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Déclaration de politique générale

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, chers collègues, voici donc le vent de fraîcheur censé dépoussiérer et moderniser nos vieilles institutions. Voici venue, selon votre lapsus, monsieur le Premier ministre, l’année des 2 000 disettes, du sang et des larmes : un Parlement humilié, une opposition sommée de se mettre au pas face au bulldozer mis en marche, optimisant, au profit de quelques-uns, les institutions d’une Ve République tombée en désuétude : la verticalité du pouvoir s’annonce maximale.

Votre intervention, monsieur le Premier ministre, s’est contentée de nous préciser le grand dessein présidentiel. Aucune surprise, donc. Et pas plus de rêve. Les classes populaires et les classes moyennes peuvent déjà mesurer que ce projet n’est pas pour elles, mais pour celles qui les surplombent, les toisent et, quelquefois, les méprisent.

Ce projet néolibéral et technocratique, si éloigné du pays réel, n’a pas vocation selon nous à traiter des problèmes quotidiens du peuple : payer ses factures à la fin du mois – ce qui, avec l’augmentation de la CSG, sera de plus en plus difficile pour les retraités –, trouver un médecin, scolariser ses enfants dans une classe de moins de trente élèves, se former près de chez soi, y compris hors des métropoles, se déplacer par le train sans aléas quotidiens, échapper aux licenciements boursiers, vivre de sa production agricole, de sa pêche, de son travail d’artisan ou de commerçant sans être pénalisé par la concurrence déloyale ou le travail dérégulé, ne pas être assigné à sa caisse de grande surface le dimanche, ne pas être traitée d’illettrée quand on est ouvrière, être tout simplement respecté, y compris dans ses difficultés de vie. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Monsieur le Premier ministre, chers collègues, on n’est pas rien quand on ne réussit pas, sauf à confondre l’être et l’avoir. Votre projet signe le renoncement à notre modèle de protection sociale. Il signe l’avènement de la précarisation et de l’ubérisation du travail. Plus dure sera la vie, et il faudrait s’y faire. Quant aux élites, il semble qu’elles se frottent les mains. Ce projet renonce au rêve républicain et à sa part centrale, celle de la république sociale. Il estompera peu à peu l’égalité et la fraternité des frontons de nos hôtels de ville.

Jamais, dans notre histoire récente, les ailes de l’exécutif n’avaient fait autant d’ombre au pouvoir législatif. Le Président de la République dispose certes d’une majorité confortable mais celle-ci, qui n’est pas proportionnelle à la légitimité des suffrages obtenus, ne lui confère pas la légitimité suffisante pour appliquer son programme sans discussion.

Dans la situation de crise économique, politique, sociale que nous connaissons, liquider une partie des droits des salariés, sans véritable débat, sans possibilité d’amendements, par ordonnances, est donc une folie. Je doute d’ailleurs, monsieur le Premier ministre, qu’au fond de vous-même cette méthode, que vous subissez plus que vous ne la choisissez, vous fasse rêver.

Au contraire, dans cette enceinte, nous voulons, nous, donner à voir, à entendre le pays réel, ce qu’il vit, ce qu’il souffre, ce qu’il rêve, ce qu’il espère, une réalité amplifiée, quoique singulière, dans les outre-mer. Lors des assises de l’outre-mer, nous demanderons d’ailleurs pour ces territoires la justice sociale, la reconnaissance des spécificités et le respect des identités.

Monsieur le Premier ministre, vous nous accuserez peut-être de dresser un noir portrait de cette réalité sociale que la majorité ne veut pas voir. Et pourtant, elle s’impose. Dans le même temps, il existe une formidable énergie dans notre peuple, qui n’en peut plus d’étouffer sous le joug de la loi du plus fort et de l’argent. Nous nous attacherons à le libérer.

Nous voulons vous parler, pour commencer, de l’industrie, de l’artisanat, et plus largement du monde du travail et de l’emploi. Une récente note de l’INSEE, s’appuyant sur un questionnaire adressé à des dirigeants d’entreprise – voyez, monsieur le Premier ministre, que nous ne sommes pas sectaires – montre que l’obstacle principal au développement de l’activité et de l’emploi ne réside pas dans le code du travail – il arrive en fin de liste des préoccupations de ces patrons. Dans nos circonscriptions, des témoignages vont dans le même sens : dans l’économie réelle, ce sont l’investissement, la formation, le savoir-faire des salariés, les commandes, dont la commande publique communale constitue un vecteur essentiel, et l’accompagnement des banques qui jouent sur le niveau de l’emploi. Ce ne sont pas la mise en concurrence des entreprises entre elles, l’atomisation des relations sociales, la liquidation du droit du travail ou encore de ce qui fait la sève de la démocratie vivante, la commune.

Monsieur le Premier ministre, je pourrais vous parler du renouveau industriel, notamment à Dieppe, chez Alpine ; du maintien du fleuron industriel verrier en vallée de la Bresle ou encore du nouvel équipementier d’électrolyse, Kem One sur le site de Martigues, dans la circonscription de Pierre Dharréville. Là, les savoir-faire des salariés, la possibilité de contrôler les manœuvres des fonds vautours grâce au droit du travail ou encore la ténacité des salariés ont été les moteurs du développement de l’emploi.

