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Débat public sur le socle citoyen

En France, 10 millions de femmes, d’hommes, de jeunes, d’enfants connaissent aujourd’hui la pauvreté, ce dont certains ont l’indécence de les rendre responsables. La pauvreté, c’est le manque, parfois la faim, parfois le froid, toujours l’inconfort et l’incertitude, souvent l’isolement et la galère ; quelquefois tout cela. C’est d’autant plus insupportable que ce n’est pas une fatalité.

Vous connaissez cette réflexion de Dom Hélder Câmara : « Je nourris un pauvre et l’on me dit que je suis un saint. Je demande pourquoi le pauvre n’a pas de quoi se nourrir et l’on me traite de communiste. » Nous n’avons pas peur que l’on nous traite de communistes : ce n’est pas une insulte, c’est un compliment. Et si nul ne prétend ici être un saint, nous pensons qu’il faut agir à la fois sur les causes et sur les conséquences de la pauvreté. Car nous savons avec Hugo que c’est du paradis des riches qu’est fait l’enfer des pauvres. Or ce paradis des riches porte un nom, le capitalisme, et nous pensons qu’il faut dépasser ce système qui se fonde sur l’accumulation de richesses par quelques-uns. Tout y est marchandise, le travail humain y est maltraité, les vies menacent d’y être dépouillées de sens et tant de personnes risquent d’y être privées de tout.

Il faut s’attaquer aux causes, non pas seulement pour garantir à chacune et chacun des conditions matérielles d’existence acceptables, mais pour ouvrir la voie à d’autres rapports humains, à la liberté d’être soi et de s’accomplir, au droit à ce que Jaurès appelait l’« entière croissance », au plein respect de la dignité humaine, à de nouveaux progrès dans l’humanisation, à la construction permanente d’un monde partagé. Je sais qu’il s’en trouvera pour moquer ce grand rêve et considérer qu’il est une chimère. Je leur dis qu’il n’y a rien de plus réaliste, face à la gravité des drames et des périls.

Alors, que faire dans l’immédiat ? Des réponses collectives sont nécessaires face à ce fléau que la civilisation humaine devrait abolir. Face à la misère, comme face à de nombreux défis, on ne peut pas se contenter de renvoyer à des gestes individuels, car elle est une question sociale et politique majeure. Ce qu’il faut, c’est mettre fin à l’injustice fiscale, à la toute-puissance des actionnaires, à la dérégulation, à la précarisation et à l’affaiblissement de la protection sociale. Il faut arrêter de fabriquer des travailleurs pauvres, des chômeurs sans droits, des retraités mal pensionnés et des jeunes abandonnés, et débrancher les machines à fabriquer la misère.

Vous défendez aujourd’hui un socle citoyen qui rappelle certaines formes de revenu universel. Est-ce une vraie ou une fausse bonne idée ? Si les mots peuvent flatter l’oreille, la question est bien plus complexe – et sans doute bien plus piégée – qu’il n’y paraît. Certaines formules sont parfaitement compatibles avec le modèle libéral, au point de lui fournir la bonne conscience qui lui permettrait de poursuivre ses dégâts. Ce qui est à craindre, c’est que ce dispositif ne consiste simplement à regrouper en une seule aide, sous couvert de simplification et pour solde de tout compte, différentes aides sociales plus ou moins bien conçues pour faire face à des situations identifiées. Pour beaucoup, cela risquerait de constituer une régression. Si nous partageons avec vous certains constats, dont celui de la nécessité de rendre plus automatique et universelle l’accès aux droits pour éviter le non-recours et les parcours du combattant, nous doutons de votre proposition. Il ne nous semble pas approprié d’en rester à une aide très minimale financée à périmètre constant par l’impôt sur le revenu, en refusant de s’attaquer en amont à la captation des richesses par le capital, sur le dos du travail.

De surcroît, nous discutons de l’hypothèse d’une raréfaction du travail alors que les crises sanitaires et écologiques montrent combien des besoins essentiels sont aujourd’hui insatisfaits, parce que le marché organise la structure de l’emploi en fonction de critères de rentabilité. Dans le mouvement actuel de mécanisation et de numérisation qui exclut l’humain, nous avons besoin du travail, de l’artisanat et de l’œuvre. L’exemple de l’agriculture le démontre : ce secteur a besoin d’une planification écologique, économique et sociale. Sa situation appelle le développement de l’intervention publique et des services publics – qui ne devrait plus vous faire peur, depuis la pandémie – ainsi qu’à l’économie du partage social et solidaire. Nous ne voulons pas que la majorité se divise entre celles et ceux qui vivent plus ou moins bien de leur salaire en travaillant dur, et celles et ceux qui vivent mal d’un revenu universel en étant empêchés de participer au fonctionnement d’une société à la dérive. Il faut libérer le travail, le transformer et mieux le partager, réhabiliter et réinventer le salaire.

Pour s’attaquer aux conséquences de la pauvreté, il faut une protection sociale universelle. Il faut une force d’entraînement qui sécurise, accompagne, répare et projette dans l’avenir, et non pas seulement un filet de sécurité ou une caisse de secours. Nous plaidons pour une réappropriation sociale de la sécurité sociale, soutenue par une solidarité nationale réelle, et pour la gratuité de biens communs essentiels pour vivre, qui soient extraits des logiques du marché. Nous voulons changer l’ordre des choses, avec les femmes et les hommes. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI. - M. Denis Sommer applaudit également.)

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