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Débat sur le prélèvement européen

Monsieur le président, messieurs les secrétaires d’État, madame, monsieur les présidents de commission, mesdames les rapporteures, l’Union européenne est au plus mal et nous savons tous sur ces bancs que le budget proposé dans le cadre financier pluriannuel ne suffira pas à résoudre la crise économique, sociale et morale que nous traversons.
Les députés du Front de gauche partagent le rêve européen, celui d’une union des peuples dans la coopération et la solidarité. Or ce bel idéal n’existe plus, il faut avoir le courage de le dire : il est miné par l’explosion des inégalités et de la misère sur notre continent autant que par l’emprise du lobby financier sur la construction européenne.
Vous me permettrez tout d’abord quelques mots sur les citoyens européens, eux qui sont si souvent les oubliés de l’Europe technocratique de Bruxelles.
Aujourd’hui, 110 millions d’Européens sont menacés de pauvreté ou d’exclusion, soit un Européen sur quatre.
Pour les pays de l’Est, le rattrapage n’aura pas eu lieu faute d’une véritable solidarité – leurs salaires restent misérables et nous en payons aujourd’hui le prix à travers la problématique des travailleurs détachés.
Néanmoins, paradoxalement, si l’ambition de l’Union visant à faire diminuer de 20 millions le nombre de pauvres risque d’échouer, c’est avant tout à cause de la hausse de la pauvreté dans les pays les plus riches.
Depuis 2005, le nombre d’Allemands tombant dans la pauvreté a été dix fois plus important qu’en France, ce qui devrait nous vacciner contre toute tentation d’imitation.
Notre Europe est aussi celle du chômage de masse et d’une jeunesse sacrifiée. Le nombre de jeunes Espagnols ou Grecs qui fuient leur pays a bondi depuis 2010. Pour cette jeunesse, l’Europe n’est plus un espace d’avenir.
Comment ne pas comprendre ce désarroi lorsque, dans ces pays, le taux de chômage des jeunes frôle les 50 % ou lorsque les politiques de flexibilité les plongent dans une précarité insoutenable ?
Les politiques d’austérité menées par Bruxelles et la Troïka ont placé notre continent au bord du précipice.
Pour en venir à l’examen proprement dit de notre contribution au budget européen, je note que la Commission européenne et les États membres ont affiché à juste titre leurs priorités : croissance, emploi, sécurité, politique migratoire et politique extérieure. Qu’en est-il réellement ?
Comme chaque année, le Conseil a réduit la proposition de budget et par là même les ambitions déjà limitées de la Commission européenne et du Parlement.
La présidente de notre commission et la rapporteure ont parfaitement souligné l’insuffisance de ce budget qui, depuis trop d’années, stagne autour de 1 % du revenu national brut européen.
L’une des rares bonnes nouvelles vient du renflouement du Fonds d’aide aux plus démunis à hauteur de plus d’1 milliard d’euros.
La hausse louable du budget pour la croissance et l’emploi, notamment avec une augmentation de 73 % du programme Erasmus +, va de pair avec une chute sensible des crédits d’engagement dédiés à la cohésion sociale, économique et territoriale.
Les besoins européens en matière d’infrastructures, évalués à 1 000 milliards d’euros, sont mis en péril par les politiques d’austérité. Alors que notre continent souffre d’une faiblesse historique d’investissement dans les secteurs d’avenir, par exemple dans la transition énergétique, le compte n’y est pas.
Le Fonds européen pour les investissements stratégiques est quant à lui essentiellement constitué de redéploiements de crédits et mise sur des effets de levier irréalistes.
Quant au Fonds d’ajustement à la mondialisation soutenant les salariés victimes de plans de licenciement, il reste toujours aussi bas – pire, il n’augmentera pas d’ici 2020.
Comment admettre que moins de la moitié de ce Fonds ait été mobilisée en 2014 alors que les plans sociaux se multiplient dans toute l’Europe, et singulièrement en Grèce ?
La politique agricole commune continue d’engloutir l’essentiel du budget européen, mais pour quel modèle agricole et pour quels résultats ? Malgré les 9 milliards d’aides pour la France, nos petits producteurs n’ont jamais connu autant de difficultés.
L’Union européenne et son budget sont aujourd’hui incapables d’impulser une relance économique ou de lancer des programmes phares d’investissement, comme Airbus a pu l’être en son temps.
S’agissant du volet de la solidarité, la crise des réfugiés a démontré que le cadre financier pluriannuel était déjà hors sujet.
En effet, 300 millions supplémentaires ont dû être budgétés en urgence en 2016, alors que le drame syrien n’a rien de nouveau. Je m’étonne que pour l’année 2014, seulement 13 millions d’euros aient été décaissés pour la Syrie.
Nous regrettons par ailleurs que les crédits dont dispose le programme sécuritaire demeurent plus élevés que ceux de la lutte contre les causes de ces crises et l’aide aux réfugiés.
Ces dernières années, Frontex a ainsi empoché 20 % supplémentaires, au point de conforter l’image d’une Europe forteresse.
