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Débat sur la politique industrielle

C’est un bassin économique qui va mourir... On prend quarante étages dans la tronche. » Voilà la phrase qu’on a entendue il y a un mois, quand le tribunal de commerce scellait le sort des 580 ouvrières et ouvriers d’Arjowiggins dans la Sarthe. Cette liquidation se traduit par une saignée, par une addition de galères familiales. Je le rappelle, même si c’est avec retenue, parce que derrière les machines arrêtées, il y a des vies bousculées. La presse vient d’ailleurs de faire état du suicide d’un ex-salarié de cette entreprise, père de deux enfants, qui travaillait depuis trente-trois ans à la coupe et aux finitions.
Arjowiggins est loin d’être un cas isolé : les plans sociaux, les fermetures industrielles, les sauvetages partiels avec dégraissages et salariés laissés au bord du chemin, ne connaissent pas la crise. La moitié seulement des salariés de GM&S, dans la Creuse, licenciés en 2017, ont retrouvé un emploi. Le rachat d’Alstom par General Electric, qui promettait la création de 1 000 emplois en France, se solde par 600 suppressions d’emplois dans les énergies renouvelables. L’usine Peugeot d’Hérimoncourt, lieu de naissance de la marque en 1833, va être délocalisée à Vesoul, en Haute-Saône, avec ses 200 emplois, conduisant à une dévitalisation sans précédent de ce qui était un territoire d’industrie à la campagne. Froneri, dans l’Oise, qui comptait 317 salariés, a fermé son site en février : 130 salariés sont encore sur le carreau. La Fonderie du Poitou, 800 salariés, est passée sous contrôle d’un groupe anglo-indien, un sauvetage qui entraîne 75 suppressions d’emplois dans la fonte. Ford ferme son site de Blanquefort dans un bras d’honneur à l’État, laissant 900 salariés sur le sable.
L’inventaire est loin d’être complet, mais ces exemples posent la question du fossé qui existe entre les déclarations du Président de la République et les vôtres, madame la secrétaire d’État, sur le redémarrage industriel, et la réalité. Pourtant, les salariés et leurs syndicats ont formulé des alternatives pertinentes, qu’il aurait fallu prendre en compte.
Début 2019, le solde entre les ouvertures et les fermetures d’usines est négatif dans notre pays, contrairement à ce que dit le Gouvernement, car celui-ci ne s’est pas doté d’une véritable politique d’ensemble. C’est ce constat que l’on doit malheureusement faire. Il y a bien un ministre de l’économie et des actions comme Territoires d’industrie, dont ma circonscription bénéficie elle aussi, mais un ministre contraint d’agir comme un pompier pour limiter la casse sociale ne remplace pas plus qu’une ambulance le programme à grande échelle qui fait défaut à la France après quarante années d’abandon de la politique industrielle.
La politique pour la finance, celle qu’a choisie Emmanuel Macron, une politique néolibérale de l’offre taillée sur mesure pour le CAC 40, ne fait pas une politique industrielle, madame la secrétaire d’État.
L’autre jour, le patron d’une PME de mon territoire, une entreprise qu’il peine à financer en trésorerie – ce n’est pas une strat-up ! – alors qu’elle fonctionne bien, rouspétait très fort contre la suppression de l’ISF sans obligation de contrepartie dans l’économie réelle.
Quand une entreprise industrielle se casse la figure, souvent c’est qu’elle n’a pas de stratégie. Vous non plus, vous n’avez pas de stratégie.
Pas de stratégie pour investir massivement dans la formation au plus près des territoires, avec un maillage fin par bassin d’emplois – je dis bien « massivement », je ne parle pas des 500 euros homéopathiques du plan Pénicaud.
Pas de stratégie pour réorienter le CICE – crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – vers l’économie réelle alors que c’est ce qu’attendent les PME-PMI qui irriguent nos territoires et constituent le meilleur rempart au phénomène de métropolisation.
Pas de stratégie pour mettre un coup d’arrêt à la destruction de valeur que les grands groupes, attachés à la loi de la profitabilité immédiate et maximale, opèrent en essorant leurs sous-traitants. Dans l’ordre économique que vous défendez, le ruissellement est à l’envers : les petites boîtes, tels des ruisseaux, font les grandes rivières des donneurs d’ordre, des grandes entreprises qui, elles, accaparent la valeur. Que vous le vouliez ou non, il en est de la richesse comme de l’eau, qui ne coule pas de la Manche ou de l’estuaire de la Seine vers ses affluents.
Pas de stratégie non plus pour faciliter le financement des projets industriels des PME, là où il faudrait multiplier par 100 la mise de l’État et des régions. Il ne faut pas se contenter d’accompagner l’économie virtuelle des start-ups et le tertiaire à la mode mais intégrer dans les critères de décision la question de l’aménagement du territoire en matière industrielle, question qui devrait guider les choix du Gouvernement, madame la secrétaire d’État.
Pas de stratégie pour éviter que les capitaux étrangers ne prennent le contrôle de nos fleurons industriels. Là non plus, votre gouvernement n’est pas au rendez-vous pour préserver une souveraineté nationale industrielle : je pense à Fincantieri dans la construction navale, secteur où l’entrisme des Chinois est préoccupant.
S’il fallait en une phrase dresser le bilan de cette révolution En Marche qu’on nous promettait, je dirais au ministre M. Le Maire : « Bruno, le renouveau n’est pas au rendez-vous. Au contraire, l’abandon des territoires et des salariés continue à broyer les territoires et à bousculer, à faire mal aux vies ! » (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

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Sébastien
Jumel

Député de Seine-Maritime (6ème circonscription)

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