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Débat sur « le Mali : au-delà de l’intervention militaire, perspectives de reconstruction et de développement »

M. le président. La parole est à M. François Asensi.
M. François Asensi. Monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mesdames les présidentes de commission, les députés communistes et du Front de gauche ont répondu de manière claire à l’appel du peuple malien. Pour être plus précis, nous avons soutenu l’intervention française au Mali.
Nous ne pouvions pas abdiquer devant cette forme nouvelle de fascisme – c’est l’expression que j’ai déjà utilisée, et que je maintiens – voulant imposer par la force des sociétés barbares. Il fallait une intervention pour arrêter l’avancée des fondamentalistes islamistes, sous l’égide de la communauté internationale et des pays africains, dans le strict respect de la résolution 2085 du Conseil de sécurité de l’ONU.
Cependant, nous avons également toujours affirmé que la seule réponse militaire ne suffisait pas. Le recours à la force armée signe toujours l’échec du politique. Disons-le clairement : si la France et les organisations internationales avaient promu, depuis quelques dizaines d’années, une véritable politique de développement pour le continent africain, nous n’en serions pas là !
Néanmoins, je veux dans un premier temps revenir sur le volet militaire de la situation au Sahel. Préparer l’après-conflit est impératif, mais penser que nous sommes déjà dans cet après-conflit serait une erreur. Au cours de ce premier mois de conflit, un certain nombre de succès ont été engrangés. Les pertes humaines et matérielles ont été aussi contenues que possible, même si elles sont insupportables. J’ai naturellement une pensée forte pour les otages, pour leurs familles, ainsi que pour les soldats morts au combat. Mais soyons lucides : la phase militaire la plus critique est peut-être à venir. Les règlements de comptes interethniques menacent. Un enlisement ne peut être exclu. Parler d’un désengagement imminent n’est pas réaliste ; pire, cela risquerait de redonner espoir aux djihadistes.
Par ailleurs, les réserves que nous avions émises ici même lors de l’entrée en guerre ne sont pas totalement levées. Les buts de notre intervention n’ont pas été suffisamment clarifiés à mon goût. Les déclarations contradictoires quant à la date de la fin de notre engagement sont symptomatiques de ces difficultés.
M. Nicolas Dhuicq et M. Pierre Lellouche. En effet !
M. François Asensi. Les armées africaines ne sont toujours pas en mesure d’apporter un soutien militaire décisif, et encore moins prêtes à prendre le relais de l’armée française.
M. Nicolas Dhuicq. C’est exact !
M. François Asensi. Malgré quelques concours logistiques ou de renseignement, tel l’appui des drones américains, l’isolement de la France demeure. Malgré quelques avancées, l’Europe reste aux abonnés absents. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Il y a quelques semaines, l’Union africaine a lancé un appel à l’OTAN afin de contourner cet isolement. Monsieur le Premier ministre, cet appel a-t-il été lancé ou non en accord avec notre diplomatie ? En aucun cas les députés communistes, républicains et du parti de gauche n’accepteront qu’une conduite atlantiste se substitue à un mandat onusien. L’implication de l’OTAN au Mali raviverait le spectre du conflit des civilisations. Ne rééditons pas les expériences malheureuses afghane et irakienne !
M. Yves Fromion. C’est vrai !
M. François Asensi. J’en viens maintenant aux perspectives de développement et de reconstruction. La guerre au Mali constitue le dramatique révélateur de la crise profonde entre la France et l’Afrique, entre l’Union européenne et l’Afrique. Cet échec d’une diplomatie trop longtemps inféodée aux intérêts de la Françafrique et au soutien de gouvernements corrompus ou totalitaires a eu des conséquences incalculables. C’est l’échec d’une politique de développement conçue au seul service des multinationales. Depuis les accords de Lomé de 1975, l’ouverture débridée des marchés a déstructuré l’économie et les relations sociales de ces pays. Nos entreprises ont profité des ressources naturelles sans que les populations locales puissent asseoir un véritable développement endogène. Les politiques d’ajustement structurel du FMI ont encouragé les privatisations des services publics et participé au délitement de l’État malien.
Dans le domaine de la coopération, il est urgent de réorienter véritablement notre aide publique au service du développement des pays les plus pauvres. On le sait : le sous-développement du nord-Mali a permis que les djihadistes y prospèrent depuis plusieurs années, y compris en menant des activités mafieuses. En dix ans, la France n’a apporté que 162 millions de dollars de subventions au Mali, soit 4 % de notre aide publique pour l’un des pays les plus pauvres de la planète. Cette somme est dérisoire au regard du coût de l’opération militaire en cours et de la dette que nous avons à l’égard de cette ancienne colonie.
En mars 2011, l’Union européenne lançait une ambitieuse stratégie pour la sécurité et le développement au Sahel, tombée depuis aux oubliettes. Cette volonté doit être relancée au plus vite. Il est tout aussi urgent d’annuler ce qui reste de la dette malienne. Le Mali, je le répète, est l’un des pays les plus pauvres de l’humanité ; il reste très endetté vis-à-vis des banques internationales.
La légitimité du système politique malien est à rebâtir de fond en comble, sur la base d’un dialogue national sans exclusive. La France doit appuyer ce processus, sans ingérence.
M. Pierre Lellouche. C’est vrai !
M. François Asensi. L’annonce de prochaines élections va dans le bon sens mais, aussi paradoxal que cela puisse paraître, cette consultation, de l’avis même des forces progressistes maliennes, n’est pas la priorité. La priorité au Mali n’est pas d’organiser une consultation qui clive, mais de rassembler toutes les composantes du pays pour discuter, débattre et définir la société malienne de demain. Ne présentons donc pas les prochaines élections comme la panacée ou la solution à tous les problèmes !
Laissons enfin les peuples africains décider librement de leur développement, en substituant les coopérations aux dominations. Permettons enfin à la population de tirer bénéfice de ses richesses naturelles, culturelles et intellectuelles sans les accaparer.
Entre l’Europe et l’Afrique, continents frères, l’heure est à une véritable solidarité. Je suis convaincu que l’Afrique est l’avenir de notre planète. Il faut pour cela un nouvel ordre économique mondial, reléguant au placard les diktats de la finance et les plans d’austérité du FMI. Construisons cette nouvelle mondialisation, celle du partage des richesses ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe SRC.)

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François
Asensi

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