impliquant moins de personnel : c’est tout l’enjeu des drones dans le domaine militaire.
Le GIFAS représente une profession dont le chiffre d’affaires a été de 48 milliards d’euros pour l’année 2013, dans le contexte d’un trafic aérien mondial en croissance. Plus de 80 % de la production de cette industrie sont exportés alors que plus de 70 % de ses effectifs sont en France : il s’agit donc d’exportation réelle puisque l’on fabrique en France pour vendre hors de France. Chaque année, plus de 14 % du chiffre d’affaires sont consacrés à la recherche et au développement, ce qui permet des retombées technologiques dans de nombreux secteurs industriels et de nombreux territoires.
Le secteur emploie 177 000 hommes et femmes, avec une évolution extrêmement dynamique des effectifs, en croissance de 3,5 % en 2013, soit 6 000 emplois nets créés, ce qui porte le solde net sur trois ans à plus de 20 000 emplois nets. Du fait des remplacements auxquels il faut procéder, ce sont en fait plus de 40 000 recrutements qui ont été enregistrés, ce qui témoigne de la vitalité et de l’attractivité du secteur. En 2013, les embauches ont concerné pour 42 % des ingénieurs, pour 20 % des techniciens et pour 30 % des ouvriers qualifiés. Il convient également de signaler un effort de la profession au bénéfice de l’apprentissage et de la formation en alternance, avec plus de 6 000 jeunes apprentis en 2013.
Pour 2014, en dépit d’un léger ralentissement de la dynamique, la filière aéronautique française devrait rester un secteur créateur net d’emplois.
Pour terminer sur ce point, je rappellerai que notre industrie investit chaque année un milliard d’euros dans l’appareil de production – sans parler du secteur recherche et développement, que j’ai évoqué. C’est là un succès, certes, mais qu’il faut veiller à préserver et amplifier face aux énormes défis de la compétitivité, de la concurrence et de la mondialisation.
Renforcer notre compétitivité, c’est prendre les mesures qui s’imposent dans un monde où nos concurrents bénéficient d’aides considérables de leurs États. À titre d’exemple, aux États-Unis, nos concurrents – nos « meilleurs amis » – de chez Boeing dont le dernier programme, le 777X, concurrent de l’A380 et de l’A350, bénéficie de 8,7 milliards de dollars de subventions sous forme d’aides fiscales, au mépris de toutes les règles du commerce international. Bien que les pouvoirs publics aient pris conscience des enjeux de compétitivité en adoptant bon nombre de mesures incitatives, nous attendons avec impatience de voir ce que le Pacte de responsabilité va permettre en termes d’amélioration de notre capacité à produire en France et exporter hors de France.
Je ne serais pas complet si j’omettais d’évoquer la question monétaire. Notre industrie produit en euros et vend en dollars. Nous avons réussi jusqu’à présent à contrecarrer cet effet, en payant très cher des couvertures financières contre le différentiel monétaire. Selon nos estimations, une hausse de 10 centimes de l’euro a pour conséquence une perte moyenne pour la profession de 2 % de marge sur le chiffre d’affaires.
La concurrence est de plus en plus forte, et ne vient plus seulement des États-Unis, mais aussi d’autres pays tels que le Canada, ou de pays émergents comme la Chine ou le Brésil, pour ne citer qu’eux. Le duopole Boeing-Airbus qui a caractérisé le marché depuis les années 1980 est derrière nous, ce qui nous oblige à investir dans l’innovation si nous voulons rester devant – ce qui passe par un soutien à la R
M. le président. La parole est à M. le maître de conférences à l’université Paris XIII.
M. Frédéric Boccara, maître de conférences à l’université Paris XIII. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie d’avoir organisé ce débat sur la situation de l’aéronautique française et d’avoir bien voulu m’auditionner. Je suis économiste à l’université de Paris XIII, et mon intervention se composera de trois parties. J’évoquerai d’abord les enjeux en exposant un schéma d’analyse, avant d’établir un état des lieux chiffré et d’en venir, enfin, à des questions portant sur l’avenir – comme on le sait, les décisions prises aujourd’hui peuvent avoir de très lourdes conséquences dans l’avenir.
Nous ne devons pas perdre de vue le fait que les entreprises représentent un élément majeur non seulement en termes de création de richesse, de développement de l’emploi et des territoires, mais aussi en matière de développement des technologies, notamment par leur rôle au sein du tissu industriel. En parallèle, elles sont aussi le facteur d’une maîtrise sociale de la réponse aux différents besoins d’une économie. Quand on dispose de la liberté d’orientation technologique, on maîtrise plus facilement ses choix en la matière. De ce point de vue, l’industrie aéronautique et spatiale est particulièrement décisive.
La création de richesse ne s’apprécie pas par les ventes, mais par la valeur ajoutée, autrement dit par tout ce qui est créé une fois défalqués les coûts « externes » – j’emploie ce terme entre guillemets.
Il s’agit de connaître cette valeur ajoutée, qui ne doit pas être réalisée à n’importe quel coût.
Un capital est avancé, constitué non seulement d’équipements mais aussi de l’argent, des avances financières.
Excusez-moi ce détour par la théorie économique mais il faut bien comprendre ce qui est en jeu : aujourd’hui, on nomme n’importe quoi « valeur ajoutée ». On parle ainsi de valeur actionnariale, alors que l’actionnariat ne crée pas de valeur.
C’est cette valeur ajoutée créée qui permet de verser les salaires et d’assurer la protection sociale, les services publics et le développement de la filière, à travers le tissu économique, le développement territorial et l’emploi.