Concernant le montant du prélèvement européen, nous ne pouvons que nous inquiéter de la hausse continue de la contribution nette de la France depuis 2008 jusqu’à atteindre 8,2 % de nos recettes fiscales.
Cela soulève d’autant plus de problèmes qu’elle grève nos marges de manœuvre dans le cadre de l’orthodoxie financière budgétaire aveugle de Bruxelles.
Je partage totalement l’avis de notre rapporteure décrivant le système de ressources propres comme « un mode de financement obsolète, opaque et inefficace ». La France a échoué à le réformer.
Est-il normal que nous continuions à financer le rabais britannique alors que la City pille nos recettes publiques par l’évasion fiscale ?
Est-il normal que le Luxembourg soit le premier bénéficiaire net des retours européens, avec 3 118 euros par habitant contre 205 pour la France, alors que le Grand-Duché s’est fait le spécialiste du dumping fiscal sous la conduite de M. Jean-Claude Juncker ?
Tout le monde s’accorde à dénoncer l’absurdité de ce système où les État membres négocient des rabais, tels des marchands de tapis, mais nous sommes hélas bien seuls lorsque nous proposons de revisiter de fond en comble les traités européens pour mettre les institutions au service d’une véritable ambition européenne.
Nous sommes tout aussi seuls lorsque nous plaidons pour l’instauration d’une taxe carbone aux frontières de l’Europe, ou encore pour une véritable taxation des transactions financières afin de placer notre continent sur la voie de l’emploi et de la transition énergétique.
Au-delà de l’examen du budget, je tiens à dire que le problème européen est moins financier que politique, avec l’absence totale d’un cap commun.
La crise des réfugiés a démontré l’incapacité de l’Europe à anticiper les défis pour notre continent, mais aussi à parler d’une même voix.
En matière de politique étrangère, l’Europe n’existe pas, et les dernières réformes institutionnelles créant un service diplomatique européen n’ont rien changé.
Du Royaume-Uni atlantiste à l’Allemagne non-interventionniste, en passant par une Europe centrale paralysée par les fantômes du passé, où est l’idéal commun de cette Europe ?
Nous restons confondus devant l’autisme des élites européistes, qui entendent poursuivre leur projet néolibéral sans voir les lourds nuages qui pointent à l’horizon.
La tentation du Brexit tout d’abord. Ce référendum sur la sortie de l’UE ne surprend pas de la part d’un Royaume-Uni foncièrement hostile à l’émergence d’une Europe forte, mais il symbolise la perte d’attractivité du projet européen.
Ensuite, le repli xénophobe menace l’Europe d’une implosion sociale. Nous vivons aujourd’hui dans une Europe de la concurrence exacerbée entre les peuples et entre les travailleurs. Le risque d’une guerre de tous contre tous existe bel et bien.
Enfin, l’Union européenne est devenue une tête sans corps, puisque de plus en plus de citoyens européens la rejettent avec force.
Une technocratie hors sol bafoue toujours un peu plus la souveraineté populaire en s’asseyant sur le vote des électeurs européens, comme ce fut le cas lors des référendums en France et en Irlande.
Un point de non-retour a été atteint cet été avec ce qui s’apparente à un coup d’État financier contre le peuple grec.
L’euro s’est converti en une arme terrible contre les peuples, qui les prive de choisir leur destin et empêche toute possibilité d’alternative.
Les dettes publiques sont l’instrument d’un chantage politique et l’on ne sera pas surpris, dès lors, de l’absence de toute volonté de les effacer.
Bruxelles a subrepticement remplacé la légitimité démocratique par la légitimité ploutocratique en devenant le fondé de pouvoir des lobbies de la finance cette finance qui a fait de la construction européenne une coquille vide en siphonnant méthodiquement toute velléité de régulation, toute ambition d’harmonisation. Au final, ne reste plus qu’une zone de libre-échange, dont le funeste traité transatlantique marquera sans doute la dilution.
L’Union européenne fonctionne comme une anomalie démocratique, pour ne pas dire « post-démocratique », comme le constate Habermas.
L’examen même de ce budget relève d’une parodie de démocratie, puisqu’il s’appliquera quel que soit le vote du Parlement, malgré l’importance des volumes en jeu, et alors que notre budget national, quant à lui, devra passer sous les fourches caudines du Pacte de stabilité et du semestre européen, au risque de s’exposer aux lourdes sanctions du « Six Pack ».
Parce que nous refusons ce dessaisissement démocratique, parce que nous ne partageons pas les orientations libérales de ce budget, les députés du Front de gauche voteront contre l’article 22 du projet de loi de finances.
Nous continuerons à nous mobiliser pour refonder l’Europe sur de nouvelles bases, sociales et écologiques, avec un salaire minimum dans toute l’Europe, avec un même impôt pour les sociétés, avec un même socle de droits pour tous.

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François
Asensi

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