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Débat sur l’agriculture

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’avais préparé un texte et il aurait plus facile pour moi de le lire, mais, après avoir écouté les précédentes interventions, je vais m’en éloigner. Du coup, j’oublierai sans doute des choses et mes propos apparaîtront peut-être un peu caricaturaux puisque, dans un tel cas, on est forcément beaucoup moins nuancé.
La première chose que je voudrais souligner, sur laquelle tout le monde est d’accord, c’est que la crise que vit aujourd’hui l’agriculture n’a jamais été aussi forte, du moins dans les territoires les plus montagnards, les plus ruraux, allais-je dire, par rapport à une certaine forme d’agriculture. Je pense aux territoires d’élevage et à ces exploitations agricoles, qui sont pour l’essentiel familiales même si des GAEC se sont constituées et s’il y a des regroupements, avec des difficultés énormes, qu’il faut prendre en compte.
Je sais bien que nous les ressentons tous, que nous les vivons, mais essayons d’imaginer ce que cela peut représenter pour un jeune agriculteur qui s’est endetté de travailler quinze jours par jour, et beaucoup plus en période de vêlage, ce qui doit d’ailleurs aujourd’hui s’échelonner sur toute l’année pour des raisons de prix, quand il faut vivre avec le seul salaire de la conjointe ou, plus rarement, du conjoint, qui travaille à l’extérieur, souvent pour un SMIC.
Il y a derrière tout cela une angoisse qui se traduit par de la colère, par un rejet massif des uns et des autres ici et de la parole politique. C’est quelque chose que l’on ressent très fortement. L’enjeu est terrible.
Deuxième observation et je sais que plusieurs d’entre nous ne seront pas d’accord : ce que l’on vit aujourd’hui dans le domaine agricole est la conséquence d’un parti pris, celui du libéralisme. On peut concevoir – ce n’est pas mon cas – que les échanges internationaux aillent dans ce sens pour les produits manufacturés, et l’on voit d’ailleurs les dégâts que cela entraîne, mais, pour l’agriculture, pour l’alimentation, répondre par un libéralisme sans limite qui consiste à aller vers le prix le plus bas, quelles que soient les conséquences sociales et environnementales, c’est une mécanique qui n’est plus dominée du tout.
Je sais bien que la tendance naturelle, y compris pour des agriculteurs du territoire que je représente ici, c’est de dire qu’il faut être compétitif : mettons tout sur la compétitivité et, à partir de là, nous pourrons tirer nos prix vers le bas, améliorer nos conditions de travail et nous en sortir. Mais nous savons bien que cette course à la compétitivité dans le domaine agricole n’apportera pas de solution durable et que l’on trouvera toujours des productions moins chères s’accompagnant d’un massacre social et environnemental.
Je ne nie pas les améliorations apportées en termes de bâtiments par exemple – cela a été souligné par le ministre –, mais nous savons tous très bien que la compétitivité n’est pas la solution : c’est une tromperie et, à l’échelle de l’histoire, ce n’est pas une solution durable pour l’agriculture.
Malheureusement, c’est elle qui dicte les réponses qui sont apportées au niveau européen, nous le savons bien. Si les outils de régulation ont été quasiment tous cassés, si les quotas ont été supprimés, par exemple pour le lait, c’est pour permettre de produire davantage, mais le coût de cette production sera totalement différent dans les immenses exploitations et dans nos petites exploitations de montagne qui ne pourront jamais faire face à une telle concurrence. Nous le savons bien, ce n’est pas la peine de tricher sur ce point.
Nous devons mettre un coup de pied dans la fourmilière au niveau de notre pays et au niveau européen. Nous devons dire que cela suffit, que les intérêts de nos agriculteurs et de nos territoires sont convergents avec ceux d’agriculteurs et de territoires des autres pays d’Europe. Il y a quelques années, nous allions d’ailleurs par deux députés de sensibilités différentes dans les différentes capitales d’Europe pour discuter et convaincre d’une telle convergence.
Je crois qu’il faut revenir sur ce système. La production alimentaire, ce n’est pas un produit manufacturé et il faut arrêter d’aller dans le sens du libéralisme.
Cela signifie qu’il faut revenir sur des décisions très libérales, et je le dis sans polémique vis-à-vis de mes collègues de l’ancienne majorité. Certaines dispositions de la loi Chatel de modernisation de l’économie ont en effet accentué la possibilité de négocier tout à fait librement et, pour la grande distribution, d’écraser le fournisseur. Nous l’avons tous constaté, pas seulement d’ailleurs dans le domaine agricole, mais aussi pour les produits manufacturés. C’est une réalité.