On a parlé du contexte de la filière, dans la mondialisation : c’est en réalité un double contexte, financier et technologique, dont il s’agit.
On constate tout d’abord une financiarisation accrue et une fluidité des paiements : les choses peuvent se faire en un lieu et les paiements en un autre lieu. À titre d’exemple, EADS était constitué sous forme d’un GIE : ce n’est pas le capital qui possédait la société et ce n’est pas en fonction du capital que l’on y distribuait les revenus.
Il faut aussi évoquer le contexte technologique, avec l’information, les brevets – ou du moins ce qui est considéré comme tel dans la vie des affaires – les programmes et toutes les innovations permettant d’être en même temps ici et là – les juristes vont jusqu’à parler d’ubiquité – et d’être utilisées globalement.
On a donc, d’un côté, des activités délocalisées, présentes à différents endroits, voire multilocalisées et, de l’autre, des résultats – c’est cela qui est nouveau – pouvant être globalisés et se situer en dehors du lieu de production. Les résultats sont globalisés, essentiellement, par le fruit du contrôle financier, mais ce dernier masque des outils, tels les prix de transfert – plutôt sous domination marchande – et des règles de partage qui, quoiqu’en recul ou peu transparentes, conservent une place importante dans la filière dont nous parlons.
Les résultats de ces activités peuvent être des revenus, des produits ou des technologies disponibles globalement, éventuellement en dehors des lieux de production, même si l’on sait où se trouvent les centres de recherche et l’activité d’assemblage ou de production. En fonction des rendements, des entreprises vont décider de relocaliser au même endroit, ou ailleurs : sans parler nécessairement de délocalisations, il y a là tout un puzzle.
Si le financement, par exemple des aides à la recherche-développement, est localisé, leur utilisation peut se situer en de nombreux endroits ; si le produit est réalisé ailleurs, il peut même être réimporté et payé comme tel. La richesse est créée en un lieu mais, par le jeu des transferts, des opérations se déroulent en un lieu différent. Là où nous employons le terme de « siphonnage », les économistes américains du National Bureau of Economic Research – on ne peut pas ne pas les citer – parlent de « tunnelling » : voilà qui est très clair.
Deux aspects de ce système coexistent : d’une part, la mondialisation, absolument nécessaire, qui implique une nouvelle efficacité, un partage, une mise en commun des approches et des compétences ; d’autre part, une logique de valorisation des capitaux, consistant, entre autres, à échapper à l’assiette de l’impôt et à délocaliser. Tous ces éléments sont plus ou moins présents selon les secteurs, mais on ne peut pas dire que l’aéronautique n’y est pas soumise, d’autant plus que l’on y constate une montée énorme de la propriété financière : à titre d’exemple – je n’ai pas analysé chacune des entreprises du secteur –, le capital flottant du groupe Airbus dépasse à présent 70 %.
Les économistes développent la notion de valeur ajoutée, et parfois de valeur ajoutée disponible pour une population et un territoire : c’est bien cela qui intéresse au premier titre la représentation parlementaire ; c’est du moins l’un des éléments quantitatifs – il est également des éléments qualitatifs, comme les technologies – susceptibles de l’intéresser particulièrement.
À titre d’exemple, on peut connaître un excédent d’exportation de marchandises, de produits matériels – c’est bien le cas, comme chacun le sait, de la filière aéronautique. Mais des services associés sont comptabilisés ailleurs et peuvent se traduire par un résultat inverse, tels les paiements d’utilisation informationnelle ou des paiements financiers de toute sorte. Enfin, les revenus servis peuvent encore être enregistrés ailleurs.
On a donc besoin d’un bilan global, mais aussi d’un bilan situé à l’articulation de l’ensemble de la filière et du territoire, sans se contenter de chiffres partiels.
Cela m’amène à mon deuxième point : l’état des lieux chiffré. Il est difficile d’analyser les comptes des entreprises du secteur, car la plupart d’entre elles, sauf, me semble-t-il, SAFRAN ou sa filiale SNECMA – je ne sais plus qui de la filiale ou du groupe est concerné – ne publient pas leur valeur ajoutée, ce qui est assez choquant.
On connaît seulement le revenu et le chiffre d’affaires, mais la valeur ajoutée n’existe pas. Les entreprises ne publient pas non plus les données relatives à l’articulation avec les territoires. Par ailleurs, il est difficile d’avoir une vision sur moyenne période : les données portent sur un an, deux ans ou, au mieux, trois ans, en recourant au pro forma. Il est donc ardu de comprendre ce qui se passe, de mesurer l’efficacité, de savoir comment se projeter. Or, l’enjeu consiste à « jouer la gagne », pour les territoires, les populations, l’avenir et le développement économique, social et environnemental.
J’ai consulté les chiffres de l’INSEE, qui présente la particularité de travailler branche par branche, ce qui a pour inconvénient de le soumettre à un certain secret. En particulier, la division 35 porte sur la « fabrication d’autres matériels de transport », qui ne concerne pas seulement l’aéronautique, mais également, par exemple, la construction navale et la construction de matériel ferroviaire – il faudrait revoir ce découpage. Le périmètre du chiffre d’affaires indiqué par l’INSEE – 47,9 milliards – est très proche de celui indiqué par le GIFAS – 53 milliards. On constate par ailleurs une forte croissance en volume, déconnectée du reste de l’économie : selon l’INSEE, le chiffre d’affaires a progressé de 16 % en quatre ans et de 62 % en volume – soit en euros constants – en douze à treize ans, ce qui est énorme.