Mais cela, monsieur le Premier ministre, votre majorité semble l’ignorer. Mieux, vous demandez au monde ouvrier d’abandonner le syndicalisme qui protège pour un syndicalisme imaginé dans les salons. Et ce monde devrait renoncer à ce que justice soit rendue, y compris aux victimes de l’amiante, un sujet qui m’est cher. Nous voulons vous parler de l’agriculture en détresse, qui se débat dans un modèle dérégulé, où le prix de vente du producteur ne couvre même plus les coûts de production. Que promettez-vous à ce monde paysan ? Des traités transatlantiques, comme l’accord économique et commercial global – le CETA –, qui seront aussi destructeurs pour les paysans que pour notre environnement.

Nous voulons vous parler de la pêche artisanale, ignorée des pouvoirs publics, de l’absence totale de planification des usages de l’espace maritime qui la menace.

Nous voulons vous parler des ports français, dont celui du Havre, que vous connaissez bien, monsieur le Premier ministre. Faute d’une stratégie nationale et d’investissements de l’État, ces ports doivent attendre, désarmés, que les places portuaires du Nord de l’Europe, bénéficiant des aménagements de l’axe Seine-Escaut, leur taillent des digues.

Nous voulons vous parler des services publics de proximité, qui, dans les campagnes ou dans les villes, tombent comme à Gravelotte, et pour lesquels l’objectif de diminution de 3 % de la dépense publique nous fait craindre le pire, une désertification qui alimentera le sentiment d’abandon, de relégation, le repli sur soi et la colère.

Nous voulons vous parler de ces jeunes sortis sans qualification du système scolaire et sans emploi.

Nous voulons vous parler de la difficulté qu’il y a à ouvrir des formations liées aux besoins des bassins d’emploi hors des métropoles.

Nous voulons vous parler des fractures territoriales qui se creusent avec, d’un côté, des métropoles attrape-tout et de l’autre, des villes moyennes et des communes rurales en difficulté.

Monsieur le Premier ministre, nous voulons aussi vous parler de l’école, vous alerter sur la colère qui monte devant la multiplication des fermetures de classes dans nos villes et dans nos campagnes, vous parler de ces classes à trente-deux élèves sur cinq niveaux à la prochaine rentrée scolaire, pour satisfaire en toute hâte la promesse du président Macron de ramener à douze le nombre d’élèves de cours préparatoire dans les zones du réseau d’éducation prioritaire REP +. Votre gestion des nouveaux rythmes scolaires, monsieur le Premier ministre, sans aucune évaluation et où vous vous défaussez de vos responsabilités sur les maires, ébranle toujours un peu plus l’unicité du service public de l’éducation, à laquelle nous tenons. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Nous voulons enfin vous parler de l’hôpital, dont la présence sur le territoire se réduit par pans entiers. Dans le même temps, la population vieillit et les besoins de santé de proximité s’accroissent. Pourtant, les agences régionales de santé, poursuivant dans la tarification à l’activité, continuent de serrer la vis et de fermer des hôpitaux de proximité.

Dans ce contexte, nous voulons vous parler du désarroi de la communauté hospitalière, dont le seul rêve est de continuer d’apporter du soin et d’aider au soin. Face à cette France réelle, que nous propose le Président de la République, que nous proposez-vous, monsieur le Premier ministre ? Une réduction du rôle de l’État, de l’État protecteur, de l’État stratège, de l’État aménageur, de l’État producteur, déjà singulièrement affaibli par dix ans d’une politique d’allégeance aux injonctions de Bruxelles. À nos yeux, l’engagement providentiel d’organiser une conférence des territoires n’a de sens que s’il se débarrasse de l’étau d’austérité et s’il est accompagné dans chacun de nos territoires d’un moratoire préservant nos services publics de proximité.

De ce point de vue, nous sommes profondément inquiets de votre annonce d’assassiner la commune ou le département, au choix. Grâce à une habile conduite de la partie d’attrape-tout, politique permettant de réunir tous ceux qui ont le libéralisme pour point commun, l’état de grâce, y compris sur ces bancs, semble encore d’actualité. Il ne durera pas. Très vite, le brouillard des illusions se dissipera sur le mur de l’argent.

Il y a cinq ans de cela, la finance avait été désignée comme l’ennemi. Aujourd’hui, avec l’augmentation de la CSG, l’allègement de l’ISF et la baisse de l’impôt sur les sociétés, vous avez décidé de la câliner. Avec les mesures d’austérité annoncées pour les plus vulnérables, vous avez tenté de donner des signes aux plus riches. Il ne s’agit pas pour nous de pleurnicher mais de montrer ce que vous ne voulez pas voir.

Et vous, chers collègues, qui parfois faites ici vos premiers pas en politique, vous aurez rapidement cette réalité aux trousses. Bientôt, vous comprendrez que le libéralisme ne résout rien. Il existe des contradictions dans la société qui imposent que l’on prenne parti. Le nôtre est sans ambiguïté : le parti pris des gens contre le parti pris de l’argent. Le nôtre est sans ambiguïté : l’engagement absolu contre l’évasion fiscale, qui coûte 80 milliards d’euros par an à la France.

Monsieur le Premier ministre, vous voulez libérer les entreprises. Nous, nous voulons libérer les hommes et le travail de l’emprise de la finance. Voilà pourquoi les députés communistes ne voteront pas la confiance au Gouvernement. Quant aux députés d’outre-mer, conformément à l’état d’esprit qui nous anime dans notre groupe, ils conserveront leur pleine liberté de vote. (Les députés du groupe GDR se lèvent et applaudissent.)

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