Et ceux de mes collègues de l’actuelle majorité socialiste qui considèrent le traité transatlantique comme une solution s’inscrivent dans cette approche ultralibérale consistant à aller vers le prix le plus bas et dont les conséquences seraient catastrophiques, notamment pour notre élevage. Les plus beaux morceaux viendront des États-Unis et nous ne pourrons pas les concurrencer. Nous aurons alors des tonnes de produits importés que nous ne pourrons pas dominer. Et la contrepartie affichée, qui s’inscrit d’ailleurs aussi dans cette démarche ultralibérale, ne permettra pas de résoudre le problème.
Je sais que c’est compliqué, monsieur le ministre, parce que c’est un système, mais la nécessité, l’exigence, l’obligation devant l’histoire, c’est de bousculer cette agriculture européenne qui, à l’origine, était faite pour nourrir l’Europe, pour avoir des agriculteurs et des territoires vivants, mais dont les conséquences sont aujourd’hui désastreuses. C’est d’abord ce message que je voulais faire passer.
Je ne reviens pas sur le plan d’aide parce que c’est quasiment du copier-coller de ce que l’on a régulièrement. Chaque fois qu’il y a une crise, on essaie de trouver les meilleures solutions en termes d’accompagnement, mais deux ou trois ans après, cela recommence et il faut de nouveau prévoir un plan d’aide. Or ce n’est pas conjoncturel. Si l’on ne s’attaque pas au problème structurel, on ne résoudra rien et on aura régulièrement des crises et des plans d’aide pour essayer de faire face à la situation.
Aller vers la grande distribution parce qu’il y a une crise grave, que les agriculteurs sont en train de sortir les fourches et les tracteurs et qu’il faut trouver, de façon volontaire, un accord sur des prix permettant de garantir un revenu, c’était l’urgence. Mais une telle solution ne dure qu’un temps – même pas un printemps –, le temps que la crise soit un peu moins forte ; elle ne résout pas le problème dans la durée.
Vous êtes dans la deuxième étape, monsieur le ministre, avec la contractualisation. Ce n’est pas nouveau, on en a beaucoup parlé dans les lois précédentes.
Le problème de la contractualisation, c’est qu’il y a là aussi un rapport de forces. Lorsqu’il y a eu des tentatives de contractualisation dans le secteur laitier, les agriculteurs ne sont pas arrivés à sauvegarder fondamentalement leurs intérêts. Il est très difficile d’avoir une contractualisation permettant de garantir un prix de production aux agriculteurs.
Il faut donc des mécanismes qui imposent, c’est-à-dire qu’il y ait une articulation entre le prix à la production et le prix à la distribution. Je ne vais pas parler de coefficient multiplicateur, cela fait penser à la fin de la dernière guerre mondiale même si cela existe toujours dans notre législation pour les fruits et légumes en période de crise, mais nous devons réfléchir à des mécanismes garantissant une articulation et évitant tout déséquilibre des marges au niveau des filières comme c’est le cas aujourd’hui. Les marges sont plutôt en régression pour les producteurs, mais elles éclatent pour la grande distribution. En 2014, le résultat net du groupe Carrefour s’élevait à 1,2 milliard d’euros et celui du groupe Auchan à 574 millions d’euros, et je pourrais citer d’autres groupes. Ils ne vont pas chercher ces sommes sous les sabots d’un cheval !
Je veux souligner trois points essentiels. Le premier, c’est la question de l’obligation de la mention de l’origine pour tous les produits agricoles. Vous en avez parlé, monsieur le ministre, mais nous sommes sur la base du volontariat. Le label « Viandes de France » est une bonne chose, mais la législation européenne devrait imposer un tel marquage. Deuxièmement, s’agissant de la relocalisation de la ressource alimentaire, nous avons tous des pistes, notamment sur le code des marchés publics, et de très bons outils ont été mis en œuvre au niveau des collectivités départementales.
Enfin, il y a quelque chose de très important, dont personne n’a parlé, c’est le fait d’assurer les risques : non seulement les risques climatiques et sanitaires, mais aussi les risques économiques, qu’il faut prendre à bras-le-corps, en organisant un lissage en fonction des années ainsi que de ceux qui gagnent beaucoup et de ceux qui ne gagnent rien, voire qui perdent de l’argent.

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