Mais qu’en est-il de la valeur ajoutée ? Avec le développement de la sous-traitance et des délocalisations, on ne sait pas. Le GIFAS ne nous communique malheureusement pas l’information, que j’aurais consultée avec intérêt, d’autant plus qu’elle aurait dû définir, en toute transparence, le périmètre concerné.
L’INSEE nous donne une idée de la valeur ajoutée qui, étonnamment, recule ou est stable : de 1999 à 2012, elle baisse de 2 % ; depuis 2008, elle augmente de 2 %. Cela peut s’expliquer par des problèmes comptables, mais une interrogation demeure : on a plus 20 ou 60 pour le chiffre d’affaires et 0 ou epsilon pour la valeur ajoutée. C’est donc là, je le répète, une source d’interrogation.
Quant à l’emploi, dont vous nous avez indiqué l’évolution depuis un ou deux ans, il est en baisse de 6 % depuis 2008 et de 7 % depuis 1999 : peut-être ne s’agit-il pas du même périmètre, mais on est également en droit de s’interroger. Je pense qu’il est nécessaire de recoller les morceaux, y compris pour une meilleure articulation avec la puissance publique et une mobilisation plus efficace de la filière.
Pour résumer, la production augmente fortement et les salariés sont pressurés : en effet, si l’on met bout à bout l’évolution de l’emploi et celle de la valeur ajoutée, la productivité du travail s’est accrue de 70 % en quinze ans, ou de 20 % en cinq ans. Parallèlement, la valeur ajoutée – quoique considérable – ne s’accroît pratiquement pas.
Peut-être l’INSEE a-t-il tort ? Il faut en tout cas approfondir nos connaissances avec des chiffres clairs, transparents, exhaustifs, comprenant les différents aspects et pas seulement des bribes.
Par ailleurs, il faut mesurer la valeur ajoutée disponible pour le territoire : en effet, une fois la valeur ajoutée produite, il faut prendre en compte les revenus servis, entre autres, aux actionnaires extérieurs, les sous-traitants, les délocalisations et les prix de transfert, sur lesquels on a peu de visibilité.
On a donc besoin d’un bilan relatif à l’argent, à l’emploi, à la richesse créée et à la valeur ajoutée disponible, dans le cadre d’une articulation entre la France et le monde. Il ne s’agit pas de comparer les Français et les étrangers et d’établir je ne sais quel classement mais d’avoir une vision globale. Même si je ne suis pas un spécialiste de la question, il me semble que, dans l’aéronautique comme ailleurs, on a besoin de tableaux de bord, et on y a d’ailleurs recours, me semble-t-il.
Cela m’amène à mon troisième point, consacré à l’avenir, aux coûts et à l’efficacité. La réflexion sur l’avenir, la maîtrise et l’efficacité doit être menée de concert : dans la maîtrise figure la question des moyens financiers – dont nous sommes tous soucieux – susceptibles de favoriser le développement.
Mieux vaut nommer les choses pour s’en prémunir plutôt que de ne pas oser les prononcer : « éclairer les peuples libres, c’est réveiller leur courage. » La prédation financière possible, comme l’attestent les 70 ou 72 % de capital flottant dans le groupe Airbus, ou le fonctionnement des prix de transfert, qui n’est pas clair, posent des questions.
Enfin, il faut se pencher sur l’efficacité, c’est-à-dire sur la relation entre l’avance fournie et les résultats obtenus. Là encore, des questions se posent.
S’agissant des recherches menées, j’ai moi aussi découvert, sur le site de la SNECMA, ces ailerons tissés, au sujet desquels la recherche a eu lieu en grande partie en France mais qui ont été produits ailleurs : on se trouve typiquement dans la configuration où l’on supporte les coûts en France et où l’on perçoit les richesses ailleurs.
On peut se demander où va cette valeur ajoutée, alors que l’on annonce la disparition de 5 800 emplois et que le groupe Airbus a acheté une banque, la Salzbourg Munich : comme on peut le lire dans la presse, il ne s’agit pas, par cette dernière opération, de financer les avances aux clients de la société mais de l’utiliser comme une banque traditionnelle, faire appel à la BCE et placer la trésorerie. On peut toutefois s’interroger : quelle transparence y aura-t-il, notamment concernant les prix de transfert ? Toutes ces questions méritent que l’on y réponde, non pas pour noter et juger la filière, mais pour identifier les problèmes et y apporter des solutions.
On peut noter qu’en deux ans, le chiffre d’affaires d’EADS a progressé de 5 %, tandis que les dividendes se sont accrus de 25 %.
Il est enfin nécessaire de dresser le bilan de l’activité publique et des moyens publics mis à disposition et utilisés, tant les outils financiers – pas uniquement les avances mais, plus généralement, tous les outils financiers permettant de baisser d’autres coûts et de déplacer les contraintes affectant la filière – que les outils démocratiques qui permettent l’élaboration régulière et transparente des objectifs.
M. le président. La parole est à M. le responsable de la filière aéronautique et spatiale de la Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT.
M. Jean-Jacques Desvignes, responsable de la filière aéronautique et spatiale de la Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT. Mesdames, messieurs les députés, non sans vous avoir remerciés, je vais vous exposer une vision syndicale de ce que l’on vit dans les entreprises de l’aéronautique, en revenant quelque peu sur le passé.
C’est une conception ambitieuse du rôle et de la place de la France dans le monde, autour d’un important secteur nationalisé, qui a fait la grandeur de notre industrie aéronautique, telle que nous la connaissons aujourd’hui. La maîtrise de l’air et de l’espace est un élément déterminant de l’indépendance de la France en matière de défense et de sécurité.
