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Déclaration du gouvernement sur la politique migratoire

Comment ne pas être saisi d’un grand doute sur les raisons qui motivent l’irruption de ce débat sur l’immigration, sans texte ni vote ?

Déjà, pendant le grand débat, le Président de la République avait – sans résultat, il faut bien l’avouer – agité ce sujet sous le nez des gilets jaunes qui voulaient, eux, parler de justice fiscale, de salaires et de service public. Comment ne pas supposer que, sans réponse sur ces sujets qui forment le premier rang des préoccupations des Français, vous songiez à dégainer la martingale d’un débat sur l’immigration ?

C’est une tentation d’autant plus dangereuse que vous engagez ce débat dans la plus extrême confusion, mélangeant politique migratoire et droit d’asile, mais aussi ségrégations sociales et territoriales.

La confusion vient aussi de ce que certains membres du Gouvernement déclarent attendre de ce débat qu’il « arme notre pays ». Mais contre qui faut-il s’armer ? Comment ne pas comprendre que ce sont d’abord nos compatriotes issus de l’immigration, certains depuis trois, quatre ou cinq générations, qui sont la cible d’un tel discours, qui seraient la source de l’insécurité culturelle dont s’inquiète Emmanuel Macron ?

Vous prétendez regarder la réalité en face mais, en posant si mal ce débat, vous jetez sur elle un voile de brouillard. Il lui faut au contraire de la clarté. Cette clarté nous impose d’abord de reconnaître à quel point ce monde est fou : d’une part, des capitaux circulent librement à la vitesse de la lumière ; de l’autre, on opère un tri tatillon des êtres humains, entre réfugiés politiques, migrants fuyant la misère, sinistrés des catastrophes et main-d’œuvre à exploiter.

Alors, de quoi parlons-nous – ou plutôt, de qui ? S’il s’agit des réfugiés, n’oublions pas que c’est d’abord le Sud qui supporte les malheurs du Sud en accueillant 90 % des réfugiés, et que la France ne brille pas par son hospitalité puisqu’elle n’occupe que la quatorzième place des pays de l’Union Européenne sur les cinq dernières années.

Voyez, par exemple, la situation scandaleuse de la porte de la Chapelle, là où je vis et où se trouve ma circonscription. L’État y laisse à la seule responsabilité des ONG et des citoyens bénévoles seuls responsables du sort de trois mille êtres humains, stockés – il n’y a pas d’autre mot – aux confins de Saint-Denis et d’Aubervilliers. C’est une situation absolument inhumaine pour les réfugiés et insupportable pour les riverains. Vous pouvez décider sans délai de les héberger et de leur faire un accueil digne. Et si les mots du Président sont sincères, vous pouvez même demander aux beaux quartiers d’y contribuer.

Mais c’est peut-être des sans-papiers que vous voulez parler. Eux vivent, travaillent et sont contribuables ici, en France. Mesurez le poids de l’exploitation qu’ils subissent, les profits qui sont tirés des travaux les plus pénibles qu’ils exécutent ; comprenez qu’en leur donnant des papiers, c’est à tous les travailleurs de ce pays que vous accorderez des droits. Ainsi, vous agirez efficacement contre l’économie noire du travail et du logement.

Alors, soyez courageux et réalistes : posez un acte de régularisation, comme l’ont fait avant vous François Mitterrand, Lionel Jospin et même Nicolas Sarkozy.

Et si, soudainement, vous vous intéressez aux catégories populaires, regardez-les du moins en face. Voyez leur diversité, voyez à quel point la France qui se lève tôt est une France métissée. Tendez-lui la main plutôt que de la pointer du doigt ! Répondez à ses attentes, réparez la rupture d’égalité républicaine dénoncée dans le rapport parlementaire sur l’évaluation de l’action de l’État dans l’exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis, redéployez les services publics qui sont la clef de voûte de la cohésion nationale.

Il n’y a pas de territoires perdus de la République : il y a d’abord des territoires que la République abandonne. Quelle contradiction ! C’est là où l’on fonde le plus d’espoirs et le plus d’attentes sur la République que celle-ci tourne le dos à sa promesse. Sur ces questions comme sur tant d’autres, il faut moins de discours effrayés et plus d’actes d’espoir.

Ce que nous sommes est un tout, le produit de la lente sédimentation des siècles et de la bousculade des cultures. Suivons, mes chers collègues, le dessein de Victor Hugo qui célébrait l’abolition de l’esclavage en déclarant : « Il faut être un nouveau monde », et construisons une nouvelle mondialité. Or, par ce débat, vous ouvrez la porte – à votre corps défendant, peut-être – à « la défense sectaire et cruelle de l’Un et du Même », selon la formule d’Édouard Glissant.

Chers collègues, il nous faut relancer les dés du progrès humain ; ce ne sont pas les chantiers qui manquent. Et, puisque vous prétendez parler aux classes populaires, les députés communistes ont beaucoup d’idées à vous soumettre : l’on pourrait commencer par rétablir l’impôt sur la fortune, par exemple !

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