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Débat sur l’accord européen relatif à la Grèce

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, chers collègues, « le projet européen vient de subir un coup terrible, voire fatal », selon le prix Nobel d’économie Paul Krugman. Ces mots résument bien ce que nous pensons du contenu de l’accord de Bruxelles, sur lequel nous sommes appelés à nous prononcer cet après-midi, qui se clôt par le triptyque « soumission, humiliation, libéralisation ». Les efforts demandés à Athènes dépassent l’entendement. Et, écrit Paul Krugman dans les colonnes du New York Times, ils « recèlent un esprit de vengeance, la destruction totale de la souveraineté nationale et effacent tout espoir de soulagement ».
Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Vous lisez le New York Times ? (Sourires sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. André Chassaigne. Il s’agit de faire payer au peuple grec d’avoir osé dire non à l’Europe de l’orthodoxie financière et à l’asphyxie de son pays. Cet accord n’a qu’un seul mérite, comme vous en avez convenu, monsieur le Premier ministre, celui d’éviter à la Grèce l’exclusion de la zone euro, conformément au vœu d’une très large majorité de la population grecque. Pour le reste, le programme qu’il prévoit est un florilège de mesures dictées par ces mêmes dogmes néolibéraux et « austéritaires » que nous combattons ici en France !
Mme Jacqueline Fraysse. Absolument !
M. André Chassaigne. Ces mesures confortent l’idée selon laquelle la Grèce est un laboratoire où sont expérimentés des dispositifs ayant vocation à s’appliquer à tous les peuples européens. Notre ami Alexis Tsípras, le Premier ministre grec, a pourtant dû accepter l’accord, tout simplement parce que l’Allemagne, la BCE et le FMI ne lui ont pas laissé d’autre choix ! C’était l’accord ou la sortie de la Grèce de la zone euro, l’accord ou le refus d’octroyer un nouveau plan d’aide à la Grèce ! Outrepassant son rôle, la BCE a délibérément joué un rôle politique, asphyxiant l’économie grecque pour faire plier le gouvernement. Comment négocier avec « le couteau contre l’os et la corde au cou », selon les mots du poète grec Yanis Ristos ? Comment négocier dans ces conditions ?
Non seulement Aléxis Tsípras n’a bénéficié d’aucune marge de négociation mais l’accord finalement conclu est en contradiction complète avec la volonté souveraine exprimée par le peuple grec lors du référendum organisé quelques jours auparavant. Dans ces conditions, nous affirmons que l’accord n’a pas été « librement consenti », notion fondamentale du droit international des traités, mais obtenu sous la contrainte, extorqué, arraché et imposé par des négociateurs européens en usant de méthodes déloyales comparables à un chantage !
M. Marc Dolez. Très bien !
M. André Chassaigne. Au début du XXe siècle, à l’issue de la Première guerre mondiale, le traité de Versailles, diktat imposé par les vainqueurs, a été vécu comme une humiliation par le peuple allemand. Ce sentiment a nourri la bête immonde du nazisme qui fut à l’origine de l’effondrement de l’Europe. En ce début de XXIe siècle, par une dramatique ironie de l’histoire, le peuple grec est humilié par la volonté du gouvernement allemand ! Le sens des responsabilités et le volontarisme du Premier ministre grec se sont heurtés à l’inflexibilité du gouvernement allemand, tenant d’une ligne « austéritaire » et ordo-libérale derrière laquelle les dirigeants européens ont fait bloc ! À l’aune des résultats, dans son soutien à Alexis Tsípras, le président Hollande a pour le moins manqué de fermeté pour marquer sa différence sur le fond !
M. Jean-Christophe Cambadélis. Et quatre-vingt-cinq milliards d’euros, qu’est-ce donc ?
M. André Chassaigne. Les États européens comme la France et l’Italie ont ici leur part de responsabilité. En validant les réformes engagées depuis 2011 dans la zone euro telles que le « Two-Pack », le « Six-Pack », le mécanisme européen de stabilité, le semestre européen et le pacte budgétaire, ils ont assuré la prééminence de cette logique folle. Doutant de sa capacité à infléchir la politique européenne, la France n’a pas joué le rôle qui pouvait et devait être le sien, quitte à précipiter la faillite du projet européen et trahir l’esprit des pères fondateurs de l’Europe qui rêvaient d’une union toujours plus étroite entre les peuples. L’alignement des sociaux-démocrates sur la droite déflationniste et ultralibérale à l’échelle de l’Europe est aussi incompréhensible que désastreux. Systématiquement et cyniquement, l’Europe et le FMI ont privilégié une approche punitive du gouvernement grec. L’épisode que nous traversons révèle la profondeur de la crise européenne, qui est bien moins économique et financière qu’idéologique et démocratique.
Il faut le dire : le dogmatisme n’est pas du côté de Tsípras, du gouvernement grec ou de Syriza, mais du côté de la Troïka et de l’Eurogroupe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Il n’est pas de notre côté, monsieur le Premier ministre, mais du vôtre ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.) De fait, les actions prioritaires dont l’accord de Bruxelles dresse la liste reprennent presque mot pour mot le plan des créanciers massivement rejeté par les Grecs lors du référendum du 5 juillet. Il prévoit notamment une hausse immédiate de la TVA pesant sur la plupart des produits et services de 13 % à 23 %, la suppression avant la fin de l’année 2019 de l’allocation pour les petites retraites et la finalisation de toutes les procédures de privatisation en cours, en particulier des aéroports régionaux, des ports du Pirée et de Thessalonique et du réseau grec de transport d’électricité.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Rachetés par les communistes chinois !