Les grands programmes actuels – tels qu’Ariane, les satellites, Airbus, les hélicoptères, le Rafale, le Falcon, les moteurs CFM et les calculateurs de bord – sont directement issus de ces choix politiques et de la mobilisation des salariés pour soutenir ces projets innovants.
La France est ainsi devenue l’un des rares pays au monde à maîtriser, dans les secteurs civil comme militaire, l’ensemble des secteurs de la filière aéronautique et spatiale, qu’il s’agisse de la recherche, des études, de la production, de la maintenance et même de la déconstruction.
Cela a été obtenu, notamment, grâce à des luttes qui ont fait longtemps de cette filière une référence en matière salariale, de formation et de progrès social.
Toutefois, on connaît aujourd’hui une rupture. Les engagements successifs des pouvoirs publics concernant des sociétés majeures ont porté un coup aux perspectives d’avenir à long terme de la filière aéronautique et spatiale, en la plaçant sous la domination de critères financiers. Dernièrement, les retraits de l’État du capital d’Airbus Group ou de Safran donnent encore plus de poids à un actionnariat flottant – 74 % pour Airbus Group et 63 % pour Safran.
À ce titre, il n’aura pas fallu beaucoup de temps à celui qui se vante d’être à la tête d’une « entreprise normale » – dixit M. Thomas Anders, à la tête d’Airbus Group – pour annoncer 5 800 suppressions d’emplois au sein de son groupe et chez les sous-traitants, pour atteindre un retour sur investissement de 10 %, afin de satisfaire les actionnaires.
Poursuivre cette vision et accepter ce type de décision affaiblirait durablement l’avenir d’une filière industrielle qui a besoin en permanence d’innovation, de risque et d’investissements pour réussir demain. Cette conception d’un type « entreprise normale » serait-elle devenue la référence pour l’industrie en France ? Est-ce ainsi que l’on peut agir pour son redressement ?
Les estimations de croissance annuelle du trafic aérien de 5 % d’ici 2032 se vérifient, ce qui augmenterait le besoin de fabrication de plus de 30 000 appareils. Chaque année, le record de commandes et de livraisons bouscule le record de l’année précédente. Airbus et Boeing atteignent un carnet de commandes cumulées de plus de 10 000 appareils et leur cadence de livraisons annuelle tourne autour de 1 200. On produit en France des Airbus mais aussi des éléments et des équipements pour Boeing.
Aucune autre industrie ne peut prétendre occuper une telle place. Pourtant, de nombreux indicateurs témoignent du manque d’efficacité de cette industrie et ce constat inquiétant nous pousse à nous interroger quant à son avenir. Au nom de la compétitivité et de la rentabilité, l’activité est de plus en plus externalisée vers des pays à moins-disant social comme le Maroc, la Tunisie, le Mexique, la Pologne et bien d’autres. Ces transferts se traduisent par des pertes de maîtrise, de savoir-faire et participent largement à la hausse du chômage dans notre pays.
D’autre part, dans ces pays où persistent un manque de formation qualifiante et des conditions sociales dégradées, la qualité du travail rendu oblige souvent à des reprises de fabrication ou d’études, le plus généralement imputées sur les coûts de production en France, auxquels s’ajoute un coût environnemental inconsidéré, du fait du transport des éléments fabriqués.
Les objectifs doivent être clairement définis pour accroître nos potentiels d’études et de production industrielle en France, aider à la formation qualifiante et soutenir les créations d’emplois. Nous devons également obtenir des garanties et des engagements des donneurs d’ordres pour assurer à toute la chaîne d’approvisionnement des charges de travail sur le long terme. C’est pourquoi il nous paraît nécessaire de mettre en place autour d’une filière des comités interentreprises afin que puissent se rencontrer les représentants des employeurs, des salariés, ceux des régions, les donneurs d’ordres, les sous-traitants, dans un bassin d’emploi ou une région.
Il faut aussi établir une même démarche de responsabilité sociale des employeurs hors de l’Hexagone pour exiger que soient mises en œuvre les normes fondamentales internationales définies par l’OIT garantissant la liberté d’association syndicale, la reconnaissance effective du droit de négociation collective, l’élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire, l’abolition du travail des enfants, l’élimination de la discrimination en matière d’emploi. Vous aurez compris que mes propos concernent essentiellement les entreprises qui se développent dans les pays à moins-disant social.
S’agissant des conditions de travail, en France ou ailleurs, l’organisation du type Lean est imposée comme étant la référence incontournable. Sous couvert de mieux produire, mieux étudier ou mieux manager, il s’agit en réalité de gagner en productivité, même si c’est au détriment des femmes et des hommes au travail et d’une véritable efficacité de l’organisation du travail.
À cela s’ajoute le recours massif et abusif aux emplois intérimaires, alors que les charges de travail sont durables et ouvrent de véritables opportunités d’embauches en CDI. Le GIFAS annonçait 10 000 emplois intérimaires en 2012, ce qui représente une progression de 30 %. Voici l’un des aspects de la précarité alors que nous avons des carnets de commandes pour les sept à dix prochaines années ! Quant aux heures supplémentaires comptabilisées, elles se chiffrent en centaines de milliers, alors que la plus grande majorité ne sont pas visibles du fait des forfaits jours chez les ingénieurs et les cadres ou des phénomènes d’écrêtages des heures supplémentaires pour les mensuels. Cette situation conduit à des pertes de qualité du travail. Le bilan général d’une telle organisation du travail témoigne d’une affligeante inefficacité industrielle et sociale.
Au niveau de l’emploi, ces facteurs d’inefficacité se sont aggravés depuis quelques années suite à l’alourdissement des charges de travail dans l’industrie aérospatiale et des embauches en inadéquation avec les besoins. Dans le simple périmètre du GIFAS, pour un effectif actuel de 177 000 salariés, les embauches annuelles sont de 15 000 depuis trois années consécutives et ne sont pas à la hauteur des besoins compte tenu de la croissance des charges et de la pyramide des âges.
La CGT a évalué le besoin réel d’embauches à 150 000 dans les cinq ans pour véritablement relever le défi d’honorer les plans de charges dans les meilleurs délais, livrer des produits de qualité en travaillant dans de bonnes conditions de travail, assurer la transmission intergénérationnelle des savoir-faire, investir dans des temps de formation qualifiante et engager de nouveaux projets innovants, ce qui exige des équipes qualifiées et pérennes à tous les niveaux.
Une enquête parlementaire permettrait, là encore, de dresser un état des lieux, au sein de la filière, des conditions de travail et de l’emploi. Des orientations pourraient être ainsi définies dans un souci de répondre aux besoins du pays.
J’en viens aux programmes. Les choix d’Airbus Group de geler les programmes futurs, de supprimer 5 800 emplois au niveau européen et plus de 3 000 emplois de sous-traitance dans l’engineering en Midi-Pyrénées, de se séparer de sites et d’activités pour se concentrer sur l’objectif de 10 % de profitabilité annoncé par la direction, sont de véritables coups de poignards portés à l’encontre de la capacité industrielle de l’Europe à répondre aux besoins de demain mais également à participer au plein emploi, sachant qu’Airbus Group est l’élément déterminant de toute la filière aéronautique et spatiale en Europe.
C’est ainsi que l’on arrive à cette situation où, soucieux du retour sur investissement, le patron d’Airbus Group « ne partage pas la fascination des ingénieurs pour les grands éléphants blancs technologiques, préférant des projets moins innovants, moins risqués et moins coûteux » comme le relève le journal Les Echos. Avec ce type de raisonnement qui privilégie le court terme, le risque est grave de faire l’impasse sur l’exigence de répondre à temps aux nouveaux besoins en anticipant les grandes innovations et les ruptures technologiques.
Pourtant des programmes majeurs sont à lancer comme un avion régional 90 places, le remplacement de l’avion qui sert à transporter les pièces des Airbus, le Béluga, le lancement de l’A320 NSR, nouvelle génération d’A320 avec un saut technologique, un nouvel A380 EX, une plate-forme satellite télécom et bien d’autres programmes.
S’agissant du secteur spatial en Europe, nous devons faire face à deux enjeux, celui des lanceurs et celui des satellites. Le premier s’appuie sur deux lanceurs de fabrication européenne, ARIANE 5 et VEGA, mais il est nécessaire aujourd’hui de développer deux autres types de lanceurs : ARIANE 5 ME – gamme douze tonnes – et ARIANE 6 – gamme six tonnes. Les décisions gouvernementales de lancement des études ont été prises. Néanmoins, ces études devront suivre un long chemin où devront être arrêtés des choix technologiques importants susceptibles d’affecter l’avenir d’activités et de sites comme, en France, celui de Vernon, qui appartient au groupe SAFRAN, pour les moteurs propulsion liquide.
Concernant les satellites, nous vous alertons quant à la fragilisation de ce secteur par la réorganisation entreprise dans Airbus Group alors même que viennent d’être tracés, au sein de COSPACE, des axes de travail pour répondre aux besoins qui s’expriment dans le monde. Le dépeçage de la société italienne AVIO nous pose également question.
Compte tenu de l’implication de plusieurs pays et des financements publics, les États ont un rôle essentiel à jouer dans le déroulement de ces programmes.
Bien évidemment la question des financements des programmes est majeure, compte tenu de leurs coûts. Le retard pris par la filière française de l’automobile à investir dans les concepts de véhicules hybrides et électriques est révélateur des dangers de ces choix opérés sous l’emprise des exigences prioritaires de retour financier.
La recherche et le développement correspondent en 2012, selon le GIFAS, à 13,9 % du chiffre d’affaires dont 60 % est autofinancé. Les grands donneurs d’ordres de la filière, pilotes des grands programmes, ne ménagent pas leurs efforts dans la chasse aux fonds publics tels que le crédit impôt recherche, le crédit impôt compétitivité emploi, ou les fonds régionaux.
Un examen approfondi de l’utilisation de ces fonds publics est nécessaire afin qu’ils servent efficacement au développement industriel en France au travers de véritables plans d’embauches en contrat CDI, plans de formation, amélioration des conditions de travail.
Voici quelques éléments où la requête d’une enquête parlementaire trouve toute sa justification aujourd’hui au regard de la dérive que prennent les orientations des grands donneurs d’ordres de la filière.
Il est également nécessaire de réfléchir à une politique de développement industriel qui réponde aux besoins sociaux mais permette également un développement maîtrisé des territoires, en dehors de toute mise en concurrence entre régions.
Pour toutes ces raisons, une enquête parlementaire serait un outil utile pour le pays. La définition d’une politique industrielle de l’aéronautique et du spatial pour notre pays est une demande récurrente des syndicats. Elle permettrait de définir un cap commun avec des pouvoirs publics en fixant des objectifs industriels, sociaux, d’emploi, de formation et de développement des territoires répondant aux besoins de la nation.
M. le président. Nous en venons aux questions dont la durée est de deux minutes, ainsi que celle des réponses.
La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, à l’initiative de ce débat.
M. André Chassaigne. Je remercie les différents intervenants qui ont ouvert cette table ronde, dont je regrette qu’elle soit aussi brève. Ce premier échange s’inscrit en effet dans la continuité de notre demande d’une commission d’enquête parlementaire relative à l’aéronautique. Nous avons souhaité que se tienne cette première table ronde avant un débat avec le ministre, afin d’éclaircir les questions qui se posent.
Je voudrais, pour ma part, aborder celle de l’évolution des effectifs. Le responsable syndical qui vient de s’exprimer l’a évoquée, en regrettant le nombre élevé d’emplois intérimaires alors que les charges de travail, réelles et pérennes, permettraient de mener une politique de recrutement différente. Des interrogations ont également émergé quant à l’efficacité de la gestion actuelle : est-elle orientée en faveur de l’emploi, du développement ou pour alimenter les marchés financiers ?
Vous êtes sans doute soumis à des choix pour répondre à ces différentes questions. J’aimerais que vous puissiez nous fournir quelques indications, en lien avec l’évolution des qualifications au sein de l’entreprise. L’on dit que ce sont essentiellement les personnes occupant les emplois les plus élevés qui bénéficient de formations.
Quant à la grille des rémunérations, pensez-vous que le coût du travail représente un obstacle au développement de l’entreprise ? Pourriez-vous nous citer des exemples où le coût du travail a pu freiner le développement ?
M. le président. La parole est à M. le directeur général délégué du groupe Airbus et président du groupement des industries aéronautiques et spatiales.
M. Marwan Lahoud, directeur général délégué du groupe Airbus et président du groupement des industries aéronautiques et spatiales. Je tiens à votre disposition un certain nombre de graphiques. On parle de 15 000 emplois créés par an entre 2008 et 2013, de 82 % de contrats à durée indéterminée, de 18 % de contrats à durée déterminée, auxquels s’ajoutent des intérimaires. Pourquoi des intérimaires ? Parce que nous avons connu des époques – M. Desvignes s’en souvient – où, selon le fameux cycle de l’aéronautique que nous redoutons toujours, nous n’avions pas autant de commandes, voire où nous déplorions des commandes négatives, c’est-à-dire des annulations. Je parle bien évidemment des années 1990. Elles sont bien loin mais n’oubliez pas ce que je vous ai dit à propos du cycle. Le souci de maintenir une certaine flexibilité est toujours présent mais l’on retrouve tout de même une très grande majorité de contrats à durée indéterminée parmi les 15 000 emplois évoqués.
Concernant la formation, tout le spectre est représenté mais il nous manque aujourd’hui davantage de techniciens et d’ouvriers qualifiés que d’ingénieurs. Ce sont eux que nous recherchons. Il est plus difficile de trouver un chaudronnier qualifié qu’un ingénieur en logiciel.
Je conclurai en précisant que, pour 5 800 postes supprimés en Europe – dont 1 200 en France –, sur une période de trois ans, le groupe a, dans le même temps, recruté entre 2 000 et 3 000 personnes par an. Le solde net est donc positif. Il se trouve que les suppressions de postes touchent le pôle défense et espace et pas le civil. En effet, la mobilité géographique et fonctionnelle ne permet pas de transférer tous les postes d’un secteur à l’autre. Voilà l’explication des suppressions de postes.
La parole est à Mme Marie-George Buffet.
Mme Marie-George Buffet. Vous avez insisté, monsieur Lahoud, sur la haute technologie et sur la qualification nécessaire des salariés de la filière. Quel regard portez-vous donc sur la formation dans la filière professionnelle et technologique en France ? Quels seraient les efforts à faire, au niveau de l’éducation nationale, pour permettre à des jeunes d’acquérir les qualifications nécessaires pour entrer dans la filière aéronautique ? Où en est votre projet de centre de formation sur la base de Dugny-Le Bourget, actuellement en construction ? Quels objectifs vous fixez-vous s’agissant de ce centre de formation ?
Par ailleurs, vous avez beaucoup insisté sur le partenariat avec l’État, allant même jusqu’à parler de co-investissements. Tout à l’heure, nous entendrons d’ailleurs M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. Qu’attendez-vous de l’État et de ses administrateurs en matière d’orientation de la filière, de perspectives de développement et de choix stratégiques ?
Enfin, vous avez dit que la filière est solidaire. Quelles sont vos exigences envers vos partenaires, dans des pays comme la Tunisie et le Maroc, s’agissant des droits syndicaux et des conditions sociales des salariés ?
M. le président. La parole est à M. le directeur général délégué du groupe Airbus et président du groupement des industries aéronautiques et spatiales.
M. Marwan Lahoud, directeur général délégué du groupe Airbus et président du groupement des industries aéronautiques et spatiales. Pour répondre en une phrase, si tant est que ce soit possible, à votre question sur la formation, je vous dirai qu’au royaume des aveugles, les borgnes sont rois. En effet, par comparaison avec d’autres pays d’Europe – par exemple l’Allemagne et le Royaume-Uni –, nous avons la chance d’avoir encore, en France, des formations permettant de trouver un tout petit peu plus de personnel qualifié qu’ailleurs, et ce à tous les niveaux. Une fois encore, je parle naturellement des techniciens et des ouvriers qualifiés, pas des ingénieurs.
Néanmoins, la dynamique est inquiétante, car nous observons bel et bien une régression : en quinze ans, les choses se sont beaucoup dégradées. Nous avons pris des initiatives, en partenariat avec l’éducation nationale, et nous comptons en prendre d’autres, avec ou sans elle.