M. André Chassaigne. D’ailleurs, sans attendre, les vautours sont déjà là, ils ont déjà pris leur envol et il en est qui sont français ! Par ailleurs, le plan met en œuvre une véritable mise sous tutelle de la Grèce car l’accord prévoit que le Parlement devra abroger des lois déjà votées et que la Troïka aura un droit de regard sur les lois futures. Il comprend quelques mesures fiscales positives proposées par les Grecs comme la hausse de l’imposition des entreprises, l’extension de la taxe sur les produits de luxe ou la suppression des règles fiscales spéciales applicables au transport maritime.
M. Jean-Paul Bacquet. C’est pourquoi vous avez déclaré dans la presse que vous voterez pour !
M. André Chassaigne. Mais il exercera aussi un puissant effet récessif sur une économie déjà exsangue et les mesures qu’il prévoit étoufferont plus encore l’économie grecque.
M. Jean-Paul Bacquet. Changer d’avis en quarante-huit heures sur ordre du parti, c’est le centralisme démocratique !
M. André Chassaigne. Le plan alourdira encore la dette grecque, de sorte que le rééchelonnement pour l’heure simplement évoqué ne fera que lisser les effets de l’augmentation. La plupart des économistes, y compris libéraux, doutent d’ailleurs de la pertinence de ce prétendu plan d’aide et le jugent irréaliste. La Grèce illustre au fond la dramatique impasse dans laquelle mènent l’obsession voire le fanatisme « austéritaire » et le mépris de la souveraineté populaire, autrement dit le primat de l’Europe des financiers sur l’Europe démocratique.
Les politiques d’austérité budgétaire, qui n’ont aucun sens et empêchent de renouer avec la croissance, sont toujours imposées coûte que coûte aux Grecs comme aux autres peuples, conformément à l’idée absurde que la réduction de la dette et la consolidation budgétaire doivent avoir la priorité sur la croissance économique. Ces doctrines et dogmes hérités de la révolution conservatrice de Reagan et Thatcher précipitent les Européens dans un abîme moral et social ! Nous ne pouvons nous résoudre à une telle faillite qui ouvre la voie aux pires dérives nationalistes !
Mme Jacqueline Fraysse. Très bien !
M. André Chassaigne. Si nous voulons sauver le projet européen et lui rendre sa crédibilité, il est impératif que nous prenions collectivement la mesure de ce qui se joue sous nos yeux. Si la zone euro ne redevient pas un projet politique commun mais demeure un espace de domination des forts sur les faibles ne comptant pour rien, alors l’Europe est morte ! Si la zone euro ne redevient pas un espace de coopération et de solidarité mais demeure le terrain de jeu des marchés financiers et de leurs fondés de pouvoir, alors l’Europe est morte ! En luttant comme ils l’ont fait depuis des mois, les Grecs nous ont donné une leçon de courage et de lucidité.
M. Jean-Paul Bacquet. Contrairement à vous !
M. André Chassaigne. Ce que le monde entier a pu constater au cours des dernières semaines et des derniers mois, ce dont les peuples ont été les témoins, c’est l’inflexibilité d’institutions aveuglées par le dogmatisme à laquelle la Grèce a opposé une formidable capacité de résistance et une capacité à ébranler les consciences européennes afin de redonner espoir dans les solutions alternatives. La victoire remportée ce week-end par les créanciers et par les dirigeants européens, peu glorieuse car remportée sur un peuple déjà à genoux, ne peut rien contre l’espérance nouvelle qui point de toute part en Europe ! Rien ne sera plus comme avant ! Alexis Tsípras a confirmé à l’issue des négociations sa volonté de continuer « à lutter afin de pouvoir renouer avec la croissance et regagner [une]souveraineté perdue », ajoutant : « Nous avons gagné la souveraineté populaire, le message de la démocratie a été transmis en Europe et dans le monde entier, c’était le plus important ».
C’était, en effet, le plus important. Les Grecs ont convaincu nombre d’Européens que l’Europe peut être une idée neuve. Solidaires du peuple grec et de son gouvernement, nous ne pouvons cautionner un projet d’accord obtenu par la contrainte, le pistolet sur la tempe, ni l’humiliation infligée à un peuple souverain. On nous permettra au contraire de rendre solennellement hommage au peuple grec, à son courage et à sa dignité, tandis que l’Europe des technocrates et des financiers lui impose un accord inique, injuste et humiliant. En gardant chevillée au corps l’exigence d’une réorientation profonde du projet européen et en réaffirmant le droit inaliénable des peuples à disposer d’eux-mêmes, nous voterons contre le projet d’accord, contre le coup d’État institutionnel qui ne vise qu’à mettre un peuple à genoux !
M. Jean-Paul Bacquet. Vous disiez le contraire avant-hier !
M. André Chassaigne. Face à l’échec de la construction européenne, ce que nous voulons par-dessus tout, c’est ouvrir de nouvelles perspectives pour l’Europe, mais rien ne peut être fait sans les peuples !
Je propose, au nom des députés du Front de gauche, une grande consultation populaire sur le projet européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Faisons renaître l’espoir, « cette maladie rare et incurable », comme l’écrivait le grand poète palestinien Mahmoud Darwich, cet espoir que nous sommes si fiers de porter aujourd’hui ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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