Vous évoquiez le site de Dugny. Nous allons effectivement avancer dans ce sens, car nous ne pouvons pas nous contenter de ce que nous fournissent actuellement les outils de formation ; nous devons prendre notre destin en main.
S’agissant des investissements, le ministère des transports a toujours été un soutien très actif de la filière aéronautique. Nous sommes donc solidaires du ministère dans sa quête quotidienne de financements. Nous essayons par tous les moyens de trouver les meilleures approches permettant d’expliquer qu’il s’agit là d’une bonne dépense publique : c’est un bon investissement, avec un retour pour l’État, même si l’idée d’un retour sur investissement peut prêter à sourire.
Enfin, s’agissant de la Tunisie ou du Maroc et, plus généralement, de la relocalisation, je suis, pour ma part, extrêmement dubitatif quant à l’efficacité de telles implantations. Il ne faut pas se précipiter ; il faut y aller avec beaucoup de discernement, car, comme vous l’avez dit, de nombreux points posent problème.
Nous en venons maintenant à la séquence des questions-réponses.
Je vous rappelle que le temps de parole est limité à deux minutes, pour les questions comme pour les réponses.
La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Monsieur le secrétaire d’État, je voudrais vous interroger sur le changement qui est intervenu dans la gouvernance du groupe Airbus.
Depuis sa création en 2000, EADS était détenu à environ 22,5 % par des actionnaires français. L’État français et le groupe Lagardère détenaient 15 % des parts environ, le groupe allemand Daimler 22,5 %, l’État espagnol 5,5 %, le capital flottant étant légèrement inférieur à 50 %.
L’État français conservait un pouvoir sur la stratégie du groupe : il désignait une partie des membres du conseil d’administration et disposait d’un droit de veto sur les décisions stratégiques. Avec la renégociation de ce pacte, le poids de la France dans le groupe s’est considérablement effrité depuis mars 2013. Désormais, l’Allemagne est partie prenante de cette gouvernance. La France a entériné une réduction de sa participation, qui est passée de 15 % à 12 %, et a consenti à l’abandon de ses prérogatives historiques. L’État français ne dispose plus désormais ni du droit de veto sur les décisions stratégiques du groupe ni d’un pouvoir de désignation de membres du conseil d’administration. C’est indéniablement une perte de souveraineté sur un outil industriel.
D’ailleurs, les premières conséquences se sont manifestées récemment. Berlin a suspendu un prêt de 600 millions d’euros destiné au développement de l’A350 pour exiger la localisation outre-Rhin d’activités de production de l’appareil au motif d’une parité des partitions française et allemande dans le capital du groupe. Le capital flottant est passé de 49 % à 72 %, avec tout ce que cela implique quant au poids des marchés sur les évolutions stratégiques de l’entreprise.
Je vous poserai donc une question et plusieurs sous-questions, monsieur le secrétaire d’État : quels sont les outils spécifiques dont la France est dotée pour contrer toute éventualité de mainmise des marchés sur les choix industriels du groupe Airbus et sauvegarder la pérennité de l’emploi au sein du groupe et de l’outil productif sur le territoire national ? Plus précisément, de quels moyens disposez-vous pour empêcher les siphonnages financiers, et ceux, tout aussi néfastes, des technologies ? Comment s’exerce le suivi dans ce domaine ? Quels moyens sont mis en place ? Ces engagements ne sont pas respectés. Quels sont les mandats – vous avez d’ailleurs conclu votre intervention sur ce sujet, monsieur le secrétaire d’État – des administrateurs représentant l’État, le cas échéant, et comment rendent-ils compte ? En d’autres termes, quels sont les outils que l’État a prévus pour jouer son rôle auprès de cette filière ?
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Je tâcherai donc d’être bref, bien que le sujet soit complexe.
Il ne me paraît pas pertinent de retracer l’évolution de la gouvernance du groupe Airbus, ex-EADS, en remontant à l’époque où l’État français et Lagardère disposaient d’une représentation à parité. Ce qui est certain, c’est que la constitution d’un nouveau concert détenant moins de 30 % du capital d’EADS permettait de maintenir l’influence de l’État français et de protéger l’ensemble de ses intérêts stratégiques au sein du groupe en évitant le lancement d’une offre publique d’achat hostile. La position de la France par rapport à l’Allemagne ne s’est donc pas affaiblie dans la nouvelle gouvernance.
Je rappelle tout de même que le droit de veto pour les actionnaires qui détiennent plus de 30 % des parts n’a jamais été exercé ; il demeure néanmoins plus utile de disposer de cette arme que de ne pas en disposer.
Le nouveau pacte a préservé les équilibres existants tout en permettant à l’État de reconstituer un dispositif de contrôle grâce auquel il conserve de manière pérenne tous les droits particuliers sur les activités du groupe, notamment en matière de dissuasion. Il répond donc bien à la nécessité de constituer une holding française rassemblant les actifs stratégiques sur lesquels l’État français souhaitait conserver des droits de contrôle.
Par conséquent, la nouvelle gouvernance n’ouvre pas la voie à une prise de contrôle étrangère du groupe. Au contraire, le dispositif est sécurisant, puisqu’il prémunit contre les OPA : aucun actionnaire sauf la France, l’Allemagne et l’Espagne ne peuvent détenir plus de 15 % des droits de vote. La nouvelle gouvernance est donc assortie de garanties pour le nouveau concert, et ce sans conséquence en termes de perte d’influence.
La parole est à Mme Marie-George Buffet.
Mme Marie-George Buffet. Le groupe Airbus a tout récemment décidé d’acheter une banque de droit allemand située à Munich. De quelles informations le Gouvernement dispose-t-il sur les activités de cette banque et les relations qu’elle entretient avec le groupe, et la transparence existe-t-elle en la matière ?
D’autre part, si le siège du groupe est installé à Toulouse, la direction financière ainsi que le contrôle de gestion – activité en première ligne pour ce qui concerne l’établissement des coûts de transferts financiers d’un pays à l’autre, et ce sans grand contrôle – demeurent à Munich. Qu’en pense le Gouvernement ?
Enfin, la filière s’est émue de la possibilité que le budget de la défense connaisse une nouvelle baisse. Il a été confirmé par plusieurs interventions que ce budget serait préservé : cette décision est-elle toujours d’actualité dans le contexte actuel de nouvelles baisses d’impôts ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Sur ce dernier point, je ne contredirai naturellement pas le Premier ministre, bien au contraire : je me ferai le relais de ses propos – même si le volet militaire ne relève pas de mon ministère, qui est compétent en matière d’aéronautique civile tandis que le ministère de la recherche se charge du secteur spatial et celui de la défense, par définition, du secteur militaire. Je ne puis donc que confirmer les propos de M. le Premier ministre quant à la nécessité de préserver à son niveau le budget de la défense.
S’agissant de votre première question, je précise que ce qui a incité le groupe Airbus à faire l’acquisition d’une banque est son souhait de disposer d’un outil bancaire à son service, notamment parce que la construction d’un avion requiert le paiement d’acomptes considérables. Plutôt que d’en faire profiter des banques extérieures, le groupe Airbus a voulu se doter de son propre instrument bancaire : voilà pour le principe.
Je ne dispose pas d’autres précisions concernant les activités de cette banque et la transparence qui les entoure. L’intérêt d’une rencontre comme celle-ci tient justement à ce que les parlementaires appellent l’attention du Gouvernement sur de telles questions car, même si celle-ci est interne au groupe Airbus, l’État est tout de même acteur. J’ai d’ailleurs répondu à M. Chassaigne pour le rassurer quant à la présence vigilante des États.
Sur le principe, cette décision se comprend : compte tenu des masses financières en jeu, autant disposer d’un instrument bancaire qui permet de bénéficier de conditions optimisées. Même si le métier d’un avionneur ne consiste pas, en effet, à gérer une banque, elle peut avoir son utilité.
La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Le débat porte essentiellement sur l’industrie aéronautique. Cela étant, je profite de la présence de M. le secrétaire d’État chargé des transports pour évoquer plus généralement la question du transport aérien.
Selon la presse spécialisée, le vice-président de l’entreprise SNC-Lavalin a déclaré récemment : « Tout l’enjeu est de créer des conditions favorables au développement des compagnies low-cost sur nos aéroports, ce que nous faisons en réduisant les coûts d’exploitation, tout en maintenant la qualité de service et en assurant un temps de rotation court ».
J’ai lu plus récemment dans AirCosmos : « Les aéroports se doivent d’être compétitifs pour accueillir les compagnies low-cost, ce qui suppose de maîtriser un bas niveau de redevances, une structure de coûts peu élevés, voire de revoir à la baisse les investissements, ce qui peut poser des problèmes à l’avenir en termes d’infrastructures. Il y aura une baisse de 7 milliards d’euros des investissements entre 2011 et 2016. »
Enfin, je lis dans une étude que« 12 % de la demande exprimée ne pourra être satisfaite à cause des capacités aéroportuaires ».
Parallèlement, monsieur le secrétaire d’État, tout le monde a en tête les suspicions existant à l’encontre de certaines compagnies low-cost, s’agissant notamment des économies de carburant.
Monsieur le secrétaire d’État, comment voyez-vous l’avenir du transport aérien, s’agissant notamment des compagnies low-cost ? Ne pensez-vous pas que la représentation nationale pourrait se saisir de cette question pour définir une politique du transport aérien en lien avec l’industrie aéronautique, une politique qui réponde aux besoins quantitatifs et qualitatifs, tout en rétablissant la primauté de l’intérêt collectif et des services publics ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Le fléau du dumping dans les transports en général fragilise le pavillon français. Concernant notre politique contre le dumping social, j’ai pris des initiatives au niveau européen tant dans le transport routier que dans le domaine maritime. Face à la concurrence dans le transport aérien, il est nécessaire d’être extrêmement exigeants et vigilants. Je n’ai cessé de le rappeler au commissaire Kallas à chacune de nos rencontres, ainsi qu’à mes collègues, lors des conseils des ministres des transports : il n’y a de concurrence que si elle est saine, loyale et respectueuse du droit social.
Une actualité très récente – que je ne peux commenter, des enquêtes étant en cours – montre qu’une très forte vigilance s’exerce sur les tentatives de contournement des règles sociales et des règles d’établissement des compagnies au niveau national. Certaines compagnies ont n’en sont pas restées aux tentatives puisqu’elles ont été lourdement condamnées. Nous demeurons donc extrêmement vigilants.
La difficulté est double : il y a, d’une part, le low-cost, qui sape les conditions économiques auxquelles sont soumises nos compagnies et le pavillon français ; d’autre part, les visées expansionnistes des compagnies du Golfe qui, du fait d’une concurrence « exorbitante », créent des difficultés aux compagnies françaises. Raison de plus pour être extrêmement attentifs, s’agissant de l’activité de nos entreprises et du pavillon français !
Toute initiative prise en ce sens par les parlementaires sera bienvenue et permettra de conforter l’action du Gouvernement